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Kwik Delivery : "Pendant le confinement, nous avons connu une croissance de 400 % par mois"

Avec sa plateforme Kwik Delivery, Romain Poirot-Lellig (promo 2008) ambitionne de devenir le partenaire privilégié des marchands africains pour répondre à leurs besoins logistiques et de financement. La pandémie l’a déjà propulsé premier livreur de produits pharmaceutiques à Lagos, au Nigeria.

Au Nigeria, Kwik Delivery est le spécialiste de la mise en relation entre coursiers indépendants et clients. Après Lagos et Abuja, l’appli se déploiera, d’ici 2022, dans d’autres villes africaines.


Kwik Delivery : Les Chiffres Clés

  • 2018 : Fondation de Kwik Delivery

  • 1,9 million d’euros de levée de fonds

  • millions d’euros : l’objectif de la prochaine levée  

  • 60 000 utilisateurs B2B 

  • 900 coursiers

  • 1 000 courses par jour en moyenne

  • 2020 : Kwik Delivery est élu « Best Last Mile Delivery Service » au Nigeria


Pitchez-nous Kwik Delivery !

Romain Poirot-Lellig, P-D.G. de Kwik Delivery

Nous sommes une société qui crée des places de marché pour faciliter les transactions dans le domaine de la logistique et celui des services financiers. Notre première place de marché est spécialisée dans la livraison B2B du dernier kilomètre, mais nous sommes aussi en train de développer des plateformes axées sur l’entreposage et le paiement. Pour l’instant, Kwik fonctionne à Lagos et à Abuja, et d’ici la fin de l’année prochaine, l’appli sera déployée sur trois autres villes nigérianes et dans deux autres villes d’Afrique.

Pourquoi avoir choisi le Nigeria pour commencer ?

Parce que c’est le plus grand marché d’Afrique. C’est un pays de 220 millions de personnes, aux défis logistiques très importants. Les problèmes de circulation sont monstrueux à Lagos. C’est une ville de 23 millions d’habitants, c’est le New York de l’Afrique, dans le positif comme dans le négatif. Une bonne partie des grands groupes internationaux sont soit basés ici, soit à Nairobi. 

Connaissiez-vous déjà le pays ?

Pas du tout. Je suis parti de zéro, avec mon sac à dos pour seul bagage. Je ne suis pas né avec un réseau d’influence. Ma mère était fonctionnaire à la Sécurité sociale, mon père cadre moyen. J’ai quitté l’école à 14 ans. Depuis toujours, j’ai l’habitude de tisser des liens à partir de zéro. C’est le type de challenge qui m’intéresse. Mes années en Afghanistan, où j’étais directeur de cabinet de l’ambassadeur de l’Union européenne, m’ont bien préparé pour mon aventure au Nigeria. Et comparé à Kaboul, c’est presque une promenade de santé, ici ! À Lagos, je découvre avec plaisir une communauté française sympathique où il y a de l’entraide et de l’écoute, cela nous a beaucoup aidés à démarrer.

Y a-t-il beaucoup de concurrence dans votre créneau ?

Pas tant que ça. Au Kenya, en Ouganda, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire, il existe des applis semblables, mais elles sont plutôt B2C. Notre ambition est de devenir le partenaire privilégié des marchands africains pour les livraisons du dernier kilomètre, le financement et la maîtrise des chaînes d’approvisionnement.

Notre différence ? Un fort positionnement technologique. Nous sommes la première plateforme de livraison à être étroitement intégrée aux quatre grandes solutions de commerce électronique à savoir Shopify, WooCommerce, Magento et PrestaShop. 

Où en est Kwik Delivery aujourd’hui ?

Nous allons réaliser près d’un million d’euros de transactions cette année et la prévision pour 2022 est de huit millions d’euros. Notre chiffre d’affaires progresse en moyenne de 20 % par mois. Dix pour cent de nos clients sont de grands comptes internationaux. L’année dernière, nous avons levé 1,7 million d’euros et l’objectif de la prochaine levée de fonds est de quatre millions d’euros. 

Quel est l’impact de cette dynamique sur la vie de vos coursiers ? 

Il est considérable. Beaucoup de coursiers qui travaillent avec nous depuis le lancement ont pu devenir propriétaires de leur moto. Les plus travailleurs d’entre eux ont même réussi à acheter deux ou trois motos en plus, qu’ils louent à d’autres coursiers. Et dire qu’avant, certains d’entre eux dormaient dans la rue ! Nos meilleurs chauffeurs gagnent jusqu’à 350 dollars par semaine, ce qui est énorme pour le Nigeria. Avant, ils gagnaient à peine 40 à 50 dollars par semaine.

Vous n’employez aucun des 900 chauffeurs qui travaillent avec Kwik Delivery et vous ne possédez aucun camion ni moto. Quel est votre business modèle ?  

Nous prélevons 20 % du montant de chaque course. Notre métier est de mettre en relation des livreurs et des clients. Mais pas n’importe quels livreurs. Au Nigeria, il existe plus de huit millions d’opérateurs commerciaux qui vivent de leur moto. Bien sélectionner nos clients livreurs est indispensable.

Votre directeur des opérations est une femme. Un choix délibéré ? 

Tout à fait. La présidente de notre conseil d’administration est également une Nigériane formidable. On m’a toujours dit que les femmes sont plus fiables en Afrique, plus travailleuses et sérieuses. Les sociétés de micro-crédit qui marchent le mieux sur ce continent sont celles qui prêtent à des femmes ! Cela dit, tous nos employés locaux – une cinquantaine en tout – sont très impliqués dans la société, malgré des conditions de vie difficiles à Lagos. Beaucoup passent des heures dans les transports pour venir au travail. Cela rend très humble. 

Le footballeur nigérian Jay-Jay Okocha est l’ambassadeur de la marque. 

Vous amassez beaucoup de données grâce à Kwik Delivery. Comment les exploitez-vous ?

Nous existons depuis deux ans, notre masse de données n’est pas encore énorme, mais nous avons d’ores et déjà une idée très précise des avantages que ces dernières peuvent apporter à terme, par exemple pour optimiser le pré-positionnement des coursiers. Cela permettra un meilleur déploiement des ressources, moins d’essence consommée, plus de revenus pour les chauffeurs et pour nous, mais aussi un meilleur service pour les clients.

Grâce à Kwik Delivery, nous sentons vraiment le pouls économique de la ville. Forts de cette connaissance, nous comptons lancer d’autres places de marché d’ici décembre. À partir de la livraison, nous sommes en train de créer une suite de services à destination des marchands afin qu’ils puissent, grâce à notre app, conduire leurs affaires dans le domaine du commerce électronique et répondre à leurs besoins financiers. 

Quelles sont les conséquences de la pandémie sur votre activité ? 

Pendant le confinement, à Lagos, nous avons connu une croissance mensuelle de 400 %, cela nous a permis de confirmer notre utilité aux yeux du marché. Nous sommes aujourd’hui le premier livreur de produits pharmaceutiques de la ville. Le Covid est un fort accélérateur de la transition numérique du commerce en Afrique. Et comme il y a une accélération du commerce électronique, les besoins de livraison augmentent !

Vous êtes entré à Sciences Po à 26 ans, sans le bac, directement en quatrième année, par la troisième voie. Quel a été votre parcours avant cela ?

À 14 ans, j'ai pris mon indépendance à la fois du système scolaire et du noyau familial et je me suis installé dans une chambre de bonne au cœur du Marais. Je vivais de mes écrits pour des revues informatiques. Mon premier employeur était le magazine Tilt, la bible des gamers à l’époque. J’ai fait le siège de la rédaction jusqu’à ce qu’ils publient mes papiers. Ma première interview était celle du P.-D.G. d’Apple France, Giancarlo Zanni, je n’avais pas encore 15 ans. Je me suis tenu en embuscade derrière un stand à l’Apple Expo de La Défense avant de lui lancer : « Je suis journaliste, j’ai des questions à vous poser. » Ça l’a fait rire. J’avais beaucoup d’assurance, un peu trop peut-être !

À 17 ans, j’ai commencé à piger pour La Tribune et Paris Match. Puis, j’ai vécu deux ans au Japon où j’étais conseil financier auprès de start-up. Ensuite, je suis devenu le conseiller Relations institutionnelles du président d’Ubisoft avant de m’envoler pour Kaboul, où je suis resté trois ans, à travailler cette fois dans le domaine politique.

Que devez-vous à Sciences Po ? 

Cette formation m’a permis d’acquérir une méthodologie dont j’avais besoin. C’est l’école à la fois de la rigueur et de la souplesse. Elle développe la discipline intellectuelle et l’ouverture d’esprit, l’agilité et la culture politique de manière générale. Enfin, Sciences Po, c’est aussi des expériences de camaraderie et d’échanges. J’y ai rencontré des gens avec lesquels je suis toujours en contact à travers le monde.

Publi-reportage initialement publié dans la rubrique “Trajectoires” du numéro 23 d’Émile, paru en novembre 2021.