[Exclusif] Entretien avec Jean-Pierre Raffarin et François Patriat

[Exclusif] Entretien avec Jean-Pierre Raffarin et François Patriat

Il y a quelques jours, Émile est allé au Sénat rencontrer l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et le sénateur En Marche, François Patriat. Le lendemain de cet entretien, M. Raffarin a annoncé son retrait de la vie politique et son collègue de la Côte d’Or, a, quant à lui, officiellement lancé le groupe LREM au Sénat. Voici, en avant-première, quelques extraits de ce grand entretien, dont l’intégralité sera à retrouver, dans les pages d’Émile à la rentrée. 

François Patriat et Jean-Pierre Raffarin dans l'Hémicycle du Sénat (Photo : Claire-Lise Havet)

François Patriat et Jean-Pierre Raffarin dans l'Hémicycle du Sénat (Photo : Claire-Lise Havet)

Que pensez-vous des résultats des récentes élections législatives, qui ont vu arriver à l’Assemblée nationale de nombreux nouveaux et jeunes élus ?

Jean-Pierre Raffarin : Le changement auquel nous assistons est peut-être un bienfait pour l’exercice démocratique. Que les institutions soient quelques fois obligées de renouveler complètement leur ressource humaine n’est pas forcément une mauvaise chose. Cela permet un ajustement avec les aspirations de l’opinion. Le système était peut-être un peu trop sclérosé, et le renouvellement insuffisant, il était donc nécessaire de revoir nos pratiques politiques. Ces nouveaux élus vont progressivement gagner en expérience et en efficacité. Je ne crois donc pas qu’en termes d’analyse sociologique, démographique ou politique, ce soit quelque chose qui affaiblisse la démocratie.

Comment ces nouveaux élus vont-ils aborder la fonction parlementaire?

François Patriat : Avec la fin du cumul des mandats et leur limitation dans le temps, l’appropriation de la fonction parlementaire est différente. Les élus d’aujourd’hui comprennent qu’ils n’auront plus de mandat local servant de parachute et qu’ils seront moins connectés au territoire. Il y aura plus de travail au parlement, puisqu’ils seront parlementaires à temps-plein, et en même temps, ils devront aller chercher sur le terrain une forme de légitimité. Le dialogue avec leurs administrés sera moins aisé que lorsque les élus présidaient des intercommunalités, des mairies ou des conseils généraux. Cela signifie donc plus de spécialisation et en même temps une mobilisation différente. Ces nouveaux élus savent que la durée de leur mandat est limitée, c’est en cela que l’état d’esprit va changer.

Quels vont être, selon vous, les rapports entre l’Exécutif et le Parlement ?

François Patriat : Pour le chef de l’Etat et le chef du Gouvernement, je pense qu’avoir des parlementaires novices peut être une bonne chose : ils ne sont pas habitués aux petites manœuvres qui consistent à jouer des majorités, à être contestataires, voire frondeurs. Je remarque une différence dans cette alternance, le souci de jouer collectif. Je crois qu’il y aura non pas une forme de discipline « godillot », mais l’idée que  « nous sommes là pour faire réussir le chef de l’Etat ». Ces parlementaires arrivent ensemble et souhaitent travailler en équipe, alors qu’avant tout le monde pensait individuellement «je veux me faire ma place, je veux telle commission, tel rapport ». Je l’ai vu au séminaire organisé pour les nouveaux députés En Marche, ils cherchent ensemble à savoir comment se répartir les rôles pour être efficaces collectivement. Simplement, cette majorité peut être plus difficile à gouverner, parce que plus nombreuse, et que beaucoup aspireront à des responsabilités. Il va falloir partager les tâches pour que chacun puisse exister et progresser.

Quelle est la vocation du groupe En Marche au Sénat et comment va-t-il s’organiser?

François Patriat : La vocation du groupe LREM est née, premièrement, d’un souci de clarification. Les parlementaires qui appartenaient pour la plupart au groupe socialiste ont eu le besoin de clarifier leur position et ne pas rester dans un groupe où coexisteraient, de façon ambigue, trois positions distinctes : un soutien à la carte, une opposition, ou un soutien déterminé. Le groupe LREM se montrera donc présent dès cette session d’été pour que celle-ci soit le lieu d’expression des sénateurs qui ont suivi la campagne et l’élection d’Emmanuel Macron. Ensuite, le groupe entend être à l’image génétique d’En Marche, c’est à dire pluraliste, en rassemblant des sénateurs EELV, RDSE, PS mais aussi LR. Il a vocation à s’élargir avec les élections futures. Je souhaite en effet qu’il s’ouvre à des tendances diverses.

Monsieur Raffarin, quel sentiment portez-vous sur la nomination d’Edouard Philippe à Matignon ? Certains, dans votre famille politique, l’ont vu comme une trahison.

Jean-Pierre Raffarin : C’est évidemment difficile puisqu’il s’agit d’un projet de refondation. La question dans ce contexte est de savoir si on y participe ou non. Pour Les Républicains comme pour les autres, il y a deux attitudes possibles : ceux pour lesquels la refondation ne peut pas se faire sans la droite, et ceux pour lesquels la refondation est une manœuvre de la gauche pour se ressourcer. Donc, « la refondation ne nous intéresse pas » disent les uns,  et « la refondation n’a de sens que si des responsables politiques de droite et du centre y participent avec des élus de gauche » disent les autres. Ce qu’a fait Edouard Philippe relève d’une logique politique courageuse. De mon point de vue, ce n’est absolument pas une faute morale.

François Patriat : Je pense, en effet, que ce qui est parfois considéré par certains – souvent les fantassins de chaque parti - comme un acte de déloyauté est davantage, à mes yeux, un acte de courage et de lucidité politique.
 

 

L’intégralité de cet entretien sera publiée dans le magazine Émile de la rentrée. Vous y retrouverez également l’historien Jean Garrigues, spécialiste de la vie parlementaire. Nos trois interlocuteurs nous éclairent sur le rôle et l’avenir du Parlement sous l’ère de la République en Marche, et sur l’avenir des partis traditionnels à l’heure de la recomposition du paysage politique français.

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