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Afrique : comment éviter la déroute financière ?

La catastrophe annoncée il y a deux mois n’a pas eu lieu. L’Afrique compte, à ce jour, beaucoup moins de contaminations et de morts que l’Europe. Pourtant, chute des cours des matières premières, effondrement des flux financiers, tourisme à l’arrêt… les conséquences de la pandémie vont être considérables et fragilisent les économies africaines déjà fortement endettées. Comment les pays africains font-ils face à cette crise économique qui les frappe de plein fouet ? Quelles mesures la communauté internationale peut-elle mettre en place ? Éléments de réponse avec Thomas Mélonio, Directeur exécutif Innovation et Recherche à l’AFD (Agence Française de Développement), ancien Conseiller Afrique de François Hollande à la Présidence de la République.

Si le Covid-19 se révèle d’une violence inédite partout dans le monde, un faisceau de données indique d’ores et déjà que la propagation du virus semble contenue en Afrique subsaharienne, déjouant ainsi les prédictions alarmistes de l’OMS. Comment peut-on expliquer ce faible impact sanitaire du Covid-19 sur le continent ?

Thomas Melonio (Crédits photo: Manuel Braun pour Émile)

De manière générale, l’Afrique a réagi rapidement face à la menace pandémique. Les voyages internationaux ont été promptement et fortement réduits, ce qui a permis de limiter le nombre de contaminations en début d’épidémie. Des mesures de confinement ont aussi favorisé le ralentissement de sa propagation. Ces politiques sont toutefois difficilement tenables dans la durée dans des pays où les stabilisateurs automatiques sont faibles. En l’absence d’assurance chômage, les actifs doivent en effet aller travailler faute de quoi ils perdent tout revenu et se retrouvent immédiatement en situation de détresse. Le virus circule donc toujours sur le continent, même si le rythme de diffusion semble à ce stade contenu.

L’Afrique est largement protégée par sa structure démographique. L’âge médian n’y est que de 20 ans. Avec une telle proportion de personnes moins exposées aux risques liées au Covid-19, la mortalité restera plus faible rapportée à la population générale. Les pays les plus « âgés », même si c’est très relatif avec la moitié de la population qui a 30 ans ou moins, comme la Tunisie, l’Algérie, l’Afrique du Sud ou le Maroc, sont aussi ceux qui ont les meilleures capacités sanitaires.

Au-delà de ces remarques optimistes, ayons la modestie de reconnaître que de nombreux paramètres restent mal connus. Le nombre limité de tests ne permet pas de mesurer la proportion exacte de la population africaine qui a été en contact avec le virus, pas plus que nous n’avons de certitudes sur le caractère saisonnier de l’épidémie, l’impact de la température, de l’humidité et des autres paramètres environnementaux. La progression de la pandémie en Amérique du Sud montre que les périodes de vulnérabilité ne seront pas nécessairement les mêmes sur tous les continents.

Le respect des mesures de distanciation physique reste donc important pour éviter un embrasement et une contamination des personnes fragiles, qu’elles soient senior ou déjà atteintes par d’autres maladies.

Si l’Afrique semble avoir réagi rapidement à la menace sanitaire, elle a toutefois été atteinte économiquement par les conséquences de cette crise mondiale : fuites massives de capitaux, baisse du cours des matières premières, arrêt du tourisme international… À quels défis les économies africaines auront-elles à faire face au sortir de la crise ?

Avant même la crise du Covid-19, la croissance africaine avait ralenti, pour se positionner autour des 3% depuis quatre ans, contre 5% dans les années 2000 et au début des années 2010. La baisse des cours du pétrole - qui avait déjà atteint le plancher des 30 dollars début 2016 - avait mis en difficulté les pays producteurs d’hydrocarbures (Nigeria, Angola, Algérie, Gabon, Congo…) et impacté leurs voisins et partenaires commerciaux.

Ils sont à nouveau privés de ressources, mais la crise est désormais plus large. Les transferts des diasporas ont baissé de 20% à cause de la crise en occident, ce qui représente une « perte » équivalente au montant absolu de l’aide au développement. Près de 100 milliards de capitaux ont aussi quitté les pays en développement, qui ont des difficultés à financer leurs investissements, mais aussi leurs services sociaux de base. Enfin, tous les secteurs liés au tourisme (hôtellerie, restauration, aviation, voire l’artisanat) vont connaître une année dramatique. Des pays comme Maurice, l’Ethiopie, le Maroc, la Tanzanie, le Rwanda, l’Egypte ou la Tunisie perdront au moins 5 points de PIB à cause de ce seul secteur.

Le secteur du tourisme est particulièrement impacté par la crise sur le continent africain. Ici, une plage vide à Charm el-Cheikh en Égypte, le 11 mars 2020 (Crédits photo: Maximumm/ Shutterstock)

Une vingtaine de pays africains étaient déjà en situation de risque élevé de surendettement ou en détresse de dette à la fin de l’année 2019. D’autres pays pourraient venir rejoindre le rang des pays en situation d’insolvabilité. La mise en place d’un moratoire sur les dettes des États permettra-elle de juguler la sévère crise financière qui s’annonce ? Quelles autres mesures pourrait-on envisager ?

Le club de Paris, qui réunit les bailleurs bilatéraux (Allemagne, France, Japon, États-Unis, etc.) a fait un très bon travail, en obtenant de ses membres un moratoire sur toutes les échéances dues en 2020 à partir du printemps. Cela représente pour les pays pauvres bénéficiaires un « bol d’air » supérieur à 10 milliards d’euros. Les banques multilatérales n’ont pas encore confirmé leur participation à ce moratoire, alors que ce serait souhaitable, mais elles vont apporter des financements additionnels aux États en difficulté pour leur permettre de préserver leurs services publics. Deux inconnues restent : d’une part la participation du secteur privé à cet allègement n’est pas encore connue, car de nombreuses banques commerciales semblent privilégier une approche au cas par cas, et d’autre part la Chine n’a pas encore officialisé la part des créances qu’elle détient qui pourrait entrer dans le moratoire. Cela fera une différence importante in fine, la Chine détenant parfois jusqu’à 40 ou 50 % du « stock de dette » d’un pays tiers.

Même si le moratoire permet de gagner du temps, certains pays étaient surendettés avant la crise et resteront insolvables à l’issue du moratoire. Il n’y aura pas d’autre solution que de procéder à des restructurations ou à des annulations pour la vingtaine d’États en question, pas tous africains d’ailleurs. Dès lors que les Banques centrales des pays à « monnaie forte » créent beaucoup de monnaie, je plaide pour que la baisse des taux qui en résulte bénéficie aussi indirectement aux pays du Sud. Les banques de développement peuvent servir de canal de transmission de la politique monétaire si nécessaire. Les États du Sud endettés dans les monnaies des pays du Nord (dont la Chine) ont en effet besoin de « rétro-monétisation ». Dans d’autres situations, des annulations ou des conversions de dette seront inévitables, mais elles prennent toujours du temps et il faut d’ores et déjà imaginer des solutions plus rapides pour éviter des crises majeures dans l’attente d’un traitement définitif.

Le continent africain a été atteint économiquement par les conséquences de la crise sanitaire mondiale, notamment la baisse du cours des matières premières (Crédits photo: Pixabay)

Cette crise accentue une situation économique déjà mal en point et démontre l’échec des modèles de développement actuels en Afrique. Peut-elle être aussi une opportunité à saisir pour opérer un changement profond de modèle économique ?

Je ne crois pas que les modèles économiques soient plus défaillants en Afrique qu’en Occident ou en Asie. Mais il est vrai qu’il faut, en Afrique comme en Europe, veiller à ce que la relance soit décarbonée, sociale, différente de la situation actuelle. Les gouvernements, appuyés par les Banques centrales et les banques de développement, vont beaucoup investir dans les prochains mois. Si le tournant d’une « transition écologique juste » n’est pas pris maintenant, quand le sera-t-il ? L’accord de Paris est déjà en danger, c’est le moment de lui redonner force et ambition.