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Le Grand Débat - L'identité, un enjeu éminemment politique ?

L’identité est un thème désormais omniprésent dans les débats politiques. Propulsée sur le devant de la scène par Nicolas Sarkozy, la réflexion sur « l’identité nationale » semble être aujourd’hui le pré carré de la droite, voire de l’extrême-droite ; il s’agit pourtant d’une notion apparue d’abord à gauche. 

Émile a proposé à deux personnalités passées par la rue Saint-Guillaume de débattre de ce sujet : la journaliste et essayiste Natacha Polony et l’écologiste François de Rugy. La première est connue pour ses convictions républicaines et souverainistes. Le second s’est fait remarquer à l’occasion de la primaire de la gauche, notamment pour son pragmatisme et une vision apaisée des questions liées à l’identité. Nous avons également convié Vincent Martigny, chercheur au Cevipof et auteur de Dire la France : Culture(s) et identités nationales, à se joindre à eux.

L’identité française est-elle unique, multiple, immuable ou en perpétuel mouvement ? Sur quels éléments se fonde-t-elle ? Ils nous livrent des éléments de réponse et des pistes de réflexion. 

Propos recueillis par Raphaël Bourgois, Anne-Sophie Beauvais et Maïna Marjany

Pour commencer, pouvez-vous nous donner votre définition de l’identité, ou bien définir l’identité ne vous semble pas possible ?

François de Rugy : Je ne sais pas s’il faut théoriser une définition de l’identité française, c’est une construction où se mêlent l’histoire individuelle et l’histoire collective. Je le rapproche souvent du sentiment d’appartenance : avoir une identité c’est se sentir appartenir à une entité qui nous dépasse. Certains considèrent que le sentiment d’appartenance est exclusif, alors que je pense qu’il peut être multiple. On le voit à l’intérieur même de la France, avec les identités régionales, qui sont très fortes, mais aussi à travers la binationalité. Je pense également à l’Europe, car c’est parce que l’on a une identité française que l’on a une identité européenne. Enfin, en tant qu’écologiste, je pense qu’il y a aussi un sentiment d’appartenance à la planète Terre.

Natacha Polony : En effet, je pense que chaque individu est constitué de strates identitaires, qu’il se construit à travers les différentes dimensions de son existence (son histoire familiale, son appartenance sexuelle, sa foi, son athéisme, etc.) ainsi que l’appartenance régionale, locale ou même européenne.

Mais là où ça pose problème, c’est lorsqu’on essaie de disqualifier la réflexion sur la question de l’identité, alors qu’il faut au contraire s’en saisir car elle est en train de nous exploser à la figure. À partir du moment où de jeunes gens, qui ont une carte d’identité française, détestent tellement la société qui les a vu grandir qu’ils éprouvent le besoin de prendre une kalachnikov pour tirer sur d’autres personnes, nous sommes obligés de nous poser la question de savoir ce que c’est d’être Français. Et comment nous allons construire un avenir commun, en fonction du présent et du passé.

Le choix de Nicolas Sarkozy de poser le débat de « l’identité nationale » a été vivement contesté. Vous comprenez ces réactions ?

Natacha Polony : Le terme « identité nationale » fait peur. Tout d’abord parce qu’on craint qu’en définissant l’« identité » on la transforme en quelque chose de figé. Deuxièmement, le mot « nationale » pose problème, parce que le terme de « nation » a été utilisé au 20e siècle de façon assez problématique. Pourtant, le mot « nation » devrait être moins problématique que celui de « patrie », qui signifie la terre de mon père, alors que la nation est une notion républicaine, de gauche, c’est le peuple en tant qu’entité politique.

Si l’on s’appuie sur la définition de Renan de la nation, on comprend que cette identité nationale se construit par une dimension politique – la volonté de vivre ensemble ici et maintenant – et par un « legs de souvenirs » à partager. Tout le problème aujourd’hui est de définir ce legs de souvenirs de façon à ce qu’il puisse parler à l’ensemble des citoyens français, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur histoire personnelle.

Vincent Martigny : Le terme « identité nationale » n’était pas employé avant les années 1970. Il apparaît d’abord à gauche. C’est le parti socialiste, le premier, qui l’utilise dans le programme de 1981, avec l’idée que l’identité de la France, c’est avant tout sa culture. C’est ce que signale François Mitterrand en mai 1981 : « Le socialisme de la liberté est avant tout un projet culturel. » Pour lui, le socialisme de la liberté est un récit de l’histoire de France et de son identité. Sur la question de la culture, ce dont je me suis rendu compte à travers mes recherches c’est que la France, depuis 30 ou 40 ans, a progressivement identifié la nation à sa culture. Maintenant c’est un récit qui paraît assez consensuel. François Fillon l’a dit : le socle de l’identité française c’est la culture française, Nicolas Sarkozy a déclaré : j’ai fait une erreur, j’aurais dû faire reporter le débat sur l’identité nationale en le faisant faire par le ministère de la Culture. L’identité est donc une notion dont la gauche s’est dessaisie, et dont la droite s’est saisie.

Pourquoi, selon vous, la gauche s’est-elle dessaisie de cette question ?

François de Rugy : Pour moi, c’est une question politique importante, même si mon avis n’est en effet pas tellement partagé par un grand nombre de dirigeants politiques de gauche. Le président François Hollande a toujours été, au minimum gêné par cette thématique, ou du moins prudent. À l’inverse, Manuel Valls était sans doute l’un des rares à gauche qui avait essayé de s’exprimer sur le sujet.

Vincent Martigny : La gauche présente en 1981 un récit de l’identité qui est celui d’une France mosaïque, pluriculturelle, dans laquelle les cultures minoritaires doivent être reconnues et valorisées. C’est l’époque du « droit à la différence ». Face à cela, la droite, talonnée par le FN qui émerge comme force politique dans les années 1983-84, opère une contre-offensive identitaire qui postule que la France est, au contraire, en danger de fragmentation à cause de la valorisation excessive des différences. Pris en tenaille entre une partie de son propre camp – les chevènementistes, les communistes – qui refusaient le droit à la différence, la droite et l’extrême-droite qui l’attaquent sur la valorisation du pluralisme culturel, progressivement la gauche recule, voire abandonne le combat culturel sur la nation à ses adversaires.

Même si l’identité n’est pas figée, il faut bien la construire sur un certain nombre de principes communs. Dans son livre Le Sens de la République, Patrick Weil définit quatre piliers : la langue française, le principe d’égalité, une mémoire commune et la laïcité. Le tout sous le chapeau de la République. Qu’en pensez-vous ?

Natacha Polony : C’est une façon intéressante de prendre le sujet mais je trouve cela abstrait. Bien sûr que l’égalité fait partie des valeurs fondamentales qui fondent notre identité, mais il faut aussi prendre en compte ce qui fait partie des modes de vie. La façon de vivre un repas, d’élever ses enfants, etc. font partie de ces types de reconnaissances spontanées. C’est un ensemble dans lequel chacun peut venir piocher, mais cela doit s’appuyer sur un minimum en commun. Ce commun doit marier histoire, géographie et culture au sens large. Et il doit en effet aussi s’appuyer sur la laïcité, qui n’est pas un pilier mais un principe. La constitution d’un espace neutre permet à chacun de le partager en tant que citoyen, qui ne doit pas arriver avec son barda identitaire en étendard. Je pense que la démocratie repose en partie sur la distinction entre espace privé et public. Les choses deviennent beaucoup plus complexes quand chacun éprouve le besoin de s’afficher pour ce qu’il croit être. 

François de Rugy : Si l’approche de Patrick Weil est juste, je la pense aussi un peu théorique. Tout d’abord, en tant qu’écologiste, j’estime que nous avons en commun un territoire – aujourd’hui délimité – qui est le fruit de l’histoire. Il nous rassemble, qu’on y soit né ou que l’on s’y soit installé. Même lorsqu’on quitte ce territoire, on garde un lien. D’ailleurs, c’est intéressant de voir l’émergence de la notion politique de représentation des Français de l’étranger.

Ensuite, sur le plan des valeurs communes, Patrick Weil met en avant l’égalité… mais pourquoi faudrait-il choisir entre « liberté, égalité et fraternité » ? Cette devise n’est pas un hasard, ces trois valeurs sont ce que nous avons en commun. Et rien n’est gagné aujourd’hui : on doit définir ensemble ces valeurs pour pouvoir les partager. Certains y ajoutent la laïcité, mais je pense que c’est plus un principe de vie en commun qu’une valeur.

Quant à la langue comme pilier de l’identité, je partage l’avis de Patrick Weil. Mais on peut partager cette langue commune, tout en parlant d’autres langues, à la maison ou à l’école. Parler une autre langue que le français ne devrait pas faire de quelqu’un un mauvais Français. 

Vincent Martigny : Ce qui me frappe dans les débats autour de l’identité c’est le dissensus qui existe entre vie sociale et discours politique. Dans la vie sociale, on valorise la différence, les identités multiples, alors que sur le plan du discours politique il faudrait que l’égalité signifie l’homogénéité.

Natacha Polony : Cette fierté des identités multiples, c’est-à-dire si chacun revendique son petit bout de spécificité, n’est pas sans poser problème. C’est même l’un des éléments qui rend beaucoup plus compliqué cette question de l’identité nationale. Pourquoi ? Parce que du fait de l’individualisme contemporain, il y a une focalisation sur la différence, sur le fait minoritaire. C’était au départ pour les meilleures raisons du monde : éviter que les groupes minoritaires ne soient écrasés par la majorité. Mais aujourd’hui, nous sommes dans un moment de renversement où le majoritaire est souvent oublié, ou du moins maltraité. Cette dimension crée de la frustration et du ressentiment de la part de ceux qui se reconnaissent plutôt dans la majorité.

Peut-être peut-on définir une identité nationale à travers un récit national ?

Vincent Martigny : Dès lors qu’on a voulu parler de récit national dans la période moderne, on a fait face à des récits concurrents. Par exemple, quand le général de Gaulle fait un récit de ce que doit être la France, une partie de la population, communiste et socialiste, s’oppose à sa conception de la République, de la nation… Il n’y a pas de récit accepté par tous, il n’y a pas d’unité. Même pour les principales notions citées par Patrick Weil, nous ne sommes pas d’accord sur ce que recouvrent la laïcité ou l’égalité. Deux versions s’affrontent : ceux qui disent que la laïcité, c’est la séparation de l’Église et de l’État, la protection des minorités et la liberté de conscience face à ceux qui estiment que la laïcité, c’est avant tout la nécessité d’avoir des comportements laïcs et que la religion est une menace pour la citoyenneté. Et que recouvre l’égalité ? L’égalité des opportunités, des chances ou une égalité qui doit repasser par une redistribution plus ou moins forte ?

Il semblerait que le sujet du récit national se heurte aussi assez rapidement à « ce passé qui ne passe pas », avec notamment la question de la colonisation…

Vincent Martigny : Pierre Nora parle du passage de l’Histoire à la mémoire. On n’est plus dans la France pour laquelle on doit mourir, la patrie qui nous surplombe, mais dans une France dans laquelle il doit faire bon vivre. C’est assez frappant de voir qu’on est dans une période où la demande politique d’homogénéité culturelle est d’autant plus forte aujourd’hui que l’idée même de récit national partagé est fragile, contesté par une pluralité d’acteurs qui ne sont pas prêts à se faire imposer une histoire de France, comme pour la question, en effet, de la colonisation. Dans la vie politique française, on a parfois le sentiment que la guerre d’Algérie n’est pas terminée. Et ce n’est pas un hasard que ce soit en Algérie qu’il y ait eu un scandale autour des déclarations de Macron, indépendamment de ce qu’on peut en penser. On voit bien deux récits caricaturaux qui s’affrontent. D’un côté, une minorité pense que, d’une certaine manière, ce qui s’est passé en Algérie (les Français d’Algérie expulsés par la majorité arabo-musulmane) est en train de se reproduire en France – c’est l’idée du grand remplacement – de cette France chassée d’elle-même par l’altérité musulmane. De l’autre, certains pensent – par exemple du côté des « Indigènes de la République » – que nous sommes dans une situation où la France traite les minorités de la même façon que les Français coloniaux traitaient les indigènes, les musulmans. Deux récits grossiers, tous les deux anhistoriques et même incongrus qui montrent cependant ce choc des mémoires.

François de Rugy : Il y a une notion dont on n’a pas encore parlé et qui taraude la mémoire française : c’est l’histoire de la grandeur. Et concernant l’histoire coloniale, je suis convaincu que c’est aussi ça le problème, car cela renvoie à un moment où il y a eu une bascule entre une grande puissance et une puissance moyenne, doublé d’un recul territorial. En général, un candidat qui veut gagner l’élection présidentielle est obligé de réactiver le mythe que nous sommes encore une grande puissance, soit en tant qu’entité indépendante, par exemple en mettant en exergue le fait que nous détenons l’arme nucléaire, soit en adoptant des discours du type « nous allons être une grande puissance à travers l’Europe ». Mais la réalité nous rattrape et elle ne correspond plus à ces discours.

Natacha Polony : … Ce n’est pas la grandeur qui a été perdue, c’est la souveraineté. C’est la possibilité pour les citoyens de décider de leur destin. De même qu’il y a différentes strates identitaires, il y a une articulation entre la souveraineté individuelle, la souveraineté du peuple et la souveraineté de la nation. Et si les trois ne s’exercent pas pleinement : il n’y a pas de démocratie et il n’y a pas d’identité apaisée.

François de Rugy : La souveraineté s’exerce sur un territoire, donc je pense qu’on en revient à cette question du recul territorial à la suite de la décolonisation.

Natacha Polony : Je maintiens que la souveraineté est une question fondamentale : si les citoyens n’ont pas l’impression de pouvoir décider en commun de leur destin, il n’y a plus la moindre cohésion nationale. Et c’est ce qui est en train de se passer. La crise politique que nous vivons c’est parce que les citoyens ont l’impression que leur destin leur échappe, qu’il est décidé ailleurs. Et parce qu’il y a une sécession des élites, qui ont des intérêts différents de ceux du peuple. C’est en ça qu’il y a un lien entre la question de l’identité, de la souveraineté et de l’économie. La question économique est cruciale, parce que vous ne pouvez pas maintenir une identité apaisée si l’ensemble du processus économique détruit tous les supports de l’identité. À partir du moment où il y a des désertifications de territoire, où la paysannerie est en train de disparaître, où des pans de l’artisanat et de l’industrie sont détruits, ce sont aussi des savoir-faire qui se perdent. C’est pour ça que je pense qu’il faut combattre à la fois la globalisation et l’imposition d’un modèle économique qui détruit les bassins sociaux de la France et des autres pays européens, sinon on va créer de la tension, de la colère. 

François de Rugy : Pour ma part, j’estime qu’en abordant ces sujets économiques, on s’éloigne un peu de la question de l’identité.

Quel est finalement, en France, notre rapport à la différence ?

Vincent Martigny : Contrairement aux États-Unis, qui s'est construit comme une nation qui exalte la différence depuis les origines, nous nous sommes construits sur un imaginaire relativement homogène. Finalement, la question de la reconnaissance des cultures immigrées, des minorités, c’est la question démocratique par excellence, c’est la question de la modernité : que fait-on avec les personnes qui sont différentes ? Comment accepter que quelqu’un soit radicalement différent de moi, et que nous vivions en harmonie, avec comme limite qu’il ne cherche pas à me détruire ? L’État, qui doit répondre à cette question, est soit neutre, dans une conception libérale ; soit porteur de valeurs, dans une conception républicaine.

Natacha Polony : Je pense que c’est exactement là que se situe notre point de désaccord. Je pense, comme vous, que les sociétés libérales anglo-saxonnes et la conception républicaine française sont différentes, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait s’adapter à la conception libérale anglo-saxonne.

Vincent Martigny : Je n’ai pas dit qu’il fallait le faire…

Natacha Polony : Mais c’est ce qui est en train de se passer, avec un phénomène de globalisation et d’uniformisation. Je ne vois pas pourquoi l’idée que la République n’est pas neutre éthiquement, mais est au contraire un régime porteur de valeurs, serait moins bien que cette idée anglo-saxonne de la régulation par le droit et le marché.

Vincent Martigny : Je n’ai pas dit non plus que c’était moins bien ! Je ne pense pas que la version anglo-saxonne soit le modèle. Je dis juste qu’on est en train d’aller vers un ailleurs démocratique, tout en s’accrochant à des modèles qui sont défunts, en matière d’homogénéité culturelle.

Natacha Polony : Je ne pense pas que ce soit défunt, je pense tout simplement qu’on a arrêté de perpétuer ce modèle républicain, justement par fascination pour le modèle multiculturel anglo-saxon, sous la puissance du soft-power, notamment américain. Or, la question cruciale est là : la France n’est pas une société multiculturelle, mais une société multiethnique, qui repose sur un processus d’intégration et sur le fait que nous partageons un minimum de valeurs communes. Parmi ces valeurs, il y a des choses qui ne sont pas négociables comme la laïcité, le rapport homme-femme qui est très particulier en France – c’est la tradition de ce qu’on appelle le « commerce apaisé » entre les sexes, souvent fondé sur l’art de la conversation. Je pense que ce qui crée de la tension et de la souffrance c’est le fait que, subrepticement, on a essayé d’imposer en France un modèle multiculturel qui est totalement contraire à la tradition française.

François de Rugy : Mais qui aurait imposé cela ?

Natacha Polony : Des élites, dont c’est le mode de pensée.

François de Rugy : Il peut y avoir un discours… mais cela se matérialiserait comment, par quelles mesures politiques ? Je pense que le modèle républicain est encore très dominant. Le problème, c’est qu’une partie de la droite ne cesse d’affirmer que notre modèle républicain est en danger et utilise ce modèle, non pas pour défendre nos valeurs, mais pour s’opposer à toute différence, brandissant le risque de la division et du communautarisme. Pourtant, François Fillon, dans sa campagne pour la présidentielle, était assez loin de ce modèle puisqu’il disait, par exemple, qu’il n’était pas question de faire de nouvelles mesures laïques, car elles finiraient par percuter la tradition catholique. En revanche, il faudrait que les musulmans comprennent que leurs particularismes n’ont pas le droit de cité. Pour moi, ce n’est pas vraiment une défense du modèle républicain.

Natacha Polony : Pour moi non plus.

François de Rugy : De l’autre côté, il y a toute une partie de la gauche qui dit que tout va bien, que le modèle républicain est partagé sans réticence…

Quel est le juste milieu alors ?

François de Rugy : Il faut se dire qu’il n’existe pas un modèle français unique acquis ad vitam aeternam, que c’est un sujet politique et qu’il est donc normal d’en débattre. Se dire qu’on a des choses en partage (langue, territoire) et qu’il faut se donner les moyens de les défendre, pas seulement avec de beaux discours. Par exemple, la question des droits humains sous-entend qu’un homme n’impose pas sa loi à une femme, que les parents ne font pas ce qu’ils veulent avec leurs enfants, etc. J’estime qu’on doit combattre fermement ceux qui essaient d’introduire des failles, tout en étant clair sur le fait que chacun a sa place dans notre société. Il faut être apaisé, savoir dire : oui les mosquées font désormais partie du paysage en France, parce que notre conception de la République, de la laïcité, du vivre-ensemble, fait qu’on a le droit de pratiquer une religion.

Je voulais vous faire réagir sur la notion de communautarisme. Le risque est-il réel ?

François de Rugy : Le risque existe, mais je pense que c’est en grande partie un fantasme. Le communautarisme, cela voudrait dire que la France serait une simple juxtaposition de communautés et que les gens vivraient selon les lois de leur communauté et non pas selon les lois de la communauté nationale. En France, par exemple, il n’y a pas de tribunal islamique qui rend la loi pour les citoyens musulmans.

Natacha Polony : Certes, nous n’en sommes pas là, mais nous sommes dans un processus qui peut conduire à cela, dans la mesure où il y a, d’abord sur le territoire français, des lieux où se pratiquent un séparatisme culturel qui est problématique. Mais la situation s’est tendue car, pendant des années, on a refusé d’admettre qu’il y avait un problème.

Vincent Martigny : Il est intéressant de constater que l’accusation de communautarisme est née dans les années 1980 en plein cœur de la crise économique et alors que la question de l’immigration devient un enjeu politique. Depuis, cela constitue d’ailleurs essentiellement une attaque contre les minorités immigrées – on ne parle jamais du communautarisme aveyronnais ou basque. Dire qu’il peut exister des problèmes de coexistence ou des conflits entre des populations aux profils culturels diversifiés, et des angoisses de la majorité liées à la disparition progressive d’une société culturellement homogène, il serait absurde de le nier. Mais faire du communautarisme un problème central et prioritaire, c’est exagérer le risque de fragmentation de notre société et oublier que les grandes fractures françaises sont avant tout sociales. Sur le plan des valeurs, il me semble que la France a montré son unité lorsqu’elle a été véritablement attaquée, notamment pendant les attentats de novembre 2015.

Les participants au débat


François de Rugy

Homme politique écologiste, François de Rugy adhère aux Verts en 1997. Il devient adjoint au maire de Nantes, chargé des transports, en 2001. Il est élu député de Loire-Atlantique en 2007 sous l’étiquette des Verts, puis est réélu en 2012. En 2015, il participe à la création du parti Écologistes! dont il est l’actuel président. Candidat à la primaire citoyenne, remportée par Benoit Hamon, il choisit de rallier, un mois plus tard, le mouvement En marche!.


Natacha Polony

Journaliste et essayiste, Natacha Polony présente la revue de presse de la matinale d’Europe 1 ainsi que l’émission Médiapolis, avec Olivier Duhamel. Après avoir travaillé à Marianne et au Figaro, elle a été chroniqueuse dans l’émission "On n’est pas couché" sur France 2. Elle a créé le "Comité Orwell" en mai 2015, un laboratoire d'idées qui a pour objectif de défendre la souveraineté et la liberté de la presse. Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont Nous sommes la France (Plon, 2015).


Vincent Martigny

Vincent Martigny, docteur en science politique et maître de conférences à l’École Polytechnique, est chercheur associé au CEVIPOF. Il a publié Dire la France, (2016, Presses de Sciences Po) qui retrace la généalogie de « l’identité nationale », apparue dans le débat politique dans les années 1980. Depuis 2014, il coproduit et coanime "L’Atelier du pouvoir" sur France Culture, avec Thomas Wieder et Ariane Chemin.