Grand écrit - Maurice Druon, Prix Goncourt, ministre et Immortel

Grand écrit - Maurice Druon, Prix Goncourt, ministre et Immortel

Sciences Po a accueilli nombre de futurs écrivains. Certains sont restés confidentiels, d’autres, comme Jean Cocteau, Paul Claudel ou Marcel Proust se sont imposés sur la scène littéraire française. Les historiens Emmanuel Dreyfus (promo 91) et Pascal Cauchy retracent ici le parcours de Maurice Druon. Qui était-il, au-delà de l’auteur du Chant des partisans ?

Par Emmanuel Dreyfus (promo 91) et Pascal Cauchy

Maurice Druon (Crédits : Institut de France)

Se souvient-on encore que Le Chant des partisans a été écrit par un Sciences Po ? Il est vrai qu’on n’y trouve guère de traces de droit public ou de science politique…

Maurice Druon vient de sortir de l’École où il était entré en rêvant d’une carrière de diplomate écrivain. Il a à peine eu le temps de se battre qu’en 1940, il arrive à Londres avec son oncle, le journaliste Joseph Kessel. Un jour, avec les speakers des studios de la BBC pour témoins, il siffle un air composé par la chanteuse Anna Marly qui doit servir d’indicatif aux émissions en français. Le Chant des partisans est né, qui deviendra, pendant et après la guerre, l’hymne officiel de la Résistance. La mélopée, à bien l’écouter, a quelque chose de russe, comme Anna Marly, qui l’est tout à fait et s’est inspirée d’un air populaire russe et comme Joseph Kessel, qui l’est à moitié par sa naissance.

À la Libération, Maurice Druon entame la carrière mi-administrative mi-politique d’un ancien résistant qui a fait Sciences Po. Mais surtout, il écrit et remporte le prix Goncourt, en 1948, pour Les Grandes Familles, le premier volume d’une fresque romanesque qui se déroule dans la société française des années 1920. On y trouve de l’ambition politique, des fortunes, des ruines et des haines, peu d’amour ; la rare tendresse de Druon va aux vieillards déchus et à la chasse, sa passion. On trouvera davantage l’atmosphère de la rue Saint-Guillaume dans le portrait de Marthe Bonnefoy, une femme d’influence qui aime à former les jeunes ambitieux en politique et à défaire les ministères.

Mais le nom de Maurice Druon reste attaché aujourd’hui à une autre suite romanesque, Les Rois maudits, qui se déroule, elle, dans la France du XIVe siècle. Le dernier Grand Maître des Templiers maudit sur son bûcher le chancelier, le pape, le roi et la branche des Capétiens directs va s’éteindre dans l’adultère, le vol et le meurtre, sur fond de banquiers corrupteurs et de ministres corrompus qui n’ont rien à envier à ceux de la IIIe République finissante. Les professeurs d’histoire médiévale peuvent se lamenter de ses anachronismes en tous genres, mais le livre offre un souffle romanesque qui lui vaut le succès et fournit l’intrigue de l’un des premiers téléfilms de l’ORTF.

Maurice Druon est élu en 1966 à l’Académie française, au fauteuil de Georges Duhamel. Il devient, en 1973, ministre des Affaires culturelles dans le gouvernement Messmer, succédant ainsi à André Malraux et à Jacques Duhamel. Il est élu député gaulliste de Paris en 1978. Il occupe ensuite le poste de secrétaire perpétuel de l’Académie française, de 1985 à 2009. Maurice Druon entreprend à cette période la rédaction de ses mémoires, dont seul le premier volume, qui s’arrête au début de la guerre, paraît. Bien sûr, Maurice Druon évoque son passage rue Saint-Guillaume et les idées politiques qu’il y contracte ou qu’il y conserve. Il meurt en 2009, à 90 ans.


EXTRAITS


La Chute des Corps, Julliard, 1950

Il regarda dans la glace, au-dessus des photographies, son image vivante et colorée. Marthe Bonnefoy respectait le silence de Simon, sachant que lorsque les hommes politiques ne parlent pas, ils pensent à eux et trouvent dans leurs réflexions des raisons d’orgueil précises à leur carrière.

Or, celui-ci, qui lui paraissait si jeune, qui était en train de se former, elle le considérait avec une grande tendresse…

« Au fond, dit soudain Simon, la République est généralement conduite par des hommes laids. »

Marthe eut une expression qui semblait signifier : « J’ai toujours été assez belle pour deux… »

Puis, à haute voix, elle dit ;

« Tu sais le mot de Talleyrand : “La beauté, pour un homme, cela fait gagner quinze jours.” »

Le visage de Simon s’épanouit ; en lui apprenant cette phrase, Marthe venait de lui faire un grand cadeau.

Et de fait, elle n’aimait pas les hommes beaux. Elle aimait les hommes de talent, et surtout ceux qui gouvernaient, qui étaient capables de gouverner, ou qu’elle rendait gouvernants.

Une déformation psychique secrète faisait qu’elle ne trouvait de pleine satisfaction physique qu’avec eux. Bâtie de corps et d’esprit pour être maîtresse de roi, elle infirmait ce lieu commun qui veut que certains êtres ne réussissent point parce qu’ils ne sont pas de leur siècle. Elle était parvenue à être reine sous la République en changeant de prince aussi souvent qu’en changeait le peuple, et en prévoyant dans ses choix personnels, avec une extraordinaire sûreté, les goûts du parlement souverain. Elle incarnait la troisième Marianne. Elle aimait à redresser les cravates à la gorge des tribuns, à caresser les ventres emplis par les banquets électoraux, et à écouter parler des crédits de l’armée en extirpant les points noirs dans le dos du pouvoir.


Mémoires – l’Aurore vient du fond du ciel, Plon-Éditions de Fallois, 2006

Fondée après la défaite de 1870, l’École de la rue Saint-Guillaume formait aux carrières de la haute fonction publique (…). Les professeurs étaient une élite, et les élèves, il faut en convenir, aussi.

Dans les années où j’y fus, on se pressait aux cours du sociologue et du géographe André Siegfried, académicien, homme d’immense culture, à l’esprit clair et à la voix lente, qui s’aidait d’une sorte de face à main à manche courte pour consulter ses notes. L’histoire diplomatique nous était enseignée avec élégance par M. Scheffer, personnage à long visage encadré de favoris à la François-Joseph ; maniant son lorgnon pendu à son cou par un ruban de soie, il déclarait ironiquement que jamais personne, y compris lui-même, n’avait rien pu comprendre à l’affaire des duchés de Schleswig-Holstein.

(…) Les élèves, particulièrement ceux de la section diplomatique, se plaisaient à porter le chapeau melon ou le feutre noir aux bords relevés gansés de soie, le parapluie étroitement roulé, et même souvent des guêtres claires par-dessus la chaussure parfaitement lustrée, qui constituaient l’uniforme déjà presque suranné des chancelleries. Ils se fabriquaient l’apparence de ce qu’ils se préparaient à être.

Les rendez-vous se donnaient chez Poiré-Blanche, un pâtissier-glacier du boulevard Saint-Germain.

Cette jeunesse, en majorité issue des milieux aristocratiques ou de haute bourgeoisie, avait généralement des idées de droite, voire d’extrême droite.

Pour ma part, je pensais que la monarchie constitutionnelle était le meilleur, ou le moins mauvais, des régimes ; aujourd’hui ayant fait le tour de tout, ayant subi ou observé le fonctionnement de vingt systèmes de gouvernement, je suis revenu à le penser (...).


Cette chronique a initialement été publiée dans le numéro 26 d’Émile, paru en octobre 2022.


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