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Laurent Vallet : "À l'heure des réseaux sociaux, les enjeux pour l'INA sont passionnants"

Nommé en 2015 à la tête de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), Laurent Vallet y instille dès son arrivée une nouvelle impulsion, visant à adapter les formats d’archives à notre époque. Une stratégie récompensée en septembre dernier par le Grand Prix des Médias CB News de la « meilleure stratégie social média ». Paroles d’un ancien de la rue Saint-Guillaume, au profil qui détonne. 

Propos recueillis par Claire Bauchart (promo 10) et Anne-Sophie Beauvais (promo 01). 


Laurent Vallet

Photo : Charlotte Schousboe

Né au Québec, il a grandi dans le XVe arrondissement parisien, avant d’entrer à Sciences Po en 1990. Laurent Vallet, également diplômé d’HEC et de l’ENA, fait ses premières armes au Trésor puis décide, à l’aube de la trentaine, de donner une autre orientation à sa carrière. Ce féru d’images intègre France Télévisions. Passé ensuite par le cabinet de Laurent Fabius au ministère de l’Économie, il devient, en 2002, directeur général de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), fonction qu’il occupera jusqu’à sa nomination, en 2015. à la tête de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).


Un parcours d’excellence à la française

Mon bac en poche, j’ai été pris en maths sup à Henri IV, imaginant faire Polytechnique ou Centrale. Au bout d’un an à avaler douze heures de mathématiques par semaine, les sciences humaines me manquaient. J’ai alors émis le souhait d’intégrer une prépa HEC : la proviseure d’Henri IV, excédée, a inscrit en gros le mot « réorientation » sur mon bulletin, comme si je commettais une trahison ! Mais une fois « réorienté » et fort de mon intense année de mathématiques, j’ai pu consacrer toute mon énergie aux autres matières, notamment la philosophie. Et j’ai été reçu à HEC.

Jean-Claude Trichet, un modèle de serviteur de l’État

Enfant, je vivais avec mes parents au 2 d’une petite rue, la même où Jean-Claude Trichet (promo 66) et sa famille habitaient, au numéro 4. Les deux familles sont devenues amies et il est souvent arrivé qu’elles passent leurs vacances ensemble. Quand nous partions skier dans la Renault de Jean-Claude, il fallait réciter, à l’envers, la tirade du nez de Cyrano ! Nous étions dans les années 1970 et 80, Jean-Claude Trichet travaillait alors à l’Élysée auprès de Valéry Giscard d’Estaing avant de retourner au Trésor. Son parcours et sa personnalité m’impressionnaient ! Mon envie de préparer l’ENA et donc de rejoindre Sciences Po est, je crois, très liée au modèle de serviteur de l’État qu’il a représenté pour moi.

L’oral d’entrée à Sciences Po

J’ai demandé, à l’issue de ma deuxième année d’HEC, une dérogation pour tenter Sciences Po via le concours d’admission directe, réservé aux élèves de certaines grandes écoles. Je me souviens de mon oral d’entrée, courant 1990. J’étais évalué par Richard Descoings, à l’époque directeur adjoint auprès d’Alain Lancelot, et par Nicolas Catzaras (promo 88) (NDLR : aujourd’hui administrateur au sein de Sciences Po Alumni). Ce dernier m’a interrogé sur l’histoire du XIXe siècle, qui n’était vraiment pas mon fort ! Plus tard, j’ai consulté mon dossier d’étudiant : Nicolas Catzaras avait, logiquement, noté d’un « C- » ma prestation à l’oral. Richard Descoings, lui, m’avait donné un « A » en précisant en marge « sympa ! ». Voilà comment je suis entré à Sciences Po !

Sciences Po versus HEC

J’ai effectué ma dernière année à HEC en même temps que ma deuxième année à Sciences Po. Ma vie se divisait entre Paris et Jouy-en-Josas. Je passais donc de nombreuses heures dans ma voiture… À Sciences Po, j’ai eu des professeurs extraordinaires, comme Marc Guillaume (promo 87) qui a réussi l’exploit de me faire aimer le droit administratif. L’enseignement répondait davantage à mes aspirations que celui d’HEC où, en revanche, j’ai rencontré et conservé beaucoup d’amis proches.

La préparation au concours de l’ENA

Ma deuxième année à Sciences Po terminée, je passe le concours de l’ENA. Échec total ! La seconde fois sera la bonne. Un peu miraculeusement car, lors de ma dernière année rue Saint-Guillaume, un chagrin d’amour m’a tenu éloigné des cours entre février et mai 1992. À mon retour en juin, les « écuries » – petits groupes d’étudiants se rassemblant à 2 ou 3 pour préparer le concours – étaient largement constituées. C’est alors qu’une élève de ma promotion m’a proposé de partir réviser avec elle chez sa grand-tante, dans le Berry. Elle m’a donné accès à tous les cours que j’avais ratés : cela était d’autant plus appréciable qu’elle les prenait en note de façon particulièrement soigneuse. Sans parler des bons petits plats préparés chaque jour par sa grand-tante ! Bref, c’est vraiment à cette camarade que je dois mon succès au concours !

Du Trésor à France Télévisions

À ma sortie de l’ENA, 18 places étaient offertes dans les « grands corps »… et je suis arrivé vingtième, la faute à une mauvaise note d’anglais ! Mais il était plutôt logique que j’intègre le Trésor, comme j’en ai fait le choix sans hésiter : cela correspondait au fond à tout ce qui avait guidé mes pas vers l’ENA. Puis, après quatre années passionnantes au Trésor, j’ai eu envie de changement. Nous sommes en 1999. J’ai 29 ans. Jusque-là porté par un environnement plus soucieux d’excellence académique que de satisfaction d’aspirations intimes, je réfléchis pour la première fois à ce qui m’intéresse vraiment et imagine alors de concilier ma passion de toujours, le cinéma, avec ma vie professionnelle à venir. J’ouvre l’annuaire de l’ENA. Je repère quelques anciens travaillant dans l’audiovisuel, dont Marc Tessier, alors directeur général du CNC. J’envoie des fax, sollicite des rendez-vous. Cela dure six ou neuf mois. Au moment où je commence à craindre de ne pas trouver de job hors du Trésor, Marc Tessier, devenu entre-temps président de France Télévisions, m’appelle. Il me demande : « Tu veux toujours travailler dans l’audiovisuel ? » Je lui réponds, un peu idiot : « Oui, mais plutôt côté cinéma que télévision » Il me rétorque : « Mais la télévision finance 40 % du cinéma ! » Et c’est ainsi que je suis arrivé à France Télévisions.

L’arrivée à l’INA

J’avais été candidat à la présidence de l’INA dès 2014, dans le cadre de la procédure qui avait conduit la ministre Aurélie Filippetti à proposer la nomination d’Agnès Saal (promo 78). Au départ de cette dernière, j’ai donc à nouveau dit mon intérêt pour le poste. 

Diriger l’INA répond à la fois à mon aspiration à servir l’intérêt général et à ma conviction que l’image filmée est une représentation du monde essentielle à sa compréhension. Les enjeux sont passionnants. À l’heure où les nouvelles générations ont accès à d’innombrables vidéos via les réseaux sociaux, notre but est de mettre en perspective, de montrer que l’Histoire est un éternel recommencement, que les images de migrants naufrageant au large de Lampedusa ressemblent, tragiquement et terriblement, à celles filmées en mer de Chine en 1979.

L’INA à l’heure de l’accélération de l’information

L’objectif de l’INA est à la fois de capitaliser sur ce que permettent les nouveaux usages numériques en termes d’instantanéité de communication, et de prendre du recul sur l’actualité et sur le monde en général. Pour cela, nous mettons en place un certain nombre d’actions de valorisation, y compris en unissant nos forces à d’autres, comme dans le cadre de FranceInfo, la chaîne d’information du service public pour laquelle l’INA produit des modules courts de 2 minutes 30. Cela nous permet de développer un lien plus fort à l’actualité, tout en offrant du recul sur les événements. La technique est efficace, notamment pour s’adresser, de manière journalistique, aux moins de 30 ans, adeptes des réseaux sociaux et moins touchés par les remarquables documentaires historiques de 52 ou 90 mn que produit ou coproduit l’INA depuis 40 ans pour les cases de deuxième partie de soirée des grandes chaînes hertziennes. La coopération avec nos partenaires de l’audiovisuel public est profitable à l’INA : en participant à la création de FranceInfo, nous nous sommes mis en quelques semaines à produire quotidiennement des formats courts, très différents de notre production traditionnelle et pourtant d’une qualité unanimement appréciée. Si nous avions dû opérer cette mutation seuls, sans être portés par un projet plus grand que nous, le cheminement aurait été à coup sûr bien plus lent… Et ce n’est là que la première étape d’une transformation très profonde qui permettra à l’Institut d’être à la pointe des usages numériques !


Dates clés : 

1969. Naissance à Loretteville (Québec)

Septembre 1990. Admission à Sciences Po

1993. Entrée à l’ENA (promotion René Char)

1999. Chargé de mission à la présidence de France Télévisions

2001. Conseiller technique du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie 

2002. Directeur général de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC)

2015. Président-directeur général de l’INA