Correspondance politique - "Je suis très inquiet pour la droite"

Correspondance politique - "Je suis très inquiet pour la droite"

Tout au long des mois qui nous séparent de l’élection suprême, deux Sciences Po vont entretenir une correspondance politique hebdomadaire : Erwan Le Noan, consultant et blogueur engagé pour une économie libérale, et John Palacin, ancien conseiller d’Arnaud Montebourg, aujourd’hui conseiller régional de Languedoc Roussillon Midi Pyrénées. 

Cher Erwan,

J’ai été heureux de vous lire pour la première fois : nous voici en effet embarqués dans un échange au long cours dans une climat politique particulier, dans une période où beaucoup de certitudes s’effondrent, où les institutions du XXe siècle se fissurent, où rien ne semble certain, où les risques sont grands, où tout peut arriver, le pire ou le meilleur, mais une période où, peut-être, tout peut être réinventé.

A nous donc, la gauche et la droite… vous vous interrogez sur la ligne qui nous sépare, vous « gens de droite » et nous, « gens de gauche » ? Il y a eu de nombreuses réponses à cette question, celle de Gilles Deleuze par exemple : « Etre de gauche c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite c’est l’inverse ». Intuitivement, ma conviction est qu’in fine être de gauche c’est penser d’abord collectivement, attacher de l’importance à ce qui est universel dans le genre humain, et donc à la justice sociale, au destin de l’Homme, des femmes et des hommes dans l’Histoire, à l’égalité et à l’émancipation. C’est tout cela qui a fait l’histoire de la gauche. Et il me semble que la droite se positionne en réaction à ces idées, depuis deux siècles et demi. Mais je vous vois déjà sourire à la lecture de ces lignes, à l’arrogance de ces « gens de gauche » et à leur complexe de supériorité : ce n’est que la sincérité qui parle, cette sincérité qui nous rend si sympathiques, nous « gens de gauche » 

Trêve de bavardages, je vous rejoins sur un point : évacuons la question des quinquennats passés et évitons, pour expliciter nos différences, de comparer les bilans des quinquennats de François Hollande et de Nicolas Sarkozy. Le quinquennat qui s’achève s’est ouvert sur des mesures contradictoires, trop souvent orthogonales au message de sa campagne présidentielle, et sur une réduction des déficits menée à un rythme mortifère qui a porté atteinte à la relance de l’activité et la réduction du chômage. Il s’achève dans un climat sinistre de délitement. Quant au quinquennat précédent, je n’en jetterai pas sur Nicolas Sakozy : ses concurrents à la primaire de la droite le font suffisamment. Mais je reste persuadé qu’il était bien assez grand pour perdre tout seul l’élection de 2012 après avoir affaibli considérablement la fonction présidentielle et la Ve République. Mais regardons la situation actuelle et regardons devant nous : nos échanges éclaireront différemment, je l’espère, les différences entre la gauche et la droite. 

Où en sommes-nous ? Comparaison n’est pas raison, mais mois après mois, je ne peux me défaire d’un sentiment que je voudrais partager avec vous, un sentiment diffus de « retour aux années 30 » : une crise financière majeure et des politiques d’austérité néfastes n’ont fait qu’aggraver ses conséquences, la décomposition de la coopération internationale et de l’Union européenne en particulier, une Ve République aussi archaïque que ne l’était devenue la IIIe, le discrédit jeté sur les responsables politiques, des projets de réforme d’ampleur qui peinent à percer etc. et, beaucoup plus récemment, le coup de tonnerre du Brexit, et l’élection de Donald Trump. Dans ma commune, l’accueil des migrants a ravivé dans les mémoires le souvenir des réfugiés espagnols en 1938. Ailleurs, c’est le rejet et une haine sans fard qui ont parfois prévalu. Comparaison n’est pas raison mais l’histoire s’est remise à bégayer. C’est ce monde instable qui est le décor réel de nos échanges.

Revenons à notre histoire de droite et de gauche en 2016. Vous me dites que vous n’aimeriez pas être de gauche : cela tombe bien, vous n’y êtes pas contraint. J’ai le sentiment que vous faites ce reproche qui a toujours été fait à la gauche, de ne rien entendre à l’économie et d’être archaïque, de ne pas comprendre le réel et « son temps ». A ce réel-là, j’opposerais volontiers le réel d’une France fracturée par la mondialisation sans frein. Nous avons vu depuis des décennies (souvenons-nous de la « fracture sociale ») une partie de territoires se détacher et s’éloigner les uns des autres. Aux métropoles connectées, internationales et dynamiques les nouveaux emplois, l’enthousiasme les progrès du monde. Au monde rural et périurbain, aux villes moyennes, le déclassement, le recul des services publics, la désindustrialisation, l’effondrement des centres-villes et des commerces, la fuite de la jeunesse. C’est dans cette France qui n’a plus d’horizon que progresse le désespoir et le vote du désespoir. C’est cette France dont les élites « n’ont pas idée ». C’est cette France que l’on a oubliée. C’est cette France-là aussi que les responsables politiques doivent regarder en face.

A ce sujet, je suis très inquiet pour la droite. J’écoute attentivement les projets des candidats potentiels pour l’élection et je n’entends qu’une seule voix, celle de Margaret Thatcher, c’est-à-dire une voix de 1979 : 100 milliards de baisse des dépenses publiques, jusqu’à 500 000 fonctionnaires en moins, retour aux 39 heures, économies dans les retraites et l’assurance maladie. La même antienne ultra-libérale entendue depuis 30 ou 40 ans. Comment la droite n’a-t-elle pas pu innover ? Se réinventer ? A entendre ces chiffres, je me demande combien d’écoles vont fermer. Je pense aux hôpitaux de « la France d’en bas » : ils manquent déjà cruellement de moyens. Et la police, la gendarmerie, l’armée ? Comment donner aux forces de l’ordre les moyens dont ils ont besoin dans la période de menace que traverse le pays ?

Nous savons, à gauche, ce que signifie maîtriser et réduire un déficit public : contre l’idée reçue, elle l’a fait bien plus souvent que la droite. C’est pourquoi à entendre les chiffres avancés par des responsables si « sérieux », je suis partagé entre la stupéfaction devant tant d’irréalisme ou l’effroi à l’idée des conséquences effroyables que provoquerait une telle politique si elle devait être menée, dans cette France qui se sent abandonnée, dans cette France déjà en colère. Après application de ces grands remèdes proposés par la droite, le mal dont souffre notre pays n’en serait que plus grand.

Voici le sentiment d’ensemble avant que la campagne ne s’ouvre réellement : elle sera longue et nos échanges ne font que débuter. J’ai hâte de vous lire.

A la semaine prochaine,

Fidèlement,

John 

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