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Ambroise Fayolle : "Nous avons décidé de transformer la BEI en Banque européenne du climat"

Vice-président de la Banque européenne d’investissement depuis 2015, Ambroise Fayolle (promo 86) y est responsable, en sus de l’Allemagne et de la France, des questions climatiques et d’une grande partie de l’Afrique et du Pacifique.

Propos recueillis par Bernard El Ghoul et Camille Ibos

Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d’investissement (promo 86) (Crédits : Banque européenne d’investissement)

Quelles sont les spécificités de la Banque européenne d’investissement ?

La BEI n’est pas une institution financière comme les autres, parce qu’elle est publique et européenne. Elle a été créée par le traité de Rome et fait en ce sens partie des institutions fondatrices de l’Europe, qu’on appelait à l’époque le « marché commun », avec la Commission européenne et la Cour de justice. L’objectif des fondateurs de l’Europe était de s’assurer que la croissance européenne ne se concentrerait pas uniquement sur le cœur du continent en laissant les pays de la périphérie en difficulté. Depuis, c’est une valeur fondamentale de la BEI que cette solidarité dans l’investissement. Elle n’a pas vocation à faire du profit, mais à répondre aux préoccupations de nos actionnaires européens : les infrastructures, les PME, les innovations et les prix bas, pour à peu près 70 milliards d’euros de projets par an, essentiellement en Europe et répondant à certains critères, comme la taille du projet et le financement d’infrastructures « vertes ».

Quelle est la part de vos investissements dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Fin 2020, nous avons pris la grande décision de transformer la BEI en Banque européenne du climat. Cela s’est traduit par l’arrêt du financement de projets gaziers et par l’augmentation de 25 à 50 % du pourcentage de projets climatiques que nous créerons d’ici à 2025. L’objectif est le même que celui de la Commission européenne : la neutralité carbone en 2050. Pour cela, nous soutenons des projets éoliens et solaires, par exemple de rénovations thermiques d’école. Nous touchons aussi aux projets d’innovation comme l’hydrogène et enfin, de manière plus systématique, aux projets d’adaptation au traitement du changement climatique qui est déjà là. En avril dernier, j’étais à la signature d’un projet absolument passionnant, à savoir un prêt de 40 millions d’euros à l’entreprise familiale Florimond Desprez pour financer la recherche de semences végétales adaptées au changement climatique. Nous avons également été la première institution à lancer des obligations vertes, en 2007, ce qui était à l’époque révolutionnaire. Le verdissement de l’économie est formidablement porteur en termes d’emploi. 

Malgré son nom, la BEI intervient aussi en-dehors de l’Europe…

Nous sommes très présents dans une zone que l’on appelle « de voisinage », entre l’Ukraine et le Maroc. La considération de ce qui se passe à nos frontières se resserre sur deux thématiques, le climat et la santé, dans lesquelles il y a une vraie valeur ajoutée européenne à essayer d’aider le continent africain en particulier. Durant la crise du Covid-19, la Chine jouissait d’une publicité énorme sans livrer d’importants volumes de vaccins, alors que nous avions beaucoup de volume, mais sans publicité. Nous avons essayé de corriger le tir tout en finançant des projets comme la reproduction de vaccins avec l’Institut Pasteur de Dakar ou un gros projet de géothermie, qui produit à peu près 30 % de l’électricité générée au Kenya.

Votre siège est basé au Luxembourg. Cette localisation a-t-elle une signification particulière ?

C’est une implantation stratégique au cœur de l’Europe, en face de la Cour de justice européenne et d’une partie des services de la Commission et du Parlement européen. Depuis 1959, la BEI a investi trois milliards d’euros au Luxembourg : c’est un petit pays, mais qui a son lot de projets intéressants, comme la renaturalisation des rives de l’Alzette. Nous sommes très heureux de pouvoir contribuer à cela dans un pays qui est fondamentalement européen.


Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 25 d’Émile, paru en juin 2022.