Covid-19 : une crise dévastatrice en Équateur ?

Covid-19 : une crise dévastatrice en Équateur ?

L’Équateur est le deuxième pays d’Amérique latine le plus touché par l’épidémie de Covid-19, derrière le Brésil. Selon le ministère de la Santé, il y avait le 4 mai 34 279 cas confirmés et 1569 décès. Mais ces chiffres officiels sont remis en cause par une grande partie de la société civile, des ONG, des médecins, du personnel soignant et des journalistes. Dans cet article, Juan Diego Valdivieso Rowland (promo 19), journaliste franco-équatorien, alerte sur l’inquiétante situation du pays.

22 avril 2020, centre-ville de Guayaquil pendant la quarantaine. (Crédits : Fabiana Lando/Shutterstock)

22 avril 2020, centre-ville de Guayaquil pendant la quarantaine. (Crédits : Fabiana Lando/Shutterstock)

Succession d’épidémies, faillite de la santé publique, quel contexte précédait à l’arrivée du Covid-19 ?

Selon un article de la BBC, à Guayaquil, ville portuaire avec de très fortes inégalités sociales et disparités économiques, il y avait des épidémies de dengue, de Zika, de rougeole et de Chikungunya, entre autres maladies, avant que le Covid-19 n’arrive en mars. Cela s’appelle la « double charge » des maladies, qui produisent des symptômes similaires. Donc, tout était mélangé.

L’arrivée du Covid-19 à Guayaquil a semé la terreur et la désolation. Il y avait des cadavres dans les rues et des cercueils de bois ou de carton partout. Pendant le pic de l’épidémie, les malades de toutes les classes sociales ne pouvaient pas accéder aux services hospitaliers parce que le fragile système sanitaire équatorien s’était effondré. Il existe une ligne de téléphone, le 171, pour que les potentiels malades puissent décrire leurs symptômes et pour que les soins médicaux soient coordonnés, mais cette ligne est saturée. 

« C’est une crise humanitaire jamais vue dans ce pays. »

Sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, on a pu voir des dizaines de témoignages de personnes qui cherchaient les cadavres de leurs proches : comme le gouvernement et les gestionnaires des cimetières ne pouvaient pas assurer un suivi efficace, les cadavres étaient perdus et la plupart des proches des personnes décédées n’ont pas réussi à dire adieu à leurs maris, épouses, parents, enfants ou amis. C’est une crise humanitaire jamais vue dans ce pays. 

Désinvestissement dans le secteur de la santé publique 

Selon un article de l'Institut International d'Études Sociales (BLISS) de l'Université de Rotterdam, les problèmes du système de santé ont été exacerbés par des mesures d'austérité dans le cadre de l'accord avec le Fonds Monétaire Internationale (FMI) et d'autres institutions multilatérales. Les dépenses publiques de santé se sont stabilisées à 2,7% du PIB en 2017 et 2018, puis ont légèrement diminué pour s'établir à 2,6% en 2019.

« Les investissements publics dans le secteur de la santé ont chuté de 64% entre 2017 et 2019. Des médecins et personnels soignants ont également été licenciés. »

Cependant, l'effondrement des investissements publics dans le secteur de la santé a été encore pire, chutant de 64% entre 2017 et 2019, passant ainsi de 306 millions de dollars en 2017 à 110 millions en 2019. Des médecins et personnels soignants ont également été licenciés. Les licenciements se sont poursuivis tout au long de 2019 (3 680 au ministère de la Santé Publique, soit 29% du nombre total de licenciements cette année-là).

Quito, 29 avril 2020 : Alors que le coronavirus se propage dans toute la région, les habitants du sud de la ville baissent la garde et descendent dans la rue (Crédits : teranbryan_ecu/Shutterstock)

Quito, 29 avril 2020 : Alors que le coronavirus se propage dans toute la région, les habitants du sud de la ville baissent la garde et descendent dans la rue (Crédits : teranbryan_ecu/Shutterstock)

Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement équatorien pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 ?

Le 16 mars, le président de la République a décrété l’état d´urgence dans tout le territoire national pendant 60 jours. Un confinement préventif a été mis en place. Les principales mesures qui ont été prises sont : la restriction de la circulation des piétons et des véhicules sauf pour ceux qui vont à l’hôpital, pour les transports des produits alimentaires, pour s´approvisionner en carburant, pour assistance aux personnes âgées, entre autres. La circulation des voitures particulières est limitée à un jour par semaine, déterminé selon le dernier chiffre de la plaque d’immatriculation, et interdite le week-end.

Le président a également fermé les frontières terrestres et aériennes ; a annulé tous les évènements massifs ; les activités commerciales ont été suspendues dans les établissements (il promeut les livraisons des produits à domicile). De plus, il a annoncé la fermeture des établissements éducatifs, des restaurants, cafés, théâtres, cinémas, et de tous les endroits où il peut y avoir des foules. Le gouvernement a aussi fermé les parcs nationaux et a suspendu les transports en commun dans tout le territoire. 

Le gouvernement a annoncé son intention de promouvoir le télétravail et l’éducation en ligne. Les forces de l’ordre (l’Armée et la Police Nationale) sont chargées du maintien de l´ordre public. 

Quelle est la situation actuelle ? 

Début mai, la situation reste incertaine. On craint que la deuxième vague de décès soit encore pire. Le gouvernement a produit une vidéo montrant un plan pour enterrer dignement les morts dans des nouveaux cimetières, mais elle a suscité la polémique et ils l’ont effacée des réseaux sociaux. 

« Début mai, la situation reste incertaine. On craint que la deuxième vague de décès soit encore pire. »

Le président de la République, Lenín Moreno, a annoncé la dernière semaine d’avril que la fermeture des frontières se prolonge jusqu’au 31 mai, ainsi que le port du masque obligatoire dans l´espace public. Il a également mentionné qu’à partir du 4 mai, il y aura une sorte de système de feux de circulation dans chaque canton du pays. 

Il a délégué aux municipalités le pouvoir de définir si leur territoire est suffisamment préparé en termes de soins médicaux (Unités de Soins Intensifs ; suffisamment de matériel médical ; stabilité dans le nombre de cas du Covid-19 ; la capacité de tester ; la diminution des soins dans les hôpitaux et les plateformes numériques, entre autres) pour passer du feu rouge au jaune ou vert. 

  • Feu rouge : Les entreprises peuvent faire des livraisons de 07h00 à 22h00. La restriction de mouvement est maintenue sauf pour les secteurs essentiels. La circulation des voitures particulières reste la même : un jour par semaine selon le dernier chiffre de la plaque et interdiction le week-end.

  • Feu jaune : Les institutions privées et publiques des secteurs non essentiels peuvent travailler avec un maximum de 50% des employés sur place, avec une organisation par équipes ; le télétravail sera la priorité. Toutes les activités doivent avoir des protocoles et des mécanismes de surveillance des symptômes pour leur personnel. Les soins médicaux ambulatoires sont autorisés dans toutes les spécialités. Le couvre-feu sera de 18h00 à 05h00. Les transports urbains et interprovinciaux seront partiellement activés ; les unités peuvent occuper un maximum de 30%. Les voitures privées peuvent circuler deux jours par semaine, selon le dernier chiffre de la plaque d'immatriculation. Le dimanche, la circulation est interdite pour tous les véhicules privés.

  • Feu vert : Les institutions privées et publiques peuvent travailler avec un maximum de 70% des employés sur place, avec des heures différentes pour éviter les foules. Le télétravail reste la priorité. La circulation des voitures particulières se fera selon la plaque d´immatriculation. Le couvre-feu sera de 21h00 à 5h00. Des magasins qui ont une capacité maximale de 50% peuvent fonctionner. Le transport urbain et interprovincial peut fonctionner.

Le 30 avril, les 221 cantons de l'Équateur ont décidé de rester sur le feu rouge, malgré leurs différences face à l'impact du Covid-19. Dans le même temps, la situation économique du pays se dégrade à grande vitesse. 

D’une manière générale, est-ce que la population équatorienne applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?

Avant cette crise, en Équateur à peu près 5 millions de personnes étaient au chômage ou avaient des emplois précaires. La population totale est de 17 millions. La plupart d'entre eux vivent au jour le jour (vente à la sauvette, emplois sans contrats ou autres conditions). Comme ils n’ont pas d’emplois fixes, ces personnes doivent forcément sortir pour vendre des produits afin de ramener de la nourriture chez eux. Avec l’urgence sanitaire, la situation s’est dégradée, parce que malheureusement le gouvernement ne peut pas satisfaire les besoins des gens démunis, donc ils sont obligés de sortir pour survivre.  

Quito, 28 avril 2020 : une femme devant son domicile achète des légumes. Les ventes de nourriture à domicile sont devenues prisées en temps de coronavirus, et les marchands ambulants continuent leur activité pour survivre (Crédits: teranbryan_ecu/Sh…

Quito, 28 avril 2020 : une femme devant son domicile achète des légumes. Les ventes de nourriture à domicile sont devenues prisées en temps de coronavirus, et les marchands ambulants continuent leur activité pour survivre (Crédits: teranbryan_ecu/Shutterstock)

Il y a des grandes différences régionales dans ce petit pays. Sur la côte, où la ville de Guayaquil est localisée, les inégalités sociales sont plus accentuées. En revanche, dans les Andes, où la capitale Quito est située (où j´habite), il y a une plus grande classe moyenne notamment grâce aux fonctionnaires, donc la situation est différente et les gens appliquent davantage les consignes des autorités. C’est pareil dans le reste de la région des Andes et dans l’Amazonie, qui est peu peuplée. 

Au quotidien, qu’est-ce que cela change pour vous ? 

Dans mon cas, je suis en télétravail parce que j´ai un contrat pour travailler à mi-temps dans une ONG - Fundación Raíz Ecuador - qui donne des produits alimentaires à des milliers de familles pauvres sur la côte et dans l’Amazonie pendant le confinement. On a d’autres projets très intéressants dans ces régions, concernant les droits des peuples indigènes dans l’Amazonie et la construction de maisons de bambou sur la côte, avec le projet CAEMBA (maisons d’urgence de bambou). Vous pouvez en savoir plus sur https://www.raiz-usa.org/.

Depuis le 15 mars, l’ONG nous a dit de travailler depuis chez nous. On avait prévu une mission de construction de 27 maisons de bambou dans la province d’Esmeraldas, mais avec la crise sanitaire la mission a été suspendue, ainsi que mon déplacement sur place. 

Depuis mon retour de Sciences Po en juillet dernier, j’habite avec mes parents. Notre voiture a le droit de sortir une fois par semaine : les vendredis matins jusqu’à 14h00. Le couvre-feu est entre 14h00 et 05h00. Il est impossible de faire à la fois les courses pour la semaine à venir et de visiter tous nos proches en quelques heures. Depuis le début du confinement, j´ai vu à peine deux fois mes grands-parents et autres membres de ma famille - avec des masques et les mesures de sécurité nécessaires. Je suis donc en confinement quasi-total. 

Cette épidémie et la crise (sanitaire/économique) qu’elle engendre a-t-elle un impact sur les questions environnementales dans votre pays ?

Bien sûr. Par exemple, le ministère de l’Environnement a fermé depuis le 15 mars les 56 zones protégées de l’Équateur, qui représentent 20% du territoire national. Ces zones, qui sont maintenant sans visiteurs, peuvent voir un rebondissement de la faune. Il y a par ailleurs des témoignages de personnes qui ont vu des espèces de faune sauvage s’approcher d’endroits qui étaient précédemment bondés. En plus, la qualité de l’air dans les grandes villes (Quito, Guayaquil, Cuenca, Manta ou Ambato) s´est améliorée grâce à la réduction de la pollution.

« Le ministère de l’Environnement a fermé depuis le 15 mars les 56 zones protégées de l’Équateur, qui représentent 20% du territoire national. »

Malgré la situation économique très précaire du pays (crise fiscale, externe, manque d’investissements, absence d’un écosystème favorable aux entrepreneurs, manque de sources de revenus, bas prix du pétrole, entre autres), l’Équateur est un des pays avec la plus grande biodiversité du monde. Il y a quatre régions qui se démarquent : les très connues îles Galapagos, la côte, les Andes et l’Amazonie. Par exemple, dans un hectare du Parc National Yasuní, dans l’Amazonie - l’endroit avec la plus grande biodiversité du monde - il y a plus d’espèces d’arbres que dans toute l’Amérique du Nord.



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