Rétro : 1935, "L’atmosphère des Sciences Po"

Rétro : 1935, "L’atmosphère des Sciences Po"

La fenêtre de son bureau surplombe Sciences Po… Il n’y a pas meilleur poste d’observation pour savoir ce qui se passe rue Saint-Guillaume. En avait-il besoin pour tout nous raconter ? Pas vraiment. Sciences Po est une maison qu’il connaît bien : David Colon y a été élève, puis est revenu y enseigner après son agrégation d’histoire, avant de diriger le campus parisien, il y a quelques années. Il nous propose ici de remonter le temps afin de découvrir l’ambiance de l’École libre des sciences politiques en 1935.

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« La personne qui vous précède retient poliment le battant de la porte derrière elle. Les huissiers souriants vous laissent passer, le plus souvent sans exiger de carte. Dans le hall, sous la verrière, les élèves causent. Du milieu de leurs groupes monte, comme de leurs cerveaux en ébullition, la fumée des cigarettes. » C’est ainsi que le marquis Claude des Portes décrit, en 1935, dans son livre L’Atmosphère des Sciences Po, l’entrée au 27, rue Saint-Guillaume. Cet ouvrage richement illustré, préfacé par André Siegfried, donne une image à la fois vivante, distanciée et drôle de l’ambiance qui règne alors au sein de l’École libre des sciences politiques (ELSP), dont l’auteur a été diplômé deux ans plus tôt.

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Une atmosphère feutrée qui se ressent d’emblée : « Il règne à l’école une parfaite correction qu’on n’est pas habitué à rencontrer dans notre enseignement supérieur. Il n’est pas question de se disputer, de crier, de chanter en chœur, de former des monômes, de brimer les nouveaux. On a pour règle d’être tolérant et calme. » Ce calme sied certainement à la direction de l’école, au vu de l’âge canonique du directeur, Eugène d’Eichthal (100 ans !), et de son sous-directeur, Charles Dupuis (72 ans). D’Eichthal, qui dirige l’école depuis 1912, est toujours très présent, recevant chaque élève pour un court entretien l’année de son diplôme. Il est aidé par le secrétaire général, René Seydoux (32 ans), et par un secrétariat de quatre personnes, sous la férule de monsieur Thomas, réputé accommodant : « Il écoute leurs revendications et s’arrange pour les satisfaire quand elles sont légitimes, même si elles contredisent le règlement de l’école. [...] On devrait gouverner l’État comme on gouverne les sciences politiques. » La bibliothèque est dirigée par Pierre Rain, dont Claude des Portes raille la « voix nasillarde » et le « manque de mémoire des noms et des physionomies ». On s’y arrache le Journal de Genève, « libéral, indépendant, et huguenot » qui « personnifie l’esprit de l’école ».

« Il règne à l’école une parfaite correction qu’on n’est pas habitué à rencontrer dans notre enseignement supérieur. On a pour règle d’être tolérant et calme. »
— Marquis Claude des Portes

Il y a alors 2 000 élèves à l’ELSP, dont ceux « qui “font les sciences po” parce que c’est bien vu, [...], parce qu’on s’y marie avantageusement », et les « vrais élèves », qui sont là « pour obtenir le diplôme le plus vite possible et préparer, ensuite, un concours d’État et gagner leur vie ». Lui-même, cela va sans dire, appartient à la deuxième catégorie, puisqu’il est reçu en 1937 au concours de l’Inspection des finances, après un doctorat de droit. Du corps professoral, Claude des Portes offre un portrait quasi-taxidermiste dont ressortent les figures du « jeune et brillant » Wilfrid Baumgartner et de Jacques Rueff, déjà « farouchement libéral ».

Une conférence de la Société des Anciens élèves

La vie de l’école, enfin, doit beaucoup à l’Association des anciens élèves, qui organise régulièrement des conférences-débats, où « un immuable socialiste et un immuable patriote soutiennent leur thèse à grands coups de “mon cher ami” des plus courtois », ainsi que de grandes conférences dans l’amphithéâtre Boutmy.

Dans le contexte de la crise économique, la société des anciens élèves tend à devenir, « sur le terrain du placement, la main droite de l’école ». Ainsi, Alexandre Ribot n’avait-il pas tort d’affirmer, en 1921, que l’esprit de l’ELSP a « son foyer dans l’Association des anciens élèves ».


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