ChatGPT : l'intelligence artificielle à l'université en débat

ChatGPT : l'intelligence artificielle à l'université en débat

Depuis quelques mois, le monde éducatif s'interroge autour des promesses ambitieuses, mais inquiétantes, que laisse espérer le programme d'Intelligence artificielle ChatGPT. Développée par la société OpenAI, cette application permet la génération de textes de façon instantanée et automatique. De quoi s'agit-il vraiment ? Pourquoi cette évolution suscite-t-elle autant de craintes ? Quelles pourraient être les conséquences de ces nouvelles technologies sur notre système éducatif ? Nous avons interviewé deux alumni de Sciences Po pour éclairer notre lanterne.

Propose recueillis par Sandra Elouarghi

ChatGPT est même capable de rédiger du code, dans plusieurs langages informatiques - image d’illustration (Crédits : FreeVectors)


Le questionnement autour de l’utilisation de l’application ChatGPT dans l’éducation supérieure en France a notamment été soulevé dans les médias après l’envoi aux enseignants de Sciences Po d’une lettre, signée par Sergeï Guriev, directeur de la formation et de la recherche, qui annonçait que les étudiants de la rue Saint-Guillaume avaient l’interdiction d’utiliser cet outil pour « la production de travaux écrits ou oraux ».

4 questions à Laurence Bekk-Day, journaliste diplômé de Sciences Po (promo 18), spécialiste des nouvelles technologies

Laurence Bekk-Day (Crédits : DR)

Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots à quoi sert cette nouvelle application ChatGPT ?

Laurence Bekk-Day : ChatGPT est un programme informatique, basé sur une intelligence artificielle, capable de répondre à des questions que vous lui soumettez par écrit. Les questions que ChatGPT est capable de traiter sont très diverses : vous pouvez lui demander de vous rédiger un résumé de la vie d’Aragon, ou d’inventer un poème laudatif ou ironique sur Emmanuel Macron, ou d’écrire un début de scénario de film à la manière de J. J. Abrams. Il est même possible de préciser votre demande au sein du fil de conversation, et l’outil affinera ses suggestions. ChatGPT est capable de formuler des propos étonnants de pertinence, même si sur tout sujet pointu, vous avez de fortes chances qu’il génère des réponses vagues, voire complètement incorrectes.

La décision de Sciences Po d'interdire son utilisation à ses élèves sous peine de sanctions vous étonne-t-elle ? Qu'en est-il des autres grandes universités ?

L. B.-D. : Il est certain que Sciences Po est l’une des toutes premières universités au monde à avoir mis en place une interdiction explicite. S’agit-il un combat d’arrière-garde ? Cette réaction épidermique n’est pas sans rappeler les résistances fortes qui sont apparues lorsque les calculatrices programmables ont débarqué dans les années 90. Si, aux États-Unis, certains lycées ont également interdit ChatGPT, les universités dans leur ensemble se sont montrées plus mesurées. Princeton a privilégié l’encadrement de son utilisation ; l’université de Floride, par la voix de son directeur de la formation, a fait savoir que ce n’est pas la dernière fois qu’ils auraient à gérer une innovation de ce type et a adopté une doctrine du laisser-faire. Aux professeurs d’être vigilants… voire d’adapter les devoirs demandés aux étudiants.

Cela peut-il avoir un impact significatif sur des résultats scolaires ? En clair, cette technologie peut-elle avoir un impact sur le travail et l’apprentissage des étudiants ?

L. B.-D. : Pourquoi ne pas poser la question à ChatGPT en personne ? « Il est possible que certains étudiants utilisent des modèles tels que ChatGPT pour faire leurs devoirs à leur place, mais il est important de noter que l'utilisation de ChatGPT ou de tout autre outil de ce genre ne remplace pas l'apprentissage et la compréhension des sujets. Il serait plus efficace pour les universités de sensibiliser les étudiants à l'importance de comprendre les matières qu'ils étudient plutôt que de simplement interdire l'utilisation de ces outils. » Ajoutons qu’aucun outil, pas plus ChatGPT qu’un autre, ne transformera un étudiant médiocre en premier de la classe.

Peut-on selon vous lutter contre l'utilisation de ce ChatGPT ? Existe-t-il des outils efficaces chargés de repérer le plagiat, notamment à l’université ? Ne risque-t-on pas d'être toujours en retard face à ces nouvelles formes de production automatiques ?

L. B.-D. : Sciences Po, comme d’autres universités, utilise déjà un outil anti-plagiat, intitulé Ouriginal (anciennement Urkund). Il est à attendre que ces outils anti-plagiat se mettent à la page afin de détecter du contenu généré par une intelligence artificielle comme ChatGPT. De tels outils existent déjà : GPTZero – codé par un étudiant de Princeton – est d’ores et déjà capable de détecter un texte généré par ChatGPT, avec un haut taux de fiabilité. Pour autant, nul doute que des histoires étonnantes liées à ces nouveaux outils continueront de défrayer la chronique, comme lorsque le jury d’un concours d’art du Colorado a décerné le premier prix à un tableau qui avait en réalité été généré par une intelligence artificielle…


4 questions à Maurice N’Diaye, diplômé de Sciences Po (promo 10) et de Polytechnique, fondateur de la start-up Descartes & Mauss qui utilise l’Intelligence artificielle pour réinventer le conseil en stratégie

Maurice N’Diaye (Crédits : DR)

ChatGPT semble susciter autant d’émerveillement que de craintes face au potentiel énorme que pourra offrir cette nouvelle approche du langage naturel. Comprenez-vous les interrogations et réticences du monde éducatif à cet égard ?

Maurice N’Diaye : Ce à quoi nous assistons avec l’avènement de l’IA générative dont ChatGPT est le dernier avatar est sans aucun doute un défi important pour le monde éducatif mais ce n’est pas le premier. Internet, le smartphone puis les réseaux sociaux ont tous, à leur façon, constitué un choc important sur la place de la technologie dans nos vies et donc dans celle de l’enseignement. ChatGPT s’inscrit dans cette logique de favoriser l’accès à la connaissance mais va un cran plus loin en analysant et en synthétisant l’information à la place de l’Homme. Cela comporte-t-il des risques ? Bien sûr. Faut-il pour autant refuser ou lutter contre ce phénomène ? Ce serait un combat perdu d’avance et nous ferait passer à côté de l’essentiel : s’interroger sur ce que l’IA peut apporter de positif, en particulier au travail et comment l’humain doit être accompagné pour en tirer le plus grand profit.

Vous développez vous-même dans le cadre professionnel des solutions adossées à l’Intelligence artificielle. Pensez-vous que l’utilisation de ces technologies est devenue un fait incontournable et sans doute une voie sans retour ?

M. N. : Comme souvent avec les ruptures technologiques, il faut distinguer ce qui relève de l’effet de mode et ce qui relève des changements profonds. Je pense que ce qui se passe avec ChatGPT est du même ordre que ce qu’on a vu ces derniers mois avec le Metaverse : un nouvel usage technologique révolutionnaire, poussé par quelques gros acteurs de la Tech, qui crée un engouement planétaire sans que l’on sache très bien à quoi tout cela va servir. En revanche, à chaque fois, ces outils sont rendus possibles par des innovations sous-jacentes qui, elles, sont de véritables « game changers ». La blockchain ou la tokenisation pour le Metaverse et l’IA générative pour ChatGPT. C’est à cela qu’il faut s’intéresser à mon sens car ce sont ces innovations qui sont là pour durer et qui n’ont pas fini de bouleverser nos vies.

Pour certains, le risque majeur est une diffusion en continue des idées déjà établies et relayées à l’infini par les utilisateurs. Les contenus ainsi dupliqués sans aucune analyse, et aussi sans esprit critique, vont appauvrir la qualité de la réflexion et alimenter encore de façon plus criante les fake news ? Partagez-vous ces craintes ?

M. N. : Cette idée est à mes yeux erronée car elle repose sur une vision statique des choses. Non seulement nous n’allons pas arrêter de penser, de créer des contenus et donc de nourrir l’état de la connaissance à l’échelle de l’humanité mais le renforcement du sens critique a justement un rôle important à jouer pour ne pas subir le phénomène que vous décrivez. C’est tout l’enjeu pour une école comme Sciences Po d’outiller intellectuellement les élèves afin qu’ils conservent leur libre-arbitre et deviennent des utilisateurs éclairés de ces nouvelles technologies. Au final, l’avenir d’un tel outil dépendra à mon sens de trois catégories de facteurs : les améliorations technologiques à venir apportées par l’industrie, l’usage concret que les citoyens en feront et la régulation qui sera mise en place par les États ou les institutions, y compris éducatives.

Les géants de la tech semblent avoir investi ce créneau ce qui aura pour effet d’entraîner dans les mois et années qui viennent un accroissement de concurrence avec une technologie toujours plus performante. À quel développement majeur peut-on encore s’attendre ?

M. N. : Ma conviction est que l’intelligence artificielle va profondément transformer les organisations au cours des années à venir. Ses usages vont progressivement remonter la chaîne de valeur de telle sorte que l’IA va occuper un rôle de plus en plus stratégique. Après avoir permis des gains de productivité sur des tâches à faible valeur ajoutée, elle transforme actuellement des métiers comme le marketing ou la gestion de la relation client et est progressivement en train de devenir une part intégrante de la prise de décision. On a vu avec la superposition des crises sanitaire, environnementale, géopolitique et maintenant économique qu’il était devenu très difficile pour les dirigeants de se projeter dans un monde aussi instable et donc d’engager leur organisation sur cinq ou sept ans. Résultat : beaucoup ont été tentés de faire de la tactique plus que de la stratégie. Pour retrouver cette capacité à penser le temps long et moins subir le cours des choses, l’IA doit être convoquée par les directions générales, non pas pour prendre les décisions à leur place mais pour bâtir des grilles de lectures multifactorielles que des humains ne sauraient élaborer. L’assistance à la prise de décision sera une des nouvelles frontières de l’IA, dans l’entreprise mais dans beaucoup d’autres domaines comme la médecine ou la justice.


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