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Bernadette Chirac : "Je voulais que mon mari réussisse dans la vie"

Pour rendre hommage à Jacques Chirac, décédé ce 26 septembre, Émile vous invite à redécouvrir l’interview que son épouse, Bernadette, nous avait accordée au printemps 2016. Elle se confiait alors sur la vie qu’elle menait aux côtés de cet illustre diplômé de Sciences Po (promo 54), rencontré rue Saint-Guillaume.

Quand avez-vous vu Jacques Chirac la première fois ?

Mon grand-père de Courcel était diplômé de Sciences Po. Plusieurs oncles, frères de mon père, l’étaient également. Beaucoup de mes amis étaient ici. Comme j’ai eu mon bachot très tôt, et avec mention, j’ai naturellement eu envie d’intégrer Sciences Po moi aussi. Je me suis donc retrouvée Rue Saint-Guillaume, dans une conférence telles qu’elles existent encore sûrement aujourd’hui.

Un très bon ami, déjà en troisième année, Georges de Grandmaison, m’avait donné un conseil, parce que j’étais très timide : « On va vous proposer des exposés. Prends le premier. » C’est ce que j’ai fait. Et mon mari, que je ne connaissais alors pas du tout et qui était assis à l’autre bout de la salle, s’est dit : « Voilà une fille qui a du culot ! Elle a calculé son affaire. » Il s’était complètement trompé car j’étais en effet d’une timidité terrible. J’ai été élevée extrêmement sévèrement, dans l’enseignement catholique. Heureusement, cela m’est passé : quand on épouse Jacques Chirac, mieux vaut ne pas être trop réservée !

Ensuite, il s’est mis à me téléphoner sans arrêt ! Cela exaspérait ma mère. Il faut dire que nous avions les combinés peu commodes de cette époque. Évidemment, je vous parle de quelque chose qui ne vous dit rien… Récemment, parce que je n’avais pas de portable, une amie m’a offert un iPhone. Du coup, je prends des leçons particulières, mais je ne suis pas prête de l’emporter avec moi : j’ai peur de le perdre et je ne suis pas assez calée pour l’utiliser… Bref, tout ça pour dire que Jacques Chirac me téléphonait sans arrêt. Maman venait dans ma chambre et me lançait : « Dépêchez-vous, c’est encore ce garçon ! » Et j’allais vite à l’appareil.

Un jour, vers 7 heures du soir, on reçoit un télégramme de mon père, depuis son bureau : « Prière de libérer la ligne. » Nous étions au téléphone depuis 3 heures de l’après-midi !… Je l’ai gardé en souvenir.

Je ne dirais pas que Jacques Chirac me faisait une cours assidue, c’était comme ça ; il a toujours eu besoin de parler. Il avait trouvé un pigeon !

© AFP

En construisant votre vie auprès de Jacques Chirac, avez-vous dû faire des sacrifices sur certaines de vos ambitions ?

Vous savez, je voulais que mon mari réussisse. C’était un garçon exceptionnel ! Je ne vous parle pas de la première année où il agitait ses jambes sous la table, mais du fait qu’il soit entré directement à l’ENA, sans année préparatoire, en sortant du diplôme de Sciences Po. Là, je me suis dit : « C’est quelqu’un de pas ordinaire. » .

Il n’était pas spécialement destiné à la politique : à la sortie de l’ENA, il est allé à la Cour des comptes. Mais bon, mon mari, des chiffres toute la journée…

Très vite, il a été sollicité pour entrer au secrétariat général du gouvernement. Georges Pompidou, alors Premier ministre, a repéré ce grand escogriffe et interpellé un membre de son cabinet : « Qui est ce type qui prend des notes rapidement et qui a l’air d’écrire très vite ? Arrangez-moi un rendez-vous avec lui. » Mon mari est donc allé voir Georges Pompidou qui lui a dit : « Chirac vous êtes fait pour faire de la politique. » C’est comme cela que tout a commencé. Il a ajouté : « Vous vous présenterez dans le Ve arrondissement. » « Non, Monsieur le Premier ministre. Ma famille est originaire de Corrèze. » « Vous serez battu, a répondu Georges Pompidou. Le Limousin est une région de gauche, vous n’avez aucune chance. » Alors ça, renoncer à une circonscription facile pour aller se présenter sur une terre de conquête, ça m’a piquée ! Et j’ai voulu l’aider autant que j’ai pu.

Au volant de ma voiture, j’ai commencé mes tournées : les mairies, les maisons de retraite, les salles communes. Vous savez, ça sert : on voit les familles, on se présente. C’est important d’être sur le terrain le plus souvent.

Quels souvenirs gardez-vous de ces premières expériences de campagne, au côté de votre mari ?

Il fallait beaucoup marcher, ne pas être un mollusque et avoir une bonne santé ! Nous avions loué un F2 près de la gare d’Ussel. Il faisait un froid épouvantable en hiver. Nous arrivions en pleine nuit pour nous allonger un peu et hop ! Il recevait les gens dès 7 heures du matin. C’était juste avant sa première élection. Les Corréziens faisaient la queue sur le palier, piétinaient, certains s’asseyaient même sur notre lit ! Moi, je tenais à ce qu’il soit élu, même si Pompidou nous avait annoncé son échec.

Que retenez-vous de vos années en tant que première dame ?

J’ai aimé représenter la France. Je l’ai fait du mieux possible. D’une certaine façon, je suis entrée dans la machine en m’occupant beaucoup de l’Élysée. J’ai tenté d’en embellir l’intérieur, chargé d’histoire. J’ai refait le parc, en prenant un vrai chef jardinier. Après l’élection de François Hollande, Valérie Trierweiler, que je ne connaissais pas, m’a téléphoné et m’a dit : « Viendriez-vous prendre une tasse de thé ou de café avec moi ? Je suis perdue. Vous pouvez me donner quantité de conseils. » J’y suis donc allée, et voici ce que je lui ai recommandé : « Tous les jours, sauf ceux où vous serez en visite officielle à l’étranger, vous consacrerez une heure ou une demi-journée si nécessaire à l’une des équipes de l’Élysée. » Pour ma part, un jour je passais deux heures avec les argentiers, l’autre j’allais aux cuisines. Il m’arrivait également d’aller au sous-sol voir les membres du mobilier national. Puis, pas souvent car je ne suis pas du matin, il m’arrivait de mettre mon réveil et de descendre aux alentours de 6 h 30 voir les équipes de ménage.

Cela étant dit, avez-vous eu le sentiment d’influencer Jacques Chirac sur l’une de ses décisions ?

Je ne crois pas… Nous parlions beaucoup ensemble des décisions qu’il avait à prendre. J’aurais dû parfois peut-être donner mon avis avec plus de force. Par exemple, j’étais contre la dissolution et je n’avais pas tort. Nous évoquions beaucoup Néron (Dominique de Villepin, NDLR). Je lui disais l’amour fou que je lui portais… Mais, quoi qu’il en soit, je n’avais pas à exiger le départ de l’un des membres du cabinet de mon mari, et pas des moindres, puisqu’il s’agissait du secrétaire général, devenu par la suite Premier ministre.

Et de toute façon, mon mari était un homme de devoir, un énorme travailleur, il avait un sens politique aigu. Il n’aurait pas fait une telle carrière sinon, et ne susciterait pas cette sorte d’amour que les gens continuent à lui porter. Des personnes m’arrêtent régulièrement chez les commerçants, dans les hôpitaux, partout, pour me témoigner leur admiration à son égard. Jacques Chirac a empêché la France d’entrer dans la guerre en Irak. Ça, les Français ne l’ont pas oublié !

Qu’avez-vous pensé de la réélection de Jacques Chirac en 2002, dans ce contexte si particulier ? Le président et les hommes qui l’entouraient en ont-ils tiré toutes les conditions nécessaires ?

Vous me dites cela à cause de Marine Le Pen… Il est probable que le deuxième mandat de mon mari aurait pu être plus dense. Il aurait pu faire plus de choses, notamment autour de l’éducation nationale. Le sujet est extrêmement délicat : avec cette violence des adolescents vis-à-vis du corps enseignant, celle des parents qui n’acceptent pas que leur enfant soit puni. On ne respecte plus les enseignants qui, pour beaucoup d’entre eux, n’ont plus le feu sacré. Mais il y a eu aussi un manque de temps.

Le président Jacques Chirac et sa femme, le 24 mars 2007, se rendant à la Philarmonie de Berlin pour les célébrations du 50e anniversaire du Traité de Rome. © PATRICK KOVARIK/AFP

Cet entretien a été initialement publié dans le numéro 5 d’Émile.