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Analyse - "Travailleurs détachés : le retour du plombier polonais ?" par Florent Parmentier

Après plusieurs semaines de débats, la Commission européenne a adopté lundi soir une révision de la directive sur les travailleurs détachés mise en place en 1996. Florent Parmentier, professeur à Sciences Po et responsable du Policy Lab (laboratoire d'innovations publiques de Sciences Po), revient pour Emile sur cette question qui a divisé les dirigeants européens. 

Un spectre avait hanté la campagne référendaire de 2005 sur le Traité constitutionnel européen: celui du travailleur détaché. En effet, le très fameux « plombier polonais » était l’image médiatique du travailleur détaché, qu’on accusait alors de mettre à mal le modèle social français ; notons d’ailleurs que sur 1,9 million de travailleurs détachés en Europe, 420 000 sont Polonais. Cette question lancinante du travailleur détaché a jeté le trouble sur les rapports des Français à l’Europe, vue comme l’instance d’organisation d’une concurrence déloyale et institutionnalisée. C’est sur cet enjeu qu’Emmanuel Macron a choisi de consacrer ses premiers mois sur la scène européenne.

En se donnant pour objectif de raccourcir la durée du travail détaché et de renforcer les contrôles, Emmanuel Macron se devait d’emporter des suffrages non seulement en Europe de l’Ouest, mais également dans des Etats d’Europe Centrale et Orientale. Prenant son bâton de pèlerin, le Président Macron s’était rendu à Bucarest en août dernier, afin d’échanger à ce sujet avec son homologue Klaus Iohannis. Il avait également pu échanger avec ses homologues d’Autriche, de République tchèque et de Slovaquie dans le cadre d’un « format Austerlitz », appelant ces deux derniers pays à s’éloigner de certaines alliances anti-bruxelloises.

C’est précisément de la Pologne que le Président Macron a rencontré la plus vive opposition. Alors que la Pologne de Donald Tusk était favorable au Triangle de Weimar (France, Allemagne, Pologne) afin d’augmenter son influence à Bruxelles, la Pologne de Kaczynski (l’homme le plus influent à défaut d’être Président) entend incarner un « front anti-bruxellois », défendant les valeurs traditionnelles nationales et prônant une forme de démocratie illibérale. En somme, une parfaite opposition politique entre un Président français vantant les valeurs européennes et des dirigeants polonais rompant avec le consensus européen qui avait prévalu après la chute du mur de Berlin en 1989. Derrière la Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie ont œuvré contre la réforme du statut du travailleur détaché. Seul Etat balte à ne pas porter la contradiction contre la position française : l’Estonie, qui assure actuellement la présidence tournant de l’Union européenne.  

Quelles leçons tirer de l’adoption de l’accord sur les travailleurs détachés récemment obtenu ?

Tout d’abord, elle témoigne une fois de plus de la capacité européenne à produire du consensus à partir d’intérêts divergents ; ce système avait permis à certains pays centre-européens d’exporter son sous-emploi tout en bénéficiant de transferts de fonds importants, et à certains employeurs ouest-européens de payer moins cher ses travailleurs, et ce pour des conditions de travail souvent plus rugueuses. La France étant, derrière l’Allemagne, le pays qui accueillait le plus de travailleurs détachés, il était donc normal, au vu de son niveau élevé de chômage, qu’elle réagisse sur ce point. Ce point devenait d’autant plus crucial que les écarts salariaux n’ont pas connu de réduction entre la France et les pays concernés, contrairement à ce qui aurait pu être attendu, et ce en dépit des syndicats des pays de départ qui verraient d’un bon œil l’application du principe « à travail égal, salaire égal ». 

Faute d’un retour naturel à la normale, la politisation de ce dossier devenait inévitable, d’autant que sur un plan intérieur, cette réforme donne du crédit à une « Europe qui protège » à l’heure où est étudiée la réforme du marché du travail en France. S’emparer de ce thème est d’une part pour le Président l’occasion de se remettre plus au centre des débats européens (là où la France pesait moins ces dernières années) et d’autre part de donner des gages à un électorat de gauche. Il reste à voir si la « méthode Macron » permettra de faire bouger d’autres lignes en Europe, ce qui dépendra également de sa capacité à réformer le pays de l’intérieur.