Fanny Herrero, la Sciences Po tête pensante de Dix pour cent

Fanny Herrero, la Sciences Po tête pensante de Dix pour cent

Passée par la London School of Economics, puis par Sciences Po, Fanny Herrero débute une carrière de comédienne avant de devenir scénariste. Elle est actuellement la créatrice et la femme-orchestre de l’écriture de la série Dix pour cent. Rencontre avec cette « showrunner » qui a façonné la dernière série phare de France 2.

Fanny Herrero Photo : Christophe Brachet

Fanny Herrero 

Photo : Christophe Brachet

« En ce moment, l’écriture est omniprésente dans mon esprit ! » Lorsque nous la rencontrons début octobre, Fanny Herrero (promo 98) est dans l’effervescence de la construction de la saison 3 de Dix pour cent. Cette série, au concept imaginé par Dominique Besnehard, dissèque le monde du grand écran à travers les aventures d’agents d’acteurs et la participation, à chaque épisode, d’une tête d’affiche du cinéma. « Mon travail est très prenant, au point de devenir une obsession permanente ! », assure, grand sourire, la scénariste. « Nous ne pouvons jamais prévoir l’accueil du public. » Malgré l’aura professionnelle que lui ont apporté les deux premières saisons de la série, celle qui endosse également la casquette de conseillère artistique de Dix pour cent doute. « Ce succès me ravit et m’angoisse aussi un peu. Désormais, les personnages appartiennent aux téléspectateurs ! C’est effrayant et génial en même temps. »

Une serial auteure

Fanny Herrero a entamé en décembre dernier, avec son équipe d’auteurs, le travail sur ce troisième volet. « La réflexion commence de manière collective. Nous sommes trois ou quatre dans une pièce à construire les arches, c'est-à-dire tout ce qui va se passer au cours de la saison », explique la showrunner. « À partir de cette matière, je trie, synthétise, puis rédige un document qui servira de feuille de route. » Chaque auteur écrit alors les dialogues des épisodes dont il a la charge. « Ils m’envoient leurs textes, et se met en place un jeu d’allers-retours permanent entre eux et moi. Je reprends seule les dernières versions. » 

Avant de tenir les rênes de Dix pour cent, Fanny Herrero a elle-même fait partie d’équipes de scénaristes. Elle a travaillé sur deux épisodes d’un autre succès de France 2, Fais pas ci, fais pas ça, et a été auteure, pendant plusieurs saisons, pour Un village français, diffusé cette fois sur France 3. « J’y ai énormément appris », raconte-t-elle.

Une élève appliquée, mais en quête d’expression

Un amour du dialogue qui l’a contaminée au fil du temps. D’abord étudiante en hypokhâgne et khâgne au lycée Fénelon, cette originaire de Toulon intègre ensuite la London School of Economics puis la rue Saint-Guillaume. « J’avais alors des convictions politiques assez fortes », se souvient-elle. Ancienne élève en sport-études de volley, la jeune femme tient à conserver un minimum d’activité physique. « Je prenais des cours de boxe à Sciences Po. Lors d’une séance, le professeur m’avait mise en binôme avec un étudiant qui, en plus d’avoir des idées d’extrême-droite, n’était pas ravi de s’entraîner avec une fille ! Je m’étais un peu défoulée contre lui », s’amuse-t-elle.

À quoi rêve-t-elle à l’époque ? « Je pensais faire une école de journalisme. » Ses diplômes en poche, Fanny Herrero préfère néanmoins se donner le temps de la réflexion. « Je venais de consacrer des années à mes études supérieures. Cela avait été d’une grande richesse intellectuelle, mais j’avais le sentiment d’être enfermée dans mon cerveau. J’avais besoin de m’exprimer de façon plus physique, plus créative. » Un désir qu’elle comble en s’inscrivant dans une école de théâtre, Les Enfants Terribles. « Mes parents ont accepté de m’aider une année supplémentaire. Ils sentaient que mon envie n’était pas un caprice. » Sur scène, Fanny Herrero découvre le goût du jeu, mais aussi celui du texte. « J’ai écrit une comédie pour le spectacle de fin d’année de l’école. » Une révélation pour la jeune femme : « J’ai découvert ma capacité à faire rire ! »

Des débuts de comédienne

Pourtant, à la fin de sa formation artistique, Fanny Herrero se cherche encore, et opte pour le métier de comédienne. « Entre 20 et 30 ans, j’ai eu un parcours en zigzag. Je ne savais pas très bien ce que je voulais faire. » Comme beaucoup d’acteurs, la jeune femme court les castings. « Ma situation était fragile », reconnaît-elle. « Du coup, j’ai commencé à travailler en freelance pour des maisons d’édition. J’étais nègre, correctrice… » Une manière efficace d’apprendre à manier les ressorts dramaturgiques. « Un jour, l’un de mes contacts m’a présenté une conseillère de programmes de TF1, qui m’a proposé de devenir lectrice. » Ses missions ? Effectuer un tri parmi les projets de scénarios envoyés à la chaîne. La jeune femme se familiarise avec le dialogue. Et commence à y prendre goût. « J’ai réalisé que le scénario était la forme de texte que je cherchais. » Dans ce qui n’était à l’origine qu’un travail d’appoint, Fanny Herrero trouve sa voie : l’écriture. « Mais pas forcément la littérature », précise-t-elle. « J’en avais une trop haute idée pour m’y essayer. En revanche, écrire des dialogues destinés à être joués m’animait. Pour être scénariste, je crois qu’il faut avoir en soi un auteur et un acteur ! » Elle se lance. « Avec le recul, je me dis que lorsque l’on trouve ce qui nous correspond, les étoiles s’alignent. »

L’écriture : la voie gagnante

Fanny HerreroPhoto : Hervé Lassince

Fanny Herrero

Photo : Hervé Lassince

Car, à peine sa décision de réorientation prise, Fanny Herrero apprend qu’Arte est à la recherche de films sur le sport. L’occasion est trop belle pour celle qui fut membre de l’équipe de France Junior de volley-ball, fille qui plus est de Daniel Herrero, ancien joueur et entraîneur du rugby club toulonnais. « Avec mon frère, devenu depuis réalisateur de documentaires, nous avons proposé un synopsis autour du rugby à un jeune producteur, ami d’ami. Ce dernier a réussi à le vendre ! », raconte-t-elle, encore émerveillée. « Le plus dur dans ce métier est de concrétiser un premier projet. Ce film diffusé sur Arte a été une vraie carte de visite. »

Cette expérience la passionne au point qu’elle participe à la création, en 2007, du SAS, un collectif de scénaristes. « Nous sentions que la télévision française devait se moderniser. Nous décortiquions des séries américaines… » Ses références de l’époque ? Six Feet Under, The West Wing, 24 heures chrono… « Nous tentions de comprendre comment nos homologues s’y prenaient pour générer tant d’empathie autour des personnages. » Son projet sur Arte, ses rencontres avec des scénaristes lui mettent le pied à l’étrier et répondent à son besoin de création. « Pendant des années, j’avais été à des rendez-vous professionnels en tant que comédienne. Ce métier est très cruel : on vous juge en un instant sur ce que vous dégagez. Tout d’un coup, on me recevait comme auteure, pour ce que j’avais dans mon cerveau : c’était valorisant ! »

Un rôle parfait donc, d’autant que Fanny Herrero a des choses à dire. « La fiction permet d’évoquer les questions qui traversent la société. » Dans Dix pour cent, la scénariste aborde ainsi, à travers l’épisode consacré à Juliette Binoche, le sujet de la place des femmes dans l’industrie du cinéma, et celui de la perception de leur corps avec Cécile de France. « Ou encore la problématique de la carrière quand on a de jeunes enfants avec Audrey Fleurot », ajoute cette mère de deux enfants, dont une petite fille née en août 2016. « Les textes de la saison 2 ont été bouclés une dizaine de jours avant mon accouchement, le tournage a débuté en septembre… et en décembre, nous étions déjà sur l’écriture de la saison 3. » Et de préciser une particularité de la fonction de showrunner : « En France et aux États-Unis, la plupart de ceux qui tiennent ce poste sur des séries importantes sont des hommes, généralement quinquagénaires. Des gens qui n’ont pas beaucoup à se préoccuper des couches ! » Une équation de départ compliquée qui ne l’a pas pour autant effrayée : « à trop réfléchir, on ne fait plus rien… donc autant se lancer ! »


Bio express

  • 1974 : naissance à Toulon
  • 1993-1995 : hypokhâgne et Khâgne-Lycée Fénelon
  • 1995-1996 : London School of Economics
  • 1998 : diplômée de Sciences Po en ressources humaines et communication
  • 2003-2006 : lectrice (fiction TV et cinéma)
  • 2008-2010 : directrice de collection de la saison 4 de Les Bleus, premiers pas dans la police (M6)
  • 2009-2013 : auteure pendant plusieurs saisons pour Un village français
  • 2011-2012 : coauteure de deux épisodes de Fais pas ci, Fais pas ça (saison 5)
  • 2012-2015 : coauteure de plusieurs épisodes des saisons 2 et 3 de Kaboul Kitchen
  • 2012 : commence à travailler sur Dix pour cent
  • Octobre 2015 : diffusion de la première saison de Dix pour cent sur France 2

Photos : Hervé Lassince et Christophe Brachet

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