Émile Magazine

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Correspondance politique - "Même lorsqu’elle est libérale, la droite est conservatrice"

Cher Erwan,

Il y a entre nous un malentendu : bien sûr que la droite pense. Elle a des théories, une histoire et un projet : elle est conservatrice. Et elle a des idéaux : ce sont les idéaux de la tradition, de la société traditionnelle. C’est comme ça. Même lorsqu’elle est libérale, elle est conservatrice. Elle l’a toujours été. Je dirais plus : lorsqu’elle est libérale, c’est précisément pour être anti-égalitaire et faire respecter un certain ordre des choses (la liberté du renard, le poulailler, vous savez tout ça). La droite aime l’ordre pour faire croire que la gauche aime le désordre (comme si quelqu’un pouvait vouloir le désordre !).

Et l’individu ! Mais enfin l’individu, la reconnaissance de ses droits, sa liberté chèrement gagnée, son émancipation du joug de la tradition, la lutte contre l’oppression individuelle dans la société traditionnelle, mais voilà le cœur du combat historique de la gauche depuis plus de deux siècles. Lutter pour l’égalité ce n’est rien d’autre que donner aux individus les moyens de leur liberté. Et à chaque fois que la gauche combattait pour l’individu, pour lui octroyer er garantir des droits, qui s’opposait à elle ? La droite, en tout ou partie. Toujours. La droite parle de façon obsessionnelle de réformes, mais en vérité, elle aime peu le changement. Voyez par exemple le processus des primaires, cette innovation politique qui lui a si bien réussi en 2016 : elle s’en gaussait encore en 2011 parce que « ce n’est pas comme ça qu’on fait sous la Vè république ».

Bref, bref. N’ergotons pas : nous ne viendrons à bout de cette discussion ni avec des références, ni avec des finasseries de raisonnement. Il nous faut des faits et j’en ai trouvé au moins un qui éclaire d’un nouveau jour le paysage à la veille de la campagne présidentielle : François Fillon acréé la surprise en arrivant très largement en tête de la primaire de la droite. Comme on dit : « La preuve du pudding c’est qu’il se mange ». Et aujourd’hui la preuve de la droite que nous avons là, c’est l’expression d’un soutien massif pour François Fillon qui est désormais la nouvelle incarnation de la droite 2017. Dimanche dernier la droite est sortie de l’ambiguïté car le peuple de droite a clairement choisi : il a écarté à la fois l’insécurité des excès incontrôlés (Nicolas Sarkozy) et le risque de compromission avec le centre (Alain Juppé). Le peuple de droite a choisi la dure et calme radicalité de la tradition qu’incarne François Fillon, les discrètes et inébranlables convictions traditionnelles d’une partie de la France de l’Ouest, l’homme des « valeurs », des réformes « dures », de la révolution libérale et conservatrice. J’ai aussi entendu beaucoup de vaticaneries : la « vraie » droite, catholique, la droite « éternelle » est de retour. C’est la voix de « la France profonde » dit Pascal Perrineau, une France discrète qui, dans un contexte de menace et d’incertitude, a choisi la radicalité. C’est la victoire d’un projet de réduction brutale et fantasmé de l’Etat, non pas seulement parce qu’il faudrait « assainir » les finances publiques, mais aussi parce que s’attaquer à l’Etat, c’est s’attaquer aux fonctionnaires dits « de gauche » qui sont la cause de tant de malheurs en France... Les électeurs de droite ont réaffirmé une certaine vision de la France, opposée radicalement à la gauche, à son projet et à ce qu’elle a construit. Entre ces deux tours, je ne sens à ce stade aucune perspective pour que François Fillon rassemble le pays au-delà du camp conservateur : pour François Fillon, le temps est venu d’appliquer enfin un véritable programme de révolution conservatrice, sans concessions. Le Thatcher français, 37 ans après la dame de fer. Quelle actualité… Qu’est-ce que pourra François Fillon face à Marine Le Pen ? Je reste inquiet.

Fin novembre, voilà que le paysage se dégage où se distinguent trois blocs à peu près égaux : Marine Le Pen aiguise ses couteaux populistes ; François Fillon incarnera un discours de droite radical et conservateur. A gauche, c’est encore l’incertitude, l’inconnu et- je vous l’accorde- un peu la cohue : l’union paraît difficile en l’état actuel si le Président de la République ou son premier ministre étaient candidat, mais comme toujours, il faudra la faire, l’union des gauches, car dans le combat qui s’annonce il n’y aura pas de « juste milieu ».

Fidèlement,

John