Émile Magazine

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"La grande course des universités", entretien avec Christine Musselin

Directrice scientifique de Sciences Po et fine connaisseuse du monde universitaire, Christine Musselin a publié en mars 2017 La Grande Course des universités. Un ouvrage qui a été très commenté dans le milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur. Pour Émile, elle revient sur la genèse de ce livre et en résume les enjeux.  

Propos recueillis par Julia Laureau et Maïna Marjany

Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage ?

J’ai écrit ce livre en continuité de La Longue Marche des universités françaises, publié en 2001, où je retraçais l’histoire des universités depuis la Révolution française. J’y expliquais comment, du fait d’événements propres à la France, les universités en tant qu’établissements dotés d’une certaine autonomie ne sont nées qu’avec la loi de 1968 et la politique contractuelle initiée dans les années 1980. Avec La Grande Course des universités, j’ai décidé d’écrire la suite de cette histoire pour comprendre les mutations que le système universitaire a connues au cours de ces quinze dernières années.

Que démontrez-vous dans La Grande Course des universités ?

Dans une première partie, je m’intéresse à la manière dont le système d’enseignement supérieur français a été mis en compétition. En multipliant des appels à projets sélectifs comme moyen de répartir les financements entre les universités, en confiant à des agences la gestion de ces appels à projets et l’évaluation de l’enseignement et de la recherche, on a créé des mécanismes qui accentuent la compétition entre les établissements. J’essaie ensuite de voir quels en sont les effets sur les universités et sur la profession universitaire. 

Dans une deuxième partie, je décrypte la politique de regroupement universitaire progressivement mise en place et la volonté très interventionniste de l’État, de recomposer le paysage universitaire français et de dépasser deux clivages : le clivage universités/grandes écoles, et le clivage universités/organismes de recherche. En 2006, des méta-structures ont été créées : les PRES « Pôles de recherche et enseignement supérieur », qui vont finalement être généralisés dans la loi « Fioraso » de 2013 et qui visent à coordonner, sur un site donné, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui s’y trouvent. Autrement dit, depuis 2013, tous les établissements doivent s’inscrire dans un regroupement territorial qui peut être soit une association, soit une fusion complète, soit ce qu’on appelle une COMUE « Communauté d’universités et d’établissements »,  afin de travailler ensemble. 

En guise de conclusion, sous la forme d’un essai, je montre qu’il existe une contradiction très forte entre la volonté de faire de l’aménagement territorial d’un côté et de mettre en compétition des établissements de l’autre. A priori il n’y a aucune raison pour que la logique territoriale coïncide avec la logique scientifique. J’explique également qu’avec ces regroupements, on a créé un système franco-français basé sur une mauvaise compréhension de ce qui se fait à l’étranger, et qui de fait pose problème dans ses modes de fonctionnement et dans sa lisibilité.

Est-ce que cette politique a tout de même eu des effets positifs ?

Un des effets positifs que je reconnais ne pas avoir suffisamment souligné dans le livre, c’est que cette politique a provoqué beaucoup de réflexions en interne dans les établissements et beaucoup d’initiatives locales.

Comment votre livre a-t-il été accueilli par la critique ?

J’ai été surprise qu’il suscite autant de réactions et qu’il soit finalement plutôt bien accueilli. J’ai été étonnée de voir que ce qui était finalement une contestation silencieuse se soit exprimée après la parution de mon livre. Jusqu’ici il y avait eu très peu de critiques concernant les regroupements d’établissements et cela a permis d’ouvrir un débat sur ces derniers. Mais derrière celui-ci se pose plus largement un choix aussi politique que stratégique sur le modèle d’enseignement supérieur et de recherche à construire et le plus ou moins fort degré de différenciation et de compétition qu’il faut y insuffler.