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Frank Jensen, maire de Copenhague : "Les villes doivent jouer un rôle de locomotive pour faire avancer la cause écologique."

Ces dernières années, la capitale danoise s’est érigée en modèle : nommée Capitale verte de l’Europe en 2014, elle est également connue pour être le paradis des cyclistes et l’une des capitales européennes les plus agréables à vivre. Pour autant, Copenhague ne se repose pas sur ses lauriers et poursuit des objectifs ambitieux, notamment la disparition de ses émissions de carbone d’ici à 2025. Pour comprendre ce qui fait la réussite du modèle copenhaguois, Émile est parti à la rencontre de Frank Jensen, maire de la ville depuis janvier 2010.

Franck Jensen, maire de Copenhague (Crédit photo: Carlsen)

Propos recueillis par la rédaction d'Émile - Traduction Laurence Bekk-Day (promo 18)

Pourriez-vous nous décrire Copenhague en quelques mots ?

Notre ville est mondialement connue pour son amour du vélo, et a d’ailleurs été récemment élue meilleure ville cyclable au monde. C’est une réelle fierté pour nous. Le vélo est un mode de vie ici, et nous sommes déterminés à ce que la ville reste un paradis pour cyclistes. Copenhague est aussi régulièrement en tête du classement des métropoles offrant la meilleure qualité de vie. C’est l’une des villes les plus écologiques au monde. Nous avons atteint cet objectif car notre conviction est que la croissance, la qualité de vie et le respect de l’environnement vont de pair.

Selon vous, quels défis attendent Copenhague pour les 20 prochaines années ?

Il est vital que Copenhague reste accessible à tous. Je ne veux pas d’une ville dans laquelle les quartiers riches et les quartiers pauvres sont séparés les uns des autres. Ce qu’il faut, c’est un parc immobilier abordable, des écoles publiques de haut niveau, un air non pollué et une qualité de vie enviable, et ce pour tous les Copenhaguois. Dans le futur, notre projet est de rendre Copenhague encore plus écologique, encore plus plaisante et encore plus adaptée au vélo. Cela implique davantage d’espaces verts, de bandes cyclables et de nouveaux ponts expressément réservés aux cyclistes, pour que le plus grand nombre possible de Copenhaguois adoptent le vélo plutôt que la voiture.

La ville de Copenhague compte 435 km de pistes cyclables (DR)

Votre objectif est de faire de Copenhague la première capitale européenne neutre en carbone d’ici à 2025. Êtes-vous sur la bonne voie ?

Nous avons déjà bien progressé. Depuis 2005, les émissions de CO2 de la ville ont été réduites de 33 %. Je suis donc persuadé que notre objectif de neutralité carbone est tenable. Nous l’accomplirons grâce à une transition écologique de notre production et de notre consommation énergétiques et grâce à des transports « verts ».

Copenhague se veut un laboratoire de la ville intelligente
et connectée. Comment l’informatique et la technologie peuvent-elles vous aider à réussir votre transition écologique ?

Pour atteindre la neutralité carbone, il faudra consentir de gros efforts, mais également s’appuyer sur toujours plus d’innovation. C’est un challenge important, mais c’est aussi l’occasion de développer de nouvelles solutions intelligentes pour y parvenir. Le Copenhagen Solutions Lab est l’incubateur technologique de la ville, qui travaille sur la « smart city ». Le Street Lab, qui fait partie du Solutions Lab, est un laboratoire urbain où une partie de la ville intra-muros a été équipée de capteurs intelligents pour gérer en temps réel la circulation, la qualité de l’air et le stationnement. Dans un cadre expérimental, nous avons, par exemple, récemment mis en place des capteurs de qualité de l’air ainsi qu’une gestion intelligente des déchets, grâce à un système qui nous informe lorsque les conteneurs doivent être vidés.

Crédit photo: Kontaframe

Vous êtes un participant actif du C40 [un réseau mondial de villes qui s’unissent pour lutter contre le changement climatique, NDLR]. Copenhague est en première ligne contre le changement climatique. Avez-vous l’impression que votre capitale est un exemple en matière d’écologie ?

Le C40 a un bureau permanent à Copenhague depuis l’année dernière. C’est une manière officielle de reconnaître notre position de leader écologique. Nous cherchons toujours à provoquer un effet boule de neige avec nos solutions « vertes », en espérant que d’autres villes s’en inspirent. Nous avons créé des milliers d’emplois dans l’économie verte. Le bureau permanent du C40 nous permet d’améliorer sans cesse nos résultats, et suscite une émulation entre métropoles.

La grande couronne de Paris compte 12 millions d’habitants. La métropole de Copenhague en compte 1,3 million. Pensez-vous qu’une ville moins peuplée peut se permettre d’être plus innovante sur le plan environnemental ?

Copenhague est, en effet, une ville à taille humaine ; relativement petite par rapport à certaines autres du réseau C40. C’est vrai que la superficie contenue de Copenhague nous avantage lorsqu’il s’agit de mettre en place nos innovations vertes et de les dimensionner. Mais la superficie n’est pas un facteur essentiel : les tâches à accomplir pour créer une ville verte restent fondamentalement les mêmes, peu importe la taille. Il faut une vision politique, de la détermination, et surtout des investissements financiers considérables. Pour vous donner un ordre d’idée, nous avons investi plus de 100 millions d’euros en dix ans, rien qu’en infrastructures cyclables. Cela nous a permis de créer plus de 435 kilomètres de bandes cyclables, ainsi que des ponts et des « véloroutes » réservés aux seuls cyclistes. Certaines de ces réalisations urbaines sont impressionnantes, comme le Cykelslangen [une route cyclable aérienne qui serpente entre deux rives de la capitale, NDLR], le Cirkelbroen [littéralement « pont de cercles », fait de cinq plateformes en forme de cercle incitant à la déambulation, NDLR] ou encore le pont Inderhavnsbroen [inauguré en 2016 et qui relie l’ancienne et la nouvelle ville, NDLR].

Crédit photo: Kontaframe

Quel rôle doivent jouer les villes dans la transition énergétique, selon vous ? Doivent-elles prendre les devants et remplacer les États sur les questions environnementales ?

Les villes les plus peuplées au monde représentent un total de centaines de millions d’habitants. Elles jouent un rôle important : des changements mis en place localement débouchent sur des résultats concrets et permettent d’assurer un avenir plus durable. Nous voyons bien qu’aujourd’hui les nations ont quelques difficultés à assumer leurs responsabilités dans le domaine du changement climatique. Il est donc absolument essentiel que les villes jouent un rôle de locomotive, pour que les gouvernements nationaux soient plus disposés à faire avancer la cause écologique.

Quelle image avez-vous de Paris ? Quelles sont, selon vous, les forces et les faiblesses de la capitale française ?

Paris est une ville admirable, à la vie culturelle unique. C’est une capitale qui a déjà adopté beaucoup de solutions écologiques. La volonté d’y interdire les véhicules diesel et essence à l’horizon 2030 a encouragé d’autres villes à progressivement bannir les véhicules diesel. Mais Paris fait actuellement face à une pollution de l’air élevée et à des embouteillages importants ; certaines solutions écologiques adoptées par Copenhague pourraient régler une partie de ces problèmes. L’utilisation du vélo, par exemple, est une solution efficace pour mieux gérer l’espace public, pour avoir un air plus pur, une ville moins bruyante et des citoyens en meilleure santé. De plus, la quasi-totalité des bâtiments de Copenhague est dotée d’un chauffage urbain écologique ; nous pouvons ainsi nous passer de charbon et de pétrole, aux premiers rangs des causes de pollution. 


Copenhague en chiffres:

  • 600 000 Le nombre d’habitants qu’abrite la capitale. L’agglomération, elle, en compte 1,3 million.
  • 435 km La longueur totale des pistes cyclables à Copenhague.
  • 63 % Le pourcentage de résidents de Copenhague allant à l’école ou au travail à vélo.
  • 2 km La longueur de la première rue piétonne au monde, construite à Copenhague en 1962.