Sciences Po et les femmes : 140 ans d'histoire

Sciences Po et les femmes : 140 ans d'histoire

Les premières femmes étudiantes sont entrées à l’École libre des sciences politiques il y a tout juste un siècle. À cette occasion, Émile a souhaité revenir sur l’histoire qui lie la rue Saint-Guillaume et la gent féminine.

Par Marie Scot et la rédaction d’Émile

Crédits : Stéphanie Samper / Sciences Po

Ni précurseure, ni en retard en la matière, l’École de la rue Saint-Guillaume a collé, en matière de féminisation, à l’évolution de la société française. Dans les années 2000, le nombre de femmes étudiantes a même dépassé celui des hommes ; la gent féminine représente aujourd’hui 60 % des effectifs des étudiants de Sciences Po.

La relation de l’École avec les femmes commence quelques années à peine après sa fondation. C’est le don de la duchesse de Galliera, il y a 140 ans, qui permet à l’institution de se fixer définitivement rue Saint-Guillaume, en 1882.

 La question de l’admission des femmes est soulevée dès 1904, alors que trois candidates veulent accéder à l’enseignement de l’École libre des Sciences Politiques encore réservé aux hommes. Bien que favorable à leur intégration, le directeur Émile Boutmy reste prudent : il veut à tout prix écarter les « femmes légères dont le but serait d’ébaucher des liaisons avec les fils de familles qui composent la majorité de nos auditoires, et les curieuses qui viendraient à l’École comme on va à une partie de plaisir ». Plus réfractaires, d’autres personnalités de l’École sont clairement contre et citent le théorème de Siegfried : « Une jeune fille pas trop laide, c’est cinq garçons qui ne travaillent pas. » Finalement, le conseil d’administration est convaincu que les femmes pourraient constituer une distraction pour les étudiants masculins. Les portes resteront donc fermées à la gent féminine jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Une intégration progressive

En 1919, enfin autorisées à candidater, les femmes sont malgré tout victimes d’une sélection discriminatoire : pour étudier rue Saint-Guillaume, elles doivent être titulaires du baccalauréat, contrairement à leurs homologues masculins. Les premières étudiantes font alors discrètement leur entrée. Sur les sept admises, cinq sont de nationalité étrangère. La première diplômée, Miriam Jaffé, s’en sort brillamment en obtenant son diplôme, en 1920, avec la mention « très bien ». En 1921, on dénombre 15 femmes étudiantes. Leur nombre croît progressivement mais ne dépasse pas 10 à 13 % du corps étudiant pendant la période de l’entre-deux-guerres.

Les étrangères sont majoritairement présentes dans la section diplomatique, quand les Françaises préfèrent la section dite générale. En 1931, la condition d’accès à l’École libre des Sciences Politiques (être titulaire d’un baccalauréat), auparavant discriminante pour les femmes, est étendue aux étudiants masculins. Mais une nouvelle condition leur sera imposée pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alors que l’École libre des Sciences Politiques poursuit son activité pendant l’Occupation, un examen spécial d’admission est imposé aux jeunes filles à partir de 1941. On ne compte alors plus que 3 à 4 % d’étudiantes parmi les effectifs. Paradoxalement, c’est à la même époque qu’une avancée pour la place des femmes a lieu au sein de l’École : dans l’antenne ouverte en zone libre à Lyon, Suzanne Basdevant-Bastid devient la première enseignante titulaire d’un cours fondamental (Droit international).

1945 est une année charnière : le droit de vote est accordé aux femmes et l’École libre des Sciences Politiques est remplacée par l’Institut d’études politiques de Paris. La même année, l’artiste Gaston Pirou convainc l’institution de ne plus limiter le nombre de femmes. Il défend qu’elles « sont électrices et éligibles » et que, désormais, rien ne justifie cette limitation. Tous les candidats, sans distinction de sexe, sont désormais soumis au même examen d’entrée.

En 1949-1950, les femmes représentent 20 % du corps étudiant. Timidement, elles deviennent des étudiantes comme les autres. Mais même diplômées, les femmes échappent difficilement aux stéréotypes qui les cantonnent à des fonctions de sténographes. Côté enseignement, la présence des femmes au sein de l’institution stagne depuis l’arrivée de Suzanne Basdevant-Bastid. Elle restera la seule femme titulaire d’un cours magistral jusqu’en 1968.

Crédits : Stéphanie Samper / Sciences Po

Le temps des conquêtes

Par-delà la possibilité d’étudier, la question de l’égalité des sexes surgit dans les années 1960. C’est également pendant cette période que les femmes font leur entrée dans le monde de la recherche à Sciences Po. Le Centre de recherches internationales (CERI) et le Centre de recherche politique (CEVIPOF) accueillent plusieurs chercheuses, à l’image d’Hélène Carrère d’Encausse et de Janine Mossuz-Lavau.

En 1968, des commissions du Conseil étudiant planchent sur les « problèmes des étudiantes ». Ces mobilisations permettent aux femmes d’être visibles au sein de l’École, mais les instances mises en place à l’occasion de ces évènements restent malgré tout majoritairement masculines. De 1969 à 1979, elles sont à peine 18 sur les 167 étudiants élus.

Côté recherche, la première femme à être nommée directrice de laboratoire est Annick Percheron, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la socialisation politique. En 1987, elle prend la tête du prestigieux CEVIPOF.

Enfin, l’égalité

Malgré des débuts difficiles, une constante est sûre : depuis les années 1930, la proportion d’étudiantes augmente lentement mais sûrement. Elles sont 10 à 13 % dans les années 1930, 20 % environ à la fin des années 1940 et 30 % en 1975. Un nombre de femmes dans l’enseignement supérieur qui reste cependant en deçà de la moyenne nationale de 47,5 %, selon l’Observatoire des inégalités.

Crédits : Stéphanie Samper / Sciences Po

Le nombre d’étudiantes augmente petit à petit jusqu’à atteindre 51 % en 1999, notamment grâce à la réforme de 1989 portant sur les modalités d’admission sur mention « très bien » au bac. Depuis, les étudiantes sont de plus en plus nombreuses chaque année. Elles ont fini par intégrer toutes les sections de l’École, y compris les plus prestigieuses, historiquement masculines.

Les années 2000 sont marquées à Sciences Po par des politiques volontaristes en faveur de l’égalité femmes-hommes. En 2010, PRESAGE, le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre, est créé par Hélène Périvier et Françoise Milewski. La dynamique aboutit à une centaine de cours sur le genre, le lancement d’un domaine Genre aux Presses de Sciences Po et, plus récemment, celui d’un Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques au sein de l’École d’affaires publiques.

À la suite de sa prise de fonctions à la tête de Sciences Po en 2013, Frédéric Mion affiche une volonté d’exemplarité dans le domaine de l’égalité femmes-hommes. Une mission dédiée à ce sujet est créée au sein du secrétariat général de l’École et des femmes sont nommées à des postes stratégiques : secrétariat général, direction scientifique, direction des études et de la scolarité, direction du Collège universitaire, direction de la stratégie et du développement ou encore direction juridique.

En 2015, une cellule de veille et d’écoute est créée pour accompagner toute personne de Sciences Po exposée à des agissements sexistes et à des violences sexuelles. Dernière action de grande ampleur : le nom de deux célèbres diplômées, Simone Veil et Jeannie de Clarens, est choisi pour rebaptiser deux amphithéâtres du campus de Paris. Une annonce qui a lieu le 8 mars 2018, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. 



Hélène Carrère d'Encausse, l'immortelle de Sciences Po

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Miriam Jaffé, une première diplômée particulièrement douée

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