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Confinement : quel impact sur le secteur de la restauration ?

Le 14 mars, Emmanuel Macron a annoncé la fermeture des cafés et restaurants sur tout le territoire. Les établissements n’ont eu que quelques heures pour organiser leur fermeture le soir-même, à minuit. Comment ont-ils géré leurs stocks ? Parviennent-ils à maintenir un minimum d’activité grâce aux livraisons ? Quelles seront les conséquences économiques du confinement pour le secteur ? Pour faire le point sur la situation, Émile s’est entretenu avec le directeur général de l’Association Française des Maîtres Restaurateurs, Enrique Muzard.

Le 16 mars 2020, à Bayonne, cafés et restaurants fermés à la suite des mesures annoncées le 14 mars par le président de la République française. (Crédits : Thomas Dutour/Shutterstock)


Qui sont les “Maîtres Restaurateurs” ?

Créé en 2007 à l’initiative du ministère des PME, du Commerce et de l’Artisanat dans le cadre du contrat d’avenir pour la restauration, le titre de maître restaurateur récompense le  professionnalisme conjugué d’un Chef et de son établissement. C’est le premier et le seul titre officiel de la restauration traditionnelle indépendante : il est reconnu et décerné par l’État après un audit de contrôle réalisé par un organisme indépendant. Ce label, s'appuie sur un cahier des charges qui mêle professionnalisme et qualifications du chef, traçabilité et saisonnalité des produits ou encore exigence d'une cuisine entièrement faite maison.

Plus de 3 800 professionnels en sont aujourd’hui titulaires, dans toute la France.


La décision de fermer les restaurants a été annoncée le samedi 14 mars, aux alentours de 19h, pour une mise en application à minuit. Les délais étaient-ils trop courts pour que les restaurateurs puissent s’organiser ?

Les Maîtres Restaurateurs, comme tous les Français, ont été obligés de s’organiser au plus serré pour respecter les obligations sanitaires. Nous savions bien entendu que face au Covid-19 nous ne pourrions pas continuer comme si de rien n’était. Oui, des délais si courts ont créé de vraies difficultés pour fermer dans les meilleures conditions nos établissements, mais aussi nous occuper des personnels en salle et en cuisine. Toutefois, il faut distinguer l’accueil du public, qui s’arrête d’un coup, et la gestion de la crise pour un restaurant, qui prend plus de temps.

Les Maîtres Restaurateurs comprennent-ils tout de même la nécessité d’une telle mesure prise dans des délais aussi serrés ?

Il serait irresponsable de ne pas comprendre que les enjeux sanitaires sont prioritaires, et les Maîtres Restaurateurs sont tout sauf irresponsables. Donc oui, la compréhension est là, mais cela n’empêche pas un sentiment de désarroi des professionnels passionnés : pour les Maîtres Restaurateurs, il y a un engagement fort pour nourrir de façon durable et responsable leurs clients, pour éduquer aux bonnes choses les Français. Mais les Maîtres Restaurateurs ont l’habitude de s’adapter à de nombreuses contraintes, on pourrait dire que nous sommes, en reprenant un terme à la mode, des professionnels « agiles »…

En règle générale, comment se sont organisés les restaurateurs, notamment concernant leur stock ?

Nous n'avions pas d'organisation des stocks en amont, même si la fréquentation était en baisse les derniers jours, nous avions prévu nos marchandises pour le week-end et pour certains d'entre nous le lundi. Un grand nombre de Maîtres Restaurateurs ont coutume d'ouvrir le samedi et dimanche, à Paris comme en région.

Les stocks de produits ont donc connu plusieurs destinations :

  1. Certains produits ont été préservés sous vide, pour ceux qui avaient le matériel, avec une date de péremption, dépassée quand le confinement sera prolongé ;

  2. La capacité de meuble en froid négatif chez les Maîtres Restaurateurs étant faible, très peu de produits ont été congelés, conformément à notre charte ;

  3. Des plats ont été préparés pour la vente à emporter ou la distribution de plateaux-repas ;

  4. Beaucoup de restaurants ont donné de la marchandise à leurs collaborateurs, à leurs familles, aux personnes sans domicile fixe ou à des associations ;

  5. Enfin et c'est sûrement le geste le plus dur qui soit, beaucoup de denrées ont été jetées.

Économiquement la perte sur les stocks représente environ 20 % du CA journalier. Après la fermeture du 15 mars, plusieurs millions d'euros sont ainsi partis en déchets en France. Nous sommes bien sûrs solidaires de cette crise sanitaire sans précédent, mais les pertes d’exploitation devront être chiffrées lors de la relance, afin que les assurances assument leurs engagements et leur contrat envers la société. À ce jour, ce message est très peu entendu par les assurances.  

Seule la livraison de repas à domicile reste autorisée. Les Maîtres Restaurateurs sont-ils nombreux à proposer ce service ?

Nous sommes sur le point de mettre en ligne une application en ce sens. Près de 100 Maîtres Restaurateurs ont déjà répondu présents. Néanmoins, malgré la crise, il ne s’agit pas de déroger à nos règles : notre communauté de producteurs locaux est intimement liée à cette opération. Avec nos partenaires "Promus" et "Menu du jour" nous travaillons à la mise en place du circuit logistique dans les strictes règles établies pour garantir la sécurité sanitaire de tous les acteurs de la chaîne jusqu’au client final. J’invite à ce titre chacun à télécharger l’application AFMR Maître restaurateur afin de suivre notre actualité sur le sujet

Avez-vous connaissance d’initiatives solidaires parmi les Maîtres Restaurateurs ?

Nous allons, par exemple, mettre en place entre des producteurs locaux et l’un de nos Maîtres Restaurateurs une livraison de repas pour un hôpital de la Région Grand-Est dès la semaine prochaine. Nos contraintes logistiques ne nous permettent pas d’être aussi rapidement opératifs que des chefs travaillant avec de grosses structures nationales ou internationales d’approvisionnement, mais même en temps de crise, les Maîtres restaurateurs mettent un point d’honneur à respecter la chaîne de valeur qu’ils partagent avec les producteurs locaux et leurs clients. Une forme de « résistance » en quelque sorte.

À moyen-terme, quelles seront les conséquences sur les établissements des maîtres restaurateurs ? Les mesures d’aides économiques annoncées par le gouvernement vont-elles permettre de limiter la casse ?

Je ne vais pas me livrer au jeu des prédictions, et personne ne sait aujourd’hui quand la crise va s’arrêter et surtout dans quel état seront les Français et notre économie. Mais il est évident que de nombreux restaurants ne se relèveront pas. Le gouvernement a annoncé un plan de soutien très puissant, mais les plus petites entreprises sont très dépendantes de leur mise en application pratique.

Notre survie va dépendre du dialogue avec les administrations. Nous assumons nos responsabilités envers notre personnel en salle et en cuisine, nous n’avons pas encore pu installer le chômage partiel, les assurances n’ont pas encore joué leur rôle, nos loyers sont très lourds. Indépendamment du soutien économique, c’est le moral qui est atteint chaque jour un peu plus. Les Maîtres Restaurateurs ont besoin de témoignages de soutien, voire même d’affection… Nous défendons le vivre-ensemble, j’espère qu’il ne disparaîtra pas quand nous vaincrons l’épidémie.