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Anne Muxel : "Les armées échappent au déficit de confiance des Français envers leurs institutions"

Sociologue et politologue, Anne Muxel est directrice de recherches au Cevipof de Sciences Po et directrice du domaine Défense et société de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem). Entourée de plusieurs chercheurs, elle dirige actuellement un programme d’étude sur la gestion de la pandémie par l’armée.

Propos recueillis par Camille Ibos et Maïna Marjany

Anne Muxel (DR)

Vous qui êtes à la tête du domaine Défense et société de l’Irsem, comment résumeriez-vous la place et l’image de l’armée au sein de la société française ? 

Les armées échappent au déficit de confiance et au contexte de très forte défiance institutionnelle dans lequel nous évoluons depuis de nombreuses années. Ainsi, selon le baromètre de confiance du Cevipof, ce sont environ huit Français sur dix qui font confiance aux armées !

Par ailleurs, chez les jeunes générations, pour lesquelles les armées représentent une éventualité d’engagement, on constate moins d’anti-militarisme que dans les générations précédentes. La fin de la conscription et la professionnalisation des armées peuvent avoir renforcé cette attitude positive : pour environ quatre jeunes sur dix, un passage par les armées peut être envisagé.

Ces éléments montrent que l’image des armées dans la France d’aujourd’hui est globalement très positive : dans une époque de quête de sens, de brouillage des repères et d’anxiété collective, les valeurs d’engagement extrême – les militaires allant jusqu’à risquer leur vie – portées par cette institution suscitent beaucoup de respect chez les Français.

Vous menez également une mission de recherche, conjointe entre Sciences Po et l’Irsem, sur la gestion de la crise du Covid-19 par l’armée.

Cette mission se déroule dans le cadre d’un programme de travail sur la pandémie lancé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Notre équipe, composée de chercheurs de l’Irsem et de Sciences Po, se concentre sur la façon dont les armées ont été mobilisées dans la crise du Covid-19 et ce, dans une perspective comparatiste. Il s’agit de comprendre, d’une part, la perception par la population des actions menées par les armées dans le cadre de la crise sanitaire ; et d’autre part, comment les institutions étatiques ont coordonné ces actions, notamment l’opération Résilience.

La dimension comparative – avec quatre pays (États-Unis, Allemagne, Suisse et Italie) dans lesquels les opinions des populations sur le pouvoir, particulièrement le pouvoir politique, sont très différentes – nous permet d’évaluer le cas français à l’aune d’autres schémas d’implication des armées dans la gestion de crise. Par exemple, les armées italiennes ont fait du contrôle aux frontières, alors que les militaires français sont essentiellement restés cantonnés aux missions de transfert des malades ou au montage de l’hôpital militaire de campagne de Mulhouse. Ces actions s’inscrivent dans le cadre d’un élargissement du périmètre de mission des armées : on fait désormais appel à elles quand les pouvoirs civils sont pris de cours. La fonction combattante reste centrale, mais les militaires sont de plus en plus amenés à assumer d’autres responsabilités, lors de grandes catastrophes naturelles ou de crises sanitaires, ou encore pour assurer la protection des populations sur le territoire national, avec par exemple l’opération Sentinelle.

Test PCR d'un marin-sapeur pompier en présence de Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, le 30 mars 2021 à Marseille. (Crédits : Obatala-photography / Shutterstock)

Avez-vous déjà pu tirer des conclusions de cette étude ?

Notre enquête est toujours en cours, mais nous avons pu en livrer les premiers résultats : une note, disponible sur le site de l’Irsem, est parue en novembre 2020 tandis qu’une deuxième vient de paraître, début juillet. Nous avons constaté une perception très positive par la population de l’intervention des armées lors de la crise sanitaire. Les Français sont finalement assez peu au courant du périmètre exact des actions menées par les militaires, mais ils sont tout à fait favorables à ce que les armées interfèrent, dès l’instant où elles peuvent renforcer la sécurité des citoyens ou leur venir en aide sur le territoire national… Ce qui illustre, à nouveau, le capital de confiance dont bénéficient les militaires par rapport aux pouvoirs publics ! 


La Sociologie militaire. Héritages et nouvelles perspectives

Anne Muxel (promo 99), Barbara Jankowski (promo 82), Mathias Thura. Peter Lang, Oxford, 468 pages, 26 €

Anne Muxel, accompagnée de deux autres sociologues spécialistes de la question militaire, s’est penchée sur les évolutions de l’armée durant ces 10 dernières années.

Redéfinition de son champ d’action, de son rapport au pouvoir politique, des modalités de recrutement et des moyens opérationnels : cet ouvrage analyse les différentes transformations qu’a connues l’armée, par le prisme des problématiques sociales et politiques actuelles entourant le corps militaire.