Analyse- Forces et faiblesses de Marine Le Pen à quatre mois de l’élection présidentielle

Analyse- Forces et faiblesses de Marine Le Pen à quatre mois de l’élection présidentielle

Les sondages en perspective de la prochaine élection présidentielle annoncent Marine Le Pen présente au second tour après un premier tour où elle se situerait aux alentours de 25 % des intentions de vote, proche du candidat de la droite, François Fillon, qui oscille, selon l’offre de candidatures à gauche et au centre, entre 26 % et 29 %. On avait parlé en 2002 du « choc » provoqué par la sélection de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle : après avoir remporté 16,9 % des suffrages exprimés au premier tour, le leader du Front national avait atteint 17,8 % au second tour. Aujourd’hui, les niveaux atteints par le Front national de Marine Le Pen sont beaucoup plus élevés et le « choc » de 2017 risque d’être plus vigoureux que celui de 2002. Lors de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen avait rassemblé 17,9 % des suffrages mais cela n’avait pas été suffisant pour la propulser au second tour, Nicolas Sarkozy attirant 27,2 % et François Hollande 28,6 %.

Mais, au cours des quatre dernières années écoulées, le Front national n’a cessé de renforcer son influence : 24,9 % aux élections européennes de juin 2014, 25,2 % aux élections départementales de mars 2015 et 27,7 % lors des élections régionales de décembre 2015. Cette impressionnante dynamique qui a amené le Front national en première position des électorats français se déroule dans un contexte où les nationalismes et les populismes sont à la hausse partout dans le monde et en Europe. Les 51,9 % de votes favorables à la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne en juin 2016, la victoire de Donald Trump aux États Unis en novembre, les 46,2 % de suffrages rassemblés, le 4 décembre, par Norbert Hofer, candidat du FPÖ, au second tour de l’élection présidentielle autrichienne et les 59,1 % de voix, lors du référendum du 4 décembre, en faveur du rejet de la réforme constitutionnelle proposée par Matteo Renzi en Italie, sont autant de signes lourds d’une montée des mécontentements et des rejets qui profitent aux populismes en tout genre et aux nationalismes de protection.

Le haut niveau électoral du Front national, la capacité de Marine Le Pen à être éventuellement en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et, en tout cas, à se projeter au second tour, doivent être compris dans ce contexte général de retour du nationalisme. En Europe et en France, ce retour de flamme va de pair avec une montée régulière de l’euroscepticisme et même du sentiment anti-européen. Aujourd’hui, seulement 29 % des Français déclarent avoir une image positive de l’Union européenne (Eurobaromètre décembre 2016), ils étaient 49 % en 2000. La « négativisation » de l’Union européenne atteint des sommets parmi les électeurs frontistes. 92 % des électeurs qui déclarent une proximité avec le Front national ne font « pas confiance à l’Union européenne » (enquête Nouvelles Fractures 2016, Ipsos pour Sciences Po, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde, avril 1976) et 56 % considèrent qu’il serait bon que « la France sorte de la zone euro et repasse au Franc ». À ce rejet de l’Europe, s’ajoute une hostilité par rapport aux immigrés et au processus d’immigration comme vecteur de problèmes économiques, sociaux et culturels. 67 % des sympathisants du Front national (contre 32 % des électeurs français dans leur ensemble) considèrent que « les immigrés qui s’installent en France prennent le travail des Français », 92 % (contre 58 %) que « d’une manière générale les immigrés ne font pas d’effort pour s’intégrer en France » et 98 % (contre 63 %) qu’aujourd’hui « on ne se sent plus chez soi comme avant ». Au cœur même de l’immigration, la question de l’Islam et particulièrement de l’intégrisme musulman contribue à éclairer la poussée de nationaux-populismesqui mettent en avant la menace djihadiste. 77 % des électeurs proches du Front national (contre 41 % des Français en général) pensent que « même s’il ne s’agit pas de son message principal, l’Islam porte malgré tout en lui des germes de violence et d’intolérance » et 71 % (contre 43 %) déclarent éprouver de « la haine quand ils pensent aux attentats qui se sont produits à Paris l’année dernière et à Bruxelles en mars dernier ».

Mais, au-delà de ces facteurs en partie conjoncturels que sont les limites de l’Union européenne, la crise des migrants ou encore la menace terroriste de l’intégrisme musulman, il y a des facteurs de fond et de longue durée qui contribuent à comprendre la réussite électorale du Front national et de sa présidente.

La crise économique et sociale et le chômage de masse, la croissance anémiée et le creusement des inégalités qui l’accompagnent, ont peu à peu fracturé la société française. De plus en plus d’électeurs issus des catégories populaires, menacées au premier chef par la modernisation économique et sociale, sont entrés en jacquerie électorale et fournissent les contingents les plus fidèles à Marine Le Pen. Dans la vague 9 de l’Enquête électorale 2017 (réalisée par Ipsos pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po et Le Monde en décembre 2016), 41 % des ouvriers, 39 % des employés, 35 % des chômeurs et 44 % des personnes qui déclarent « s’en tirer très difficilement avec les revenus du foyer », affirment leur intention de voter en faveur de Marine Le Pen. En revanche, seuls 13 % des cadres supérieurs, 10 % de ceux qui ont un diplôme Bac+4 ou grandes écoles, 14 % de ceux qui déclarent 6 000 euros ou plus de revenus nets par foyer ont l’intention de faire de même. Le vote en faveur de la présidente du Front national exprime une véritable fracture sociale entre les « gens d’en bas » et les « gens d’en haut».

À cette fracture s’est ajoutée une rupture entre ceux qui considèrent qu’ils ont tout à gagner à l’ouverture de notre société et ceux qui considèrent qu’ils ont beaucoup plus à perdre qu’à gagner à une ouverture. En France, comme ailleurs, la globalisation économique mais aussi politique (construction européenne, développement d’instruments de gouvernance mondiale) et culturelle (accentuation du caractère cosmopolite de nos sociétés sous le coup des flux migratoires) est en train d’installer au cœur de notre système une opposition forte et profonde entre les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation. En prônant le modèle d’une « société fermée » ou du moins d’une société profondément recentrée sur l’isolat national, le Front national parle à ceux qui se sentent menacés par les grands vents de l’ouverture. Alors que 58 % des Français pensent que « la mondialisation est une menace pour la France », 79 % des électeurs lepénistes partagent cette opinion.  Alors que 36 % des Français considèrent que « l’Union européenne est une mauvaise chose », ils sont 65 % à être de cet avis parmi les électeurs de Marine Le Pen. Alors que 65 % des Français estiment « qu’il y a trop d’étrangers en France », ils sont 99 % au sein de l’électorat de Marine Le Pen.

Enfin, depuis des décennies, la crise de confiance vis-à-vis de la démocratie représentative ne cesse de croître et une des forces du Front national réside dans sa capacité quasi-unique à « politiser » ce rejet de la politique. 30 % des personnes interrogées pensent que « d’une manière générale, d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie », ils sont 50 % chez les électeurs qui se sentent proches du Front national.

Mais, ce qui fait la force contestatrice du Front national peut aussi faire sa faiblesse puisque 61 % des Français interrogés par Ipsos en avril 2016 pensent que le parti de Marine Le Pen est « dangereux pour la démocratie », 27 % seulement considérant qu’il « est capable de gouverner le pays ». C’est dans cette tension entre la force de la contestation et l’ampleur des interrogations sur la qualité du Front national comme parti de pouvoir qu’il faudra interpréter les résultats de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle.

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