Report des municipales : 5 questions pour tout comprendre

Report des municipales : 5 questions pour tout comprendre

La question des municipales était la grande absente de l’allocution du président de la République lundi dernier. Les Français sont pourtant nombreux à s’interroger sur les suites de cette séquence électorale bousculée par l’épidémie de Covid-19. Report du second tour ? Annulation des résultats ? Quid des conseillers municipaux élus au premier tour ? Pour comprendre cette situation inédite sous la Ve République, Émile a interviewé un spécialiste du droit constitutionnel, Didier Maus (promo 68), ancien conseiller d’État, président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel et maire de Samois-sur-Seine.

Didier Maus, à la mairie de Samois-sur-Seine (Crédits : WikimediaCommons)

Didier Maus, à la mairie de Samois-sur-Seine (Crédits : WikimediaCommons)

Que dit la loi d’urgence sanitaire, approuvée le 22 mars par le Parlement, sur la tenue du second tour des municipales ?

La loi du 23 mars 2020 prévoit plusieurs situations :

1) Dans les communes de plus de 1000 habitants où il y a lieu de procéder à un second tour, celui-ci devrait avoir lieu avant le 30 juin, si les conditions sanitaires – appréciées vers le 20 mai – le permettent. Si tel n’est pas le cas, l’ensemble des deux tours de l’élection est à recommencer, à une date indéterminée, en fonction à la fois de la sortie de crise et du calendrier politique. On peut imaginer fin septembre/début octobre 2020 ou mars 2021.

2) Dans les communes, quelle que soit la taille, où le conseil a été entièrement élu le 15 mars, il est prévu d’installer le nouveau conseil et, donc, d’élire le maire dès que les conditions sanitaires le permettront, en fait dans le courant du mois de juin. Rien n’est prévu si cette installation n’est pas possible, sauf que l’ancienne équipe demeure en fonction le temps nécessaire.

3) Dans les communes de moins de 1000 habitants, où le scrutin est plurinominal à deux tours, où le conseil n’a pas été complètement élu (ou pas du tout), il y a lieu de faire un second tour, total ou partiel selon les cas. Quand ? Quand les conditions le permettront, si possible avant le 30 juin.

Tout ceci est quelque peu compliqué, mais découle de l’avis donné par le Conseil d’État selon lequel les résultats du 15 mars, lorsqu’ils ne sont pas décisifs, peuvent être conservés si le second tour a lieu « dans un délai raisonnable », lequel délai a été fixé par la loi au 30 juin. L’idée est qu’entre le 15 mars et fin juin, nous sommes encore dans la même « période électorale » et qu’au-delà, ce qui signifie pas avant milieu/fin septembre, il y aurait un délai trop long pour conserver la validité des résultats du 15 mars.

Il est évident que ce qui a été prévu par la loi du 23 mars peut être modifié par une loi ultérieure.

« La Constitution n’a évidemment jamais prévu une telle situation. »

Sur la question des municipales, la loi d'urgence s'appuie-t-elle sur des dispositions prévues dans la Constitution ?

La Constitution n’a évidemment jamais prévu une telle situation. Aucune disposition précise n’est donc applicable. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, fondée sur l’article 3 de la Constitution relatif au suffrage universel, deux principes qu’il importe de respecter :

1) Il est possible de modifier le calendrier électoral, toutes élections confondues (sauf l’élection présidentielle), pour des « motifs d’intérêt général » et à condition que la modification soit la moins importante possible. Nous sommes dans ce cadre.

2) Il importe de garantir « la sincérité » des élections. Ce principe est une des bases du contentieux électoral classique, mais son champ a été élargi aux conditions qui entourent l’élection elle-même. Il fonde en quelque sorte le « délai raisonnable » énoncé par le Conseil d’État. Si celui-ci est respecté, la sincérité n’est pas atteinte. S’il n’est pas possible de s’y soumettre, la sincérité des élections impose de recommencer les opérations de A à Z.

« La forte poussée de l’abstention est-elle de nature à remettre en cause la sincérité des résultats du 15 mars ? C’est une question nouvelle. »

Il y a évidemment un fort élément d’appréciation des circonstances. La forte poussée de l’abstention est-elle de nature à remettre en cause la sincérité des résultats du 15 mars ? C’est une question nouvelle. Elle intéresse les spécialistes de sociologie électorale, mais également les juristes et, encore plus, les citoyens. Plusieurs recours ont été déposés en développant un tel grief.

Une annulation de scrutin est-elle imaginable ? Cette situation s’est-elle déjà produite ?

Dans un contexte inédit, tout est possible, y compris de considérer comme inexistant l’ensemble des résultats du 15 mars. Je ne connais pas de précédent, mais « la réalité dépasse (souvent) la fiction ».

« Dans un contexte inédit, tout est possible, y compris de considérer comme inexistant l’ensemble des résultats du 15 mars. »

Jusqu’à présent le Conseil constitutionnel n’a pas eu à se prononcer, à mon grand regret, sur le dispositif de la loi du 23 mars. Il serait normal que si une loi nouvelle modifie sérieusement son contenu, il le soit et juge ce qui, compte tenu des « circonstances exceptionnelles » de l’épidémie, est possible ou non. Je pense que ce fameux « délai raisonnable » est la clé de voûte des futures solutions. Plus on s’éloigne du 15 mars,  plus il sera délicat d’en conserver les résultats.

Il faut également tenir compte du fait que les conseils municipaux constituent le socle du collège électoral sénatorial. Un renouvellement de la moitié du Sénat est prévu fin septembre. Si les élections municipales ne sont pas terminées, il deviendra indispensable de reporter les élections sénatoriales, ce qui ne pose guère de problème juridique. Il sera alors temps de se poser la question de savoir si ce collège peut être composé d’hommes et de femmes dont certains auront élus le 15 mars 2020 et les autres à une date nettement ultérieure. Il sera alors aisé de soutenir qu’au nom des principes d’égalité et de sincérité il n’est pas possible de faire coexister deux « images » de l’opinion et que tous les conseillers doivent avoir été élus dans les mêmes conditions politiques, les physiciens diraient « de température et de pression ». Il serait sage de se prémunir contre des contestations a posteriori.

« Un renouvellement de la moitié du Sénat est prévu fin septembre. Si les élections municipales ne sont pas terminées, il deviendra indispensable de reporter les élections sénatoriales. »

Si la solution retenue est de conserver les maires élus au premier tour et d'annuler les résultats du scrutin pour les autres villes, ne risque-t-on pas un déséquilibre dans la durée des mandats ? Quid des élections de 2026 ? Risquent-elles d'être décalées ? 

Le risque de déséquilibre est patent. Je l’ai évoqué dans la réponse précédente. La formule du code électoral selon laquelle « les conseils municipaux sont renouvelés intégralement » signifie que tous les conseils sont soumis à renouvellement en même temps, y compris lorsque des nouvelles élections sont intervenues, pour une raison ou une autre, depuis les élections précédentes. Il ne peut pas y avoir des conseils municipaux élus l’année « n » et d’autres l’année « n+1 » ou « n+2 ». D’où, à nouveau, le « délai raisonnable » qui doit exister entre les deux tours de scrutin.

Il appartiendra au législateur de fixer le terme des nouveaux conseils municipaux : 2026 ou 2027, si le renouvellement intégral est, par exemple, reporté à mars 2021. On ne peut pas avoir des conseils élus pour cinq ans et d’autres pour six ans. La gestion publique a besoin d’un horizon connu à l’avance.

« Il existe des principes démocratiques, le plus important étant ici que tout doit être fait pour assurer la sincérité des élections et la légitimité des élus. »

Quelles conséquences politiques auraient une éventuelle annulation ? 

Dans un premier temps, la remise en cause complète des résultats du 15 mars provoquera une véritable levée de bouclier chez les élus concernés. Ce serait du « jamais vu ». Nous entendrons toutes les bonnes âmes politiques dire que « l’on bafoue le suffrage universel ». Ce sont les mêmes voix qui ont plaidé le 12 mars pour le maintien du premier tour au 15 et qui, dès le 16, n’ont pas eu de mots assez durs pour critiquer les conditions dans lesquelles il s’était déroulé la veille. Il faut raison garder.

Il existe des principes démocratiques, le plus important étant ici que tout doit être fait pour assurer la sincérité des élections et la légitimité des élus. La sincérité exige que la campagne électorale se soit déroulée dans la sérénité et qu’au moment du scrutin tous les électeurs puissent se déplacer normalement. La légitimité implique que les élus prennent leurs fonctions dans un bref délai après leur élection et non plusieurs mois après.



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