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Hélène de Comarmond : "L’exécutif n’écoute pas les élus locaux qui sont au contact avec le terrain et les populations"

Depuis le début de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, les maires sont en première ligne. D’abord sollicités, parfois contre leur gré, pour organiser le scrutin municipal avec les risques encourus d’une contamination, ils ont été ensuite mobilisés pour organiser le confinement sur leur territoire ainsi que l’aide et le soutien à la population. Ils sont aujourd’hui de nouveau à la manœuvre pour faire appliquer les directives gouvernementales du déconfinement. Comment ont-ils vécu cette période inédite ? Quelles sont leurs craintes pour les prochains jours ? À l’aube du second tour des municipales, nous nous sommes entretenus avec Hélène de Comarmond, maire (PS) de Cachan. Assez critique à l’égard de la gestion de la crise par le gouvernement, elle dénonce notamment les “injonctions contradictoires” auxquelles les maires ont été soumis.

Hélène de Comarmond (Crédits : Manuel Braun pour Émile)

La première étape du déconfinement, qui a débuté le 11 mai dernier, s’est-elle déroulée sans encombre dans votre commune ? Quelles ont été vos priorités et vos préoccupations sur le terrain ? Considérez-vous que la décision de rouvrir les écoles dès cette date était opportune ?

La phase de déconfinement ressemble à bien des égards à celle du confinement avec un manque d’anticipation flagrant. Les annonces montrent une forme de précipitation, voire des hésitations, s’agissant de la stratégie à suivre. Par exemple, le dispositif visant à tester massivement la population est mis en œuvre au début de la phase de déconfinement alors qu’il aurait été plus pertinent en amont de la crise sanitaire, ce qui a été la stratégie d’autres pays comme l’Allemagne par exemple. 

Certes, il faut progressivement renouer avec la vie normale et relancer l’activité économique, ce dernier point étant érigé en priorité par l’exécutif, mais ce déconfinement s’est engagé alors que la crise sanitaire était encore très présente, particulièrement en Île-de-France qui était en zone rouge jusqu’au 15 juin.

Comme lors de la phase précédente, les maires doivent faire face à des injonctions contradictoires. En témoigne l’annonce du Premier ministre du 7 mai d’une réouverture des écoles à partir du 11, réouverture assortie d’un protocole sanitaire ultra contraignant élaboré par le Bureau Veritas. En tant que maire, j’ai jugé qu’il était impossible de rouvrir dans la précipitation compte-tenu des nombreuses interrogations qui demeuraient sans réponse. J’ai donc pris la décision, comme des centaines de maires en Île-de-France, de surseoir à cette réouverture tant que les conditions nécessaires en matière de sécurité sanitaire n’étaient pas réunies (désinfection des classes plusieurs fois par jour), et que des critères visant l’accueil des enfants soient clairement établis. J’ai donc engagé une concertation avec les organisations des parents d’élèves, les directions d’école et le représentant de l’Éducation nationale afin de poser des principes et faire en sorte que cette réouverture, qui s’est faite le 25 mai, concilie sécurité des enfants et des personnels et la continuité pédagogique pour les enfants en distanciel. 

En dépit des difficultés qui ont été remontées à l’exécutif, on a eu droit à une réédition de ce scénario le 28 mai. En conférence de presse avec le Premier ministre, le ministre de l’Education nationale annonce alors, que tous les enfants doivent pouvoir être accueillis à partir du 2 juin ! Sans qu’il soit envisagé un assouplissement du protocole sanitaire qui va en l’encontre de cet objectif, ce qui conduit à nouveau à mettre la pression sur les maires et sans que ceux-ci aient été concertés en aucune manière. Nous avions besoin de hauteur et d’un chemin clair, et il aurait fallu s’appuyer sur l’intelligence des territoires, mais nous avons eu au contraire des effets d’annonces méconnaissant les réalités locales et les besoins des familles.  

Mairie de Cachan (Crédits : Jmpoirier1/Wikimedia Commons)

Justement, le plan de déconfinement avait été confié à Jean Castex, qui est lui-même maire de Prades. Avez-vous le sentiment que la complexité de la gestion par les maires de cette crise a été prise en compte ? Pensez-vous avoir été suffisamment associée aux décisions et mesures mises en œuvre pour préparer cette nouvelle étape ? 

On peut lire une forme de reconnaissance du rôle des maires à travers l’évolution sémantique caractéristique des allocutions du Président de la République et du Premier ministre. Tous deux associent dans les discours préfets et maires dans la déclinaison de la stratégie sur le terrain. Mais force est de constater que nous avons passé toute la période du confinement à gérer seuls la crise au niveau local.

Que l’Etat ait la responsabilité de la sécurité sanitaire est assez logique, une stratégie sanitaire de cette nature doit être uniformément appliquée à l’échelle du territoire national. Néanmoins l’exécutif n’écoute pas les élus locaux qui, les premiers, sont au contact avec le terrain et les populations. On voudrait nous cantonner à la déclinaison d’une stratégie nationale, à bien des égards insuffisante.

Heureusement que nous avons pris des initiatives sur les masques et les équipements de protection, les tests, le maintien de services publics indispensables, le développement d’actions de solidarité envers les plus fragiles … Je n’ai pas le sentiment que le fait d’avoir confié à un maire, en l’occurrence M. Castex,  la stratégie de déconfinement ait fait évoluer la façon dont la crise est gérée. Il aura fallu attendre début mai pour que soient mis en place des comités départementaux présidés par le Préfet ; ce sont d’ailleurs plus des points d’information que des enceintes de décision.

Il faudra impérativement  tirer les leçons de cette gestion de crise qui montre la nécessité absolue d’investir dans notre système de santé longtemps laissé à l’abandon, l’importance des services publics longtemps pressuré par les logiques d’austérité, le rôle des collectivités. Ces dernières ont démontré toute leur importance le long de cette crise. Leur place dans l’édifice institutionnel de la Vème République ne correspond plus à la réalité de leur rôle sur les territoires et auprès de nos concitoyens et concitoyennes.

Plus concrètement il faut trouver des solutions aux carences en matière de matériels (que ce soit les stocks de masques ou d’équipement sanitaire), mais aussi revisiter notre modèle de production et la façon dont on conçoit la stratégie. Les maires sont en première ligne, prennent des décisions visant à consolider la résilience de leur commune face à la crise, ils connaissent mieux que l’État les besoins des populations. À cet égard, il serait pertinent d’imaginer un cadre dérogatoire lié à l’état d’urgence sanitaire autorisant les maires et les responsables d’exécutifs locaux à prendre les mesures qu’ils jugent nécessaire pour soutenir les populations sur leur territoire. 

Le président de la République a annoncé lors de son allocution du 14 juin dernier que tous les départements allaient passer au vert et franchir la dernière étape du déconfinement (sauf Mayotte et la Guyane). Êtes-vous préparée à assurer cette ultime phase de sortie de crise ? Quelles auront été les répercussions économiques et sociales sur votre territoire ?

Nous nous sommes habitués à cette communication à double niveau. Un niveau présidentiel qui annonce les grandes décisions, puis le Premier ministre et les ministres qui en déclinent les modalités. Le problème est que cette temporalité est plus ou moins longue et que nous avons assisté trop souvent, derrière les interventions présidentielles, à une certaine cacophonie gouvernementale avec des positions parfois contradictoires.

Pour revenir sur la thématique de l’école, le Président annonce donc le 14 juin le retour obligatoire de l’ensemble des enfants pour le 22 juin, mais nous n’avons disposé du nouveau protocole que quelques jours avant le 22 !  Ce fonctionnement jacobin, typique de la Vème République met actuellement en difficulté les territoires qui doivent affronter une foule de problèmes liés au retour à la normale. C’est une forme de mépris aussi du pouvoir en place à l’égard des élus locaux, de la communauté éducative, et des familles qui subissent des injonctions déconnectées des réalités de terrain.

Nous mesurons encore mal l’impact socio-économique sur le territoire. En ma qualité de maire, j’ai tenté d’anticiper, autant que faire se peut et dans la limite des compétences qui sont les miennes, les conséquences de la crise sur le territoire de ma commune. Pour les acteurs économiques, il s’agit pour l’essentiel d’un travail d’information des dispositifs mis en place afin qu’ils soient parfaitement au fait des aides auxquels ils ont droit de la part du Territoire (Grand Orly Seine Bièvre), de la Région et de l’État. Plus concrètement, la Ville a joué le rôle de facilitatrice pour les commerces de proximité, organisant un système de livraison à domicile et mettant en œuvre des dispositifs de drive. Nous avons également limité les charges pesant sur les acteurs économiques avec des exonérations de loyer pour les entreprises qui louaient des locaux appartenant à la Ville. 

Ce qui me préoccupe beaucoup également, c’est l’impact social de cette crise qui risque de mettre en grande difficulté des populations déjà fragilisées. De ce point de vue les réponses gouvernementales sont très faibles. Dès le début du confinement, nous avons incité les bailleurs sociaux à prendre les dispositions afin d’aider les foyers rencontrant des difficultés dues au chômage partiel ou une perte d’activité. J’ai été attentive à ce que l’office de la Ville, Cachan Habitat, apporte des solutions concrètes à ces locataires en proie à des difficultés. Des actions de solidarité se sont développées à l’initiative d’associations ou de citoyens engagés. La ville a aussi amplifié sa politique d’aides sociales, nous avons procédé, par exemple, à la distribution de bons alimentaires aux familles en difficulté et maintenu - et même amplifié - les services d’aide à domicile pour les publics fragiles, en dépit du contexte sanitaire. Le département s’est également fortement mobilisé.  

Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour à la fois conforter la résilience de notre territoire et de ses habitants face à la crise ; cela a été mon leitmotiv, et celui de mes collègues maires et responsables d’exécutif locaux. Nous avons été en première ligne pendant cette crise et nous le serons de nouveau face aux conséquences socio-économiques qui en découlent. 

La bataille a fait rage au Parlement entre majorité et opposition au sujet de la responsabilité pénale des élus. Le principal désaccord portait sur la responsabilité des élus. Un accord a été trouvé : la loi sur le déconfinement fera « la distinction entre la responsabilité des autorités nationales qui ont décidé la stratégie de ce déconfinement et les acteurs locaux, qui n'en sont que les exécutants ». Êtes-vous satisfaite de cette mise au point ? Rétrospectivement, pensez-vous qu’il était judicieux de maintenir la tenue des élections municipales le 15 mars dernier ?

Tout d’abord je tiens à rappeler que la responsabilité de sécurité sanitaire des populations appartient au premier chef à l’État. Il lui appartient donc logiquement de définir une stratégie à l’échelle de l’ensemble du territoire. C’est à ce titre qu’il est le seul à détenir l’ensemble des informations relatives à une crise sanitaire, et donc celle qui nous touche aujourd’hui. Il est donc seul à pouvoir évaluer le risque sanitaire pour prendre et assumer les décisions qui s’imposent. Si on prend l’exemple des élections municipales du 15 mars dernier, je constate qu’il y a eu contradiction entre la décision du Président de la République de maintenir les élections municipales le 13 mars et l’annonce de son Premier ministre de fermer les cafés et les restaurants le 14 au soir, à quelques heures seulement de l’ouverture du scrutin.

En quelques jours, nous sommes passés d’une situation qui semblait maîtrisée à un contexte où régnait le chaos dans les esprits. De nombreuses personnalités politiques proches de l’exécutif se sont émues de la supposée responsabilité de l’opposition dans cette décision de maintien du premier tour. Je considère pour ma part que cette décision relevait du seul Président de la République pour les raisons explicitées plus haut. Cette question résonne avec le débat qui a eu lieu s’agissant de la responsabilité des élu.e.s locaux qui a été soulevée lors des débats parlementaires et qui s’est conclue sur une responsabilité différentiée selon que l’on est décisionnaire ou en charge de la déclinaison opérationnelle de la stratégie sur les territoires. C’est, au final, un compromis logique. Néanmoins, il ne règle pas le problème d’une gouvernance qui a montré ses insuffisances ces derniers mois parce qu’elle n’associe pas les premiers acteurs sur le terrain que sont les collectivités lors de la conception de la stratégie. 

Force est de constater que les lignes au sein de l’édifice institutionnel ont bougé, et qu’il faudra tirer les conséquences du rôle des collectivités, particulièrement des communes, dans cette crise majeure. Le Président de la République a annoncé un nouvel acte de la décentralisation. Serons-nous enfin entendus ? Espérons qu’il fera toute sa place aux territoires dont l’intelligence s’avère être le plus à même d’apporter des réponses au diapason des besoins de nos concitoyens. Il en va de la pérennité de notre pacte républicain qui passe par un rôle accru des collectivités au sein de notre édifice institutionnel.