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Analyse - Intelligence Artificielle : quelles sont les ambitions de la Chine ?

L’annonce récente de la mise en place par le gouvernement chinois d’un « système de crédit social » a suscité de vives inquiétudes et démontré l’avancement de la Chine en matière d’Intelligence Artificielle. D’ici à 2020, chaque citoyen chinois se verra attribué une « note de confiance » grâce à la collection de centaines de données sur les individus et les entreprises, à partir de laquelle seront attribués ou retirés certains droits. Une telle collection de données témoigne d’un avancement certain du pays en IA, mais également d’une forte volonté de généraliser son utilisation. Alors, quelles sont les ambitions de la Chine en matière d’Intelligence Artificielle ? Aifang Ma, doctorante à Sciences Po, nous livre son analyse et un état des lieux du développement de l’IA dans l’Empire du milieu.

Exposition de robots à la Beijing International Consumer Electronics Expo 2017 / Shutterstock

En Chine, le 11 novembre est une date spéciale, non pas parce qu’elle marque l’armistice de la première guerre mondiale, mais parce qu’elle est considérée comme la fête des célibataires. L’importance de cette journée vient d’une imagination commerciale pure, selon laquelle la composition de quatre chiffres identiques « 1 » signifie le rassemblement des célibataires. La création de cette journée profite largement aux commerçants électroniques qui réalisent des chiffres d’affaires toujours plus importants. En cette seule journée de 11 novembre 2017, le Groupe Alibaba, le plus grand commerçant électronique chinois et leader mondial de l’e-commerce, a gagné 25 milliards de dollars, soit une augmentation de 40% par rapport à 2016 et de 83% par rapport à 2015.

Le succès triomphal des commerçants électroniques chinois s’explique entre autres par l’application généralisée de l’intelligence artificielle. Cette technologie permet aux entreprises de concevoir et de diffuser des publicités avec précision, et d’identifier les groupes de personnes et les régions du pays auprès desquels les articles enregistrent les meilleures ventes.

Intelligence artificielle : une ardente priorité chinoise

La Chine s’impose de nos jours comme l’un des pays les plus avancés en IA. Le Conseil des Affaires d’État a publié en juillet 2017, le Plan national de développement de la nouvelle génération d’intelligence artificielle, dans le cadre duquel la Chine se fixe l’objectif de devenir leader mondial de l’IA en 2030. Ce plan s’organise autour de trois ambitions.

Pour 2020, la Chine devrait avoir réalisé des progrès spectaculaires dans les théories fondamentales et les technologies clés liées à l’IA. Le secteur en Chine vaudrait environ 23 milliards de dollars et les secteurs liés à 156 milliards de dollars. Pour 2025, l’IA deviendrait la dynamique principale de croissance économique et de mise à niveau de l’économie. Un cadre juridique et éthique et un système de lois et réglementations prendraient forme. Le secteur vaudrait alors 63 milliards de dollars et les secteurs liés à 781 milliards de dollars. Pour 2030, la Chine deviendrait serait devenue le leader mondial en IA. Elle serait le centre mondial d’innovation et une référence pour la réglementation des IA. Le cadre juridique et éthique de cette technologie atteindrait aurait atteint sa maturité. L’industrie chinoise de l’IA vaudrait 156 milliards de dollars et 1562 milliards de dollars pour les secteurs liés.

La Chine s’investit lourdement dans le secteur de l’IA. D’ici 2020, un montant total de 150 milliards de yuans (23,86 milliards de dollars) sera alloué aux universitaires, aux incubateurs ou aux start-ups pour les aider à développer leur expertise en IA. Cette somme pourra même atteindre 400 milliards de yuans (63,62 milliards de dollars).A titre de comparaison, en 2015, le gouvernement américain a investi 1,1 milliard de dollars dans la recherche et le développement des technologies relatives à l’IA[1]. En France, le président Emmanuel Macron a, dans son discours du 29 mars 2018 au Collège de France, déclaré que le pays investira 1,5 milliards d’euros (1,85 milliards de dollars) dans l’IA pendant son quinquennat.

L’IA se révèle comme un domaine où la concurrence entre la Chine et les États-Unis s’intensifie. The National Artificial Intelligence Research and Development Strategic Plan, publié en octobre 2016 par le American National Science and Technology Council (NSTC), branche exécutive chargée de la coordination des politiques scientifiques et technologique du gouvernement américain, montre qu’à partir de 2014, les États-Unis ne sont plus la première nation en termes de publications sur l’apprentissage profond et cèdent la place à la Chine. En réalité, cette dernière dépasse les États-Unis non seulement en matière de publication sur l’apprentissage profond, mais dans l’ensemble des publications liées à l’IA. Entre 2001 et 2010, les États-Unis comptaient 6046 publications contre 554 en Chine. De 2011 à 2015, la Chine s'est placée en première position mondiale en terme de volume de publications.      

Rien d'étonnant donc à ce que la Chine attire plus d’investissements pour soutenir l’intelligence artificielle. En 2017, 15,2 milliards de dollars ont été investis à l’échelle mondiale dans des start-ups spécialisées dans l’IA. Près de la moitié de ces investissements sont directement allés en Chine, contre 38% aux États-Unis.

Exposition de robots à la Beijing International Consumer Electronics Expo 2017 / Shutterstock

Visées stratégiques de l’Empire du Milieu

Les sommes colossales investit dans l'IA par la Chine aux États-Unis, en Europe et dans les pays d'Asie du Sud-Est suscitent des inquiétudes. Ces interrogations sont compréhensives, toutefois, il faut nuancer l’idée que la montée de la Chine dans l’IA pourrait représenter une menace pour la sécurité internationale.  L’IA est pour tous les pays du monde à la fois un enjeu de croissance économique et de sécurité nationale. Il est donc normal qu’un pays ambitionne de se positionner en leader mondial en IA et il ne doit pas être dénoncé pour ce choix. Les angoisses et les soupçons à l’encontre de la Chine s’expliquent avant tout par le fait que ce pays est un nouveau challenger sur la scène internationale.

La Chine a un immense besoin d’intelligence artificielle pour résoudre les problèmes internes. Elle est à l’heure actuelle la plus grande émettrice de gaz à effet de serre dans le monde. Elle doit aussi améliorer les services publics au profit de 1,3 milliards d’habitants, d’autant plus que la société chinoise est déjà en vieillissement. Les intelligences artificielles aideront la Chine à relever les défis domestiques, ce qui est dans l’intérêt de la communauté internationale, sinon les pays risquerait d'exporter ses problèmes et de contribuer à l'instabilité internationale.

L'application de l'IA doit pouvoir servir à promouvoir la croissance de l'économie et à préserver la sécurité nationale. La campagne nationale de réduction de la surcapacité industrielle a été lancée pendant le premier quinquennat du président Xi Jinping. 500 millions de tonnes de charbon et 100 à 150 millions de tonnes d'acier doivent disparaître de 2016 à 2020. 1,8 millions de postes dans le secteur sidérurgique seront supprimés. Cette décision entraînera certainement la fermeture de nombreuses usines et le chômage des ouvriers. Avec l'IA, la Chine pourrait trouver une nouvelle dynamique de développement économique qui soit plus économe en énergie et qui pourra créer une nouvelle période de prospérité économique continue pendant une dizaine d'années voire plusieurs décennies. 

Les actions de la Chine en matière d’IA doivent être considérées au travers du prisme de l’établissement d’un nouvel ordre international. Le pays souhaite d'ailleurs figurer parmi les États qui établissent les règles et les normes internationales de l’IA. Par exemple, à l’appui de l’initiative One Belt One Road, la Chine envisage de se lancer dans la création de bases de coopération internationale en IA et l’établissement de centres de recherche communs. Elle soutient la mise en place d’organisations internationales de régulation pour fixer ensemble les standards internationaux. 


[1] The National Artificial Intelligence Research and Development Strategic Plan, National Science and Technology Council, October 2016.

[2] Le Vent de la Chine, « L’intelligence artificielle, dada chinois #2 », Le Petit Journal, le 19 février 2018