Émile Magazine

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Campus 2022 - Entretien avec Joseph Oughourlian

Installé à Londres, d’où il dirige le fonds d’investissement Amber Capital, Joseph Oughourlian (promo 92) garde des liens très forts avec Sciences Po. Mécène de longue date, il a décidé de s’investir, à nouveau, en faisant un don pour le projet Campus 2022. Il raconte à Émile les raisons qui ont motivé son choix et nous donne sa vision du Sciences Po de demain.

Future entrée du campus de l'Artillerie 

Illustration : Sogelym Dixence/ Wilmotte & Associés / Moreau Kusunoki Architectes

Quel a été votre parcours après Sciences  Po ? 

Diplômé en 1992 de Sciences Po, j’ai ensuite fait HEC, puis je suis entré à la Société Générale en 1994. L’année suivante, je suis parti à New York pour la Société Générale et j’y ai effectué une grande partie de ma carrière professionnelle. En 2005, j’ai extrait le business que j’avais monté au sein de la Société Générale, qui était de la gestion de fonds, et je me suis mis à mon compte. En 2012, j’ai relocalisé ma société de gestion, Amber Capital, à Londres, puisque l’on réalise beaucoup d’investissements en Europe. 

Vous avez fait toute votre carrière dans la finance. Cette vocation vous est venue à Sciences  Po ou à HEC ?

J’ai toujours été attiré par la finance. Quand j’étais à Sciences  Po, j’ai effectué mon premier stage dans la salle de trading d’une banque à Londres. J’ai adoré les marchés financiers. Un temps, j’ai tout de même pensé à faire l’ENA. J’étais d’ailleurs inscrit en service public mais, en troisième année, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas pour moi. C’est la raison pour laquelle j’ai ensuite poursuivi mes études à HEC.

Vous êtes l’un des plus gros donateurs de Sciences  Po. Pourquoi avez-vous choisi de vous investir auprès de votre ancienne école ?

Tout d’abord, ma culture professionnelle est vraiment américaine, ou anglo-saxonne. Lorsque l’on a vécu près de 20 ans à New York, on est façonné par le fonctionnement et le mode de pensée de la population. En France, cela se fait moins, mais aux États-Unis, ceux qui « réussissent » – ou même les plus modestes – ont pour habitude de rendre une partie de leur argent à leur alma mater, leur université. Pour moi, c’était un devoir de rendre un peu de ce que j’ai reçu à Sciences Po.

Autre élément important : ma rencontre avec Richard Descoings et Nadia Marik, en 2008 ou 2009. J’ai eu un véritable coup de foudre pour le nouveau projet de Sciences  Po, la façon dont Richard Descoings transformait l’école : l’internationalisation, l’ouverture sociale, etc. C’est à ce moment-là que je me suis engagé financièrement. 

Vous avez à nouveau décidé de vous engager, pour l’Artillerie. Quelles étaient les raisons derrière ce choix ? 

J’ai immédiatement adoré le projet, je pense qu’il va transformer Sciences  Po. L’implantation de l’école en plein Paris est, selon moi, indispensable pour être au cœur des débats politiques, économiques et sociaux, d’autant plus dans un pays hyper-centralisé comme la France. Le projet du campus 2022, autour de l’Artillerie, nous permet de tenir notre position et, surtout, de nous agrandir, avec un bâtiment magnifique. C’est un luxe immense ! D’autant que le bâtiment de l’Artillerie permet une véritable continuité géographique, puisqu’il communiquera avec le 13, rue de l’Université. C’est quelque chose d’unique, aucune autre grande école française n’a un aussi grand campus en plein Paris.

J’espère que les jeunes générations se rendent compte de leur chance et de l’énorme travail effectué par Frédéric Mion et toute son équipe pilotée par Charline Avenel, la secrétaire générale de Sciences Po. Là, c’est l’homme d’affaires qui vous parle, mais réussir à négocier avec le ministère de la Défense, convaincre les partenaires de vous suivre, les banques de vous financer, monter un projet architectural, ce n’est pas une mince affaire… Le résultat en vaut la chandelle !

Campus 2022 est bien plus qu’un simple projet immobilier, c’est hautement symbolique car c’est une véritable transformation pour l’école. On louait plus d’une dizaine de sites éparpillés dans le quartier. Désormais, on va pouvoir tout regrouper sur un site merveilleux, ouvert, transparent, moderne. Richard Descoings serait très heureux de ce projet. Selon moi, c’est le parachèvement de son œuvre, lui qui a tant donné pour Sciences  Po. 

Passage végétalisé qui permettra le passage entre l'Artillerie et le 13, rue de l'Université 

Illustration : Sogelym Dixence/ Wilmotte & Associés / Moreau Kusunoki Architectes

Au-delà de la localisation du site, que pensez-vous du projet architectural ?

Je trouve que les propositions du groupement architectes-promoteur retenu sont très intéressantes. L’idée de casser le bâtiment construit dans les années 1940, au milieu de la cour Gribeauval, et de le remplacer par un espace beaucoup plus ouvert, avec de la verdure et de la transparence, est excellente. L’utilisation du verre aura un très beau rendu architectural et cela reflète bien ce qu’est Sciences  Po : une école très ouverte sur l’extérieur ; sur les idées, sur la cité, sur l’international…

Pensez-vous que ce campus urbain va permettre d’augmenter le rayonnement international de Sciences Po ?

Le rayonnement et l’attraction internationale sont, en effet, des éléments fondamentaux. Richard Descoings l’avait compris puisqu’il s’était décidé à entrer dans la course à l’internationalisation, il y a une vingtaine d’années, en commençant par internationaliser les étudiants. Cela a énormément renforcé l’image de Sciences  Po. Là, nous passons à une étape supérieure : avec ce nouveau campus, extrêmement moderne et connecté, en plein cœur de la cité, nous proposons un cadre unique aux étudiants étrangers qui viennent étudier en France. 


« Mes années rue Saint-Guillaume »

 

Entrée du 27 rue Saint-Guillaume, en 2006 (Crédit : CC/peco

Si vous deviez qualifier Sciences  Po en trois mots…

Ouverture, parce que j’ai découvert tellement de choses à Sciences  Po : le droit, l’économie, les sciences politiques, les affaires internationales. Ce fut une ouverture, un éblouissement énorme. Lieu de connaissance : j’ai appris beaucoup en peu de temps. J’ai eu l’impression de faire un saut qualitatif dans mes études. International : cette dimension est plus récente, mais elle est essentielle dans l’identité du Sciences  Po d’aujourd’hui. 

Quelles sont les principales compétences que vous avez développées à Sciences  Po ?

Sciences  Po m’a inculqué les bases dans les matières qui me servent aujourd’hui dans mon métier à apprécier les évènements financiers, économiques et politiques. Cette école m’a également appris à mettre en forme mes pensées, à parler en public, à faire des présentations. Il y a un côté fond et un côté forme, qui m’ont structuré en tant qu’adulte. Sciences  Po
a été, pour moi, un passage de l’adolescence à l’âge adulte, en termes de pensée. 

Les lieux emblématiques de vos études à Sciences  Po ?

Je traînais pas mal autour de la péniche, comme tous les étudiants, je crois ! J’adorais également aller en bibliothèque. Ma préférée était celle de la rue des Saints-Pères : elle était très calme, avec une vue sur le jardin. À l’époque, au 56, il y avait un étage qui était consacré à l’économie et, comme j’aimais beaucoup l’économie, j’aimais y traîner mes guêtres et passer du temps dans cette salle, beaucoup plus calme que la bibliothèque du 27. Il y avait donc un aspect studieux, mais aussi un aspect social parce qu’à l’époque il n’y avait pas Internet, donc la bibliothèque était aussi un lieu de socialisation, où l’on retrouvait ses amis.