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Projet de loi sur l'état d'urgence sanitaire : coulisses d'un débat parlementaire exceptionnel

Le projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire a été adopté par le Parlement dimanche 22 mars dans des conditions exceptionnelles. L’épidémie de Covid-19 a contraint l’Assemblée nationale et le Sénat à modifier leur manière de fonctionner ; un tel chamboulement est une première dans l’histoire de la Ve République. Bernard Rullier, fin connaisseur du Parlement français et professeur à Sciences Po, raconte à Émile les coulisses de l’adoption de ce projet de loi.

Hémicycle du Sénat (Crédits : CC/WikimediaCommons)

Le Parlement a adopté le projet de loi permettant d’instaurer un état d’urgence sanitaire. Comment s’est passé le débat ?

Autant le Parlement a trouvé un accord sur le projet de loi de finances rectificative (voté jeudi 19 mars par l’Assemblée nationale et le lendemain par le Sénat) et pour la loi organique qui aménage les délais des QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) susceptibles d’être transmises au Conseil constitutionnel, autant la loi portant mesures d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, a fait l’objet d’un désaccord. Ce désaccord a été surmonté par une commission mixte paritaire qui s’est réunie dimanche matin (le 22 mars). Le texte a été définitivement adopté dimanche soir.

Avec une célérité quasi inédite (comparable toutefois à la crise financière de 2008 et pour sauver la Grèce), la délibération parlementaire a été aménagée mais respectée : des rapports écrits des commissions saisies au fond ont été élaborés, les commissions saisies pour avis se contentant de rapport oraux, des amendements ont été déposés et discutés, des séances tenues avec des effectifs réduits mais représentant tous les groupes, et les textes enrichis, aménagés et précisés par les assemblées.

L’opposition a-t-elle formulé des observations pendant l’examen de la loi ?

Un vrai débat a eu lieu. Un consensus s’est dégagé au Sénat contre le délai proposé initialement pour repousser le dépôt des listes pour le second tour des municipales et pour l’avancer. La Commission mixte paritaire s’est mis d’accord sur le mardi 2 juin. La gauche a contesté les dispositions aménageant le droit du travail. Si le collectif budgétaire a été  adopté à l’unanimité des députés (572 voix pour sur 577 !) et des sénateurs, moins l’abstention des communistes, les parlementaires socialistes se sont abstenus sur la loi d’urgence et les communistes, comme La France insoumise, ont voté contre. Tous les autres groupes ont voté pour.

Concrètement, que comporte ce projet de loi ?

Il reporte le second tour des élections municipales, crée un état d’urgence sanitaire, limite les libertés fondamentales et habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances dans le domaine économique éducatif, culturel et social, pour simplifier la vie des entreprises, assurer la continuité des juridictions, et faciliter le fonctionnement des collectivités territoriales pour affronter la crise sanitaire. 

Les dispositions contenues dans ce texte vont-elles être appliquées immédiatement ?

L’état d’urgence sanitaire sera déclaré pour une durée de deux mois à compter de la promulgation de la loi, qui ne sera sans doute pas soumise au Conseil constitutionnel. Il faudra une nouvelle loi pour la prolonger mais il pourra cesser par un décret en conseil des ministres.

Est-ce la première fois sous la Ve République qu’un vote sur un projet de loi a lieu dans de telles conditions ?

C’est la première fois de notre histoire politique que le Parlement se réunit dans de telles conditions. Même pendant la Grande guerre, il pouvait se réunir en comité secret, sans compte-rendu de ses travaux, mais n’a jamais connu un tel fonctionnement autant dégradé. Chaque groupe a accepté de déléguer une partie de ses membres pour délibérer dans les deux assemblées en « comité réduit ».

D’une manière plus générale comment fonctionne le Parlement durant cette crise sanitaire majeure et à l’heure du confinement imposé ?

Le Parlement avait ajourné ses travaux deux semaines pour les élections municipales et devait se réunir à nouveau à compter du lundi 23 mars. Il a siégé quatre jours, adopté trois projets de lois et a décidé d’ajourner ses travaux pendant les trois prochaines semaines. Les autorités politiques ont veillé à concilier la protection sanitaire de ses membres, élus, collaborateurs et fonctionnaires, et un fonctionnement régulier des pouvoirs publics, avec la tenue de séances de questions d’actualité au Gouvernement chaque mercredi comme l’a proposé le Président du Sénat. De nouvelles adaptations seront nécessaires pour assurer le suivi de l’application de ces textes, comme l’on évoqué les présidents Hervé Marseille et Philippe Bas, et notamment pour informer le Parlement en amont du contenu des ordonnances.

Le Sénat était-il préparé à ce type de situation ?

Autant que les autres institutions face à une crise sanitaire inédite… Une expérimentation du télé-travail était en cours au sein de l’administration. La situation sanitaire l’a généralisé à grande échelle afin de permettre la continuité du fonctionnement du Parlement en mode dégradé.