Correspondance politique - Le socialisme, le travail et l’islamo-gauchisme

Correspondance politique - Le socialisme, le travail et l’islamo-gauchisme

Cette semaine, notre plume de droite, Erwan Le Noan, répond à John Palacin qui concluait sa dernière lettre par ces mots : "C’est pour défendre le travail que la gauche est née : c’est en défendant à nouveau le travail que la gauche renaît".

Cher John,

Comme le monde va vite ! Et comme cette élection présidentielle est pleine de (mauvaises) surprises !

Votre dernier billet explique que la Gauche est le camp du travail et range le « fléau » de l’antisémitisme parmi ses « turpitudes ». Et voilà que Benoît Hamon a été désigné candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle de mai prochain ! Avouez que c’est ironique… 

Hamon : la fin du travail… et des libertés ?

Dans ce contexte, il devient beaucoup plus compliqué de soutenir, comme vous le faisiez, que « c’est pour défendre le travail que la gauche est née ; c’est en défendant à nouveau le travail que la gauche renaît » ! Pour vous en sortir, je ne vois que deux solutions : soit reconnaître que la gauche vient, non de renaître, mais de choisir de disparaître – un chant du cygne pathétique de révolutionnaire de pacotille, un dernier soubresaut du sur-moi marxisant qui, dans son agonie, a décidé d’emporter tout son parti ; soit accepter que la gauche n’est pas le camp du travail – elle le fut peut-être, et même celui des travailleurs, mais elle a abandonné l’un et a été désertée par les autres.

Benoît Hamon promeut donc la fin du travail. Pourtant, contrairement à ce qu’il affirme, les « experts » ne semblent pas croire à cette hypothèse : l’automatisation va croître (saviez-vous d’ailleurs que la France en est une championne, en raison des rigidités de son marché du travail ?), l’emploi va changer, mais le travail ne disparaîtra probablement pas. Le discours du candidat de la « Belle alliance populaire » n’est en réalité qu’une version actualisée du malthusianisme socialiste qui prône depuis longtemps le partage du travail ; rien que de très classique ; rien que de très pessimiste, rien que de moins « progressiste ».

Quel contraste avec ce que défendait Manuel Valls ! Les commentateurs ont voulu y voir la confrontation entre une gauche « utopique » et une gauche « du réel ». Pour être sincère, je ne partage pas ce ton complaisant qui, au fond, consiste à regarder avec tendresse l’extrême gauche, en fredonnant la chanson de Jean-Jacques Goldman « Rouge » (1). C’est un désastre économique, humanitaire, social et démocratique mondial, mais au nom de belles idées on peut accepter beaucoup de dommages collatéraux, semble-t-on nous dire. La réalité, c’est que la gauche de Benoît Hamon n’est pas utopique, elle est cauchemardesque.

“La réalité, c’est que la gauche de Benoît Hamon n’est pas utopique, elle est cauchemardesque.”

D’abord, parce qu’il fait fi d’absolument toutes les réalités économiques (y compris le fameux travail) : revenu universel, dépense publique et dette croissantes, fiscalité accrue… A entendre Benoît Hamon, on comprend que Donald Trump n’est pas le seul à être adepte des « alternative facts » !

Ensuite, et c’est beaucoup plus grave, parce que l’ensemble de son programme menace les libertés individuelles. Un Etat qui dépense c’est un Etat plus présent, qui recense, vérifie, et qui surveille. C’est inexorable : pour s’assurer que tout euro d’argent public est correctement dépensé, il doit être suivi à la trace (c’est même un principe démocratique !). Dès lors, l’augmentation de la dépense publique entraîne inéluctablement celle du contrôle public.

Cette foi étatiste est le reflet d’une défiance profonde pour le risque et l’incertitude, qui sont consubstantiels à l’économie de marché et à la démocratie : l’une et l’autre reposent sur la liberté individuelle et la propriété, « inviolable et sacrée » ; l’une et l’autre supposent une part d’inconnu, d’aléa. La liberté, c’est de l’imprévisibilité. Benoît Hamon rêve, lui, d’une société où les fluctuations sont inexistantes, où toutes les situations sont prévues, où les hasards sont anesthésiés. C’est précisément pour cela qu’il fait de l’égalité réelle son but : il veut la voir dans les faits, non seulement dans les droits. Malheureusement, le culte de la certitude et de la prévisibilité, allié à une relation quasi-mystique à l’intervention publique, conduit inévitablement à la réduction des libertés.

L’islamo-gauchisme

Si la gauche fut jamais le parti du travail, elle ne l’est plus. Je crains qu’elle ne soit pas beaucoup plus claire sur la question de la laïcité maintenant que Benoît Hamon est le candidat du parti socialiste.

On a beaucoup parlé de la « corbynisation » du PS, pour désigner la surenchère gauchiste inspirée du leader du Labour britannique Jeremy Corbyn. On oublie souvent un autre trait de ce mouvement, qui lui consubstantiel : sa façon d’appréhender l’islamisme et d’alimenter l’antisémitisme. Ce fléau désastreux et, rappelons-le, meurtrier, souvent maquillé d’antisionisme, me semble être aujourd’hui un trait majeur et dangereux de la gauche extrême, en France et ailleurs, du Royaume-Uni (de Corbyn à Ken Livingstone, l’ancien maire de Londres) aux Etats-Unis. Jacques Julliard a appelé cela « l’islamo-gauchisme ».

Cette idéologie est dangereuse pour notre démocratie : elle remet en cause ses fondements et l’esprit même de la laïcité derrière lequel elle prétend s’abriter parfois.

Le plus terrible, c’est qu’elle heurte en premier lieu nos compatriotes musulmans. Elle les essentialise : parce qu’ils sont musulmans (ou supposés l’être), on les enjoint d’être solidaires de causes diverses, du Proche-Orient au port de la burqa. Prétendant les tenir en considération, elle les méprise : elle les présente, au fond, comme des citoyens imparfaitement adultes à qui il faut expliquer quoi faire et qu’on vient chercher par la main pour aller voter. Pour une grande part, ils n’en peuvent plus et demandent à ce que le débat public les traite comme des citoyens, ni plus ni moins, à qui l’on parle d’emploi, de sécurité et d’éducation notamment. Le silence de la gauche les condamne à l’asphyxie démocratique.

L’islamo-gauchisme repose chez nous sur un discours de victimisation des Français d’origine maghrébine, de confession musulmane : de discours en militantisme, ses porte-paroles et complices ne cessent de leur répéter qu’ils sont la cible d’une politique discriminatoire d’Etat (comme l’a expliqué Vincent Peillon) ; qu’ils font l’objet d’une nouvelle forme de rapport colonial qui se prolongerait (qu’ils sont des « indigènes ») ; qu’ils sont les victimes d’un pouvoir nébuleux qui ne fait pas que les ignorer, mais qui organise sciemment leur relégation par haine raciste. Je ne nie pas les discriminations, le racisme ; je conteste que cela fasse partie d’un complot ourdi contre l’islam. Je proteste encore plus contre l’idée qu’il faudrait en conséquence mener une guerre culturelle contre un prétendu occupant imaginaire ! Relisez le dernier courrier de campagne de Benoît Hamon, dans lequel il écrit que « la culture est le dernier discriminant, l’attribut des dominants »…

Le meilleur aliment de cette dynamique malsaine, c’est le conflit israélo-palestinien. Combien d’élus de gauche, dans les banlieues, ne cessent d’organiser la mobilisation pour cette cause qui semble être absolument prioritaire parmi toutes les souffrances de la terre ? Certains sont certainement sincères, d’autres sont dans l’électoralisme nauséabond. En 2014, le Canard Enchaîné rapportait que Benoît Hamon y voyait le « meilleur moyen pour récupérer notre électorat des banlieues »…

L’islamo-gauchisme organise aussi une manipulation de la religion : il exige des Français de confession musulmane qu’ils se mobilisent sur les sujets religieux ou qu’ils expriment une solidarité fondée sur l’appartenance culturelle supposée. Aux dernières élections locales, l’un des arguments mobilisés contre les élus de droite était clair : « ne votez pas pour eux, ils feront fermer les mosquées ».

Le tout nourrit une théorie du complot. Il faut écouter les rumeurs. Dans de nombreux endroits de notre pays, ces mobilisations ont un écho particulier et déformant : on y répète que si on ne veut pas reconnaître la souffrance des Palestiniens, c’est parce qu’ils sont musulmans et que leurs "oppresseurs" sont israéliens et bénéficient du soutien des Juifs qui contrôlent les médias ; que si on discrimine aisément contre les musulmans, c’est que la France les méprise ; que si on s’oppose au port du burkini, c’est parce qu’un combat organisé et militant est organisé contre l’islam. Sur les réseaux sociaux, les vidéos circulent, les messages sont relayés. Le tout se mélange dans un cocktail explosif : l’ennemi, c’est le riche, le Juif, et souvent les partis républicains qui ne font aucune concession avec la laïcité.

Le résultat est dangereux pour notre démocratie républicaine, car au final les lignes s’estompent, les frontières deviennent poreuses. Sous les coups de butoir, la laïcité doute. Et un candidat du Parti socialiste à la présidentielle s’en retrouve à justifier que les femmes soient exclues de certains cafés. Ici, on refuse de condamner les excès, pour ne pas « stigmatiser ». Là, on encourage les discours revendicatifs, en participant aux évènements du CCIF – point sur lequel, vous l’avez probablement remarqué, Benoît Hamon n’a pas répondu.

Ce cocktail libère la parole antisémite. Au procès de Georges Bensoussan, le responsable éditorial du Mémorial de la Shoah à Paris, le CCIF a fait intervenir une « sociologue » qui a expliqué que l’insulte « espèce de Juif » n’est ni problématique, ni antisémite, car passée dans le langage courant. Ce contexte fait la lie des insultes et des attaques. Ici, ce sont des autocollants ignobles qu’on distribue sur Manuel Valls ; là c’est la rumeur qui n’oublie pas de rappeler l’histoire familiale de son épouse ; ici encore c’est un candidat de Droite qui est pris pour cible « ne votez pas pour lui, il est Juif ». Ce désastre détruit la République.

Oui, donc, la gauche de Benoît Hamon est porteuse de dangers car dans ses brouillards, elle est porteuse d’un risque politique majeur. Ses attitudes sont au mieux irresponsables, au pire complices voire coupable.

Fillon et Pénélope

Finissons par la droite. L’affaire « Pénélope » (Fillon). Je sens que vous allez m’en parler longuement dans votre réponse ; c’est normal. Je ne veux donc pas en dire trop, mais avant que vous vous lanciez, laissez-moi faire un rappel et un point de vue.

Le rappel : François Fillon n’est, à ce jour, coupable de rien. La justice doit enquêter.

Le point de vue, plus large : cet état général de déliquescence politique est le fruit naturel de la décomposition de la social-démocratie. En voulant tout réguler, l’étatisme a étouffé la vie démocratique et poussé les électeurs vers l’extrême droite populiste. En prétendant contrôler et subventionner le financement de la vie politique de manière drastique, il l’a asphyxiée et rendue opaque. En plaçant l’Etat au cœur de tout, il a créé une nouvelle aristocratie politico-administrative. Nous traversons un moment de crise politique très grave et pour ma part je suis très inquiet sur l’issue de l’élection présidentielle de 2017.

Un peu d’optimisme !

Dans le même temps, je vois plein de raisons d’être optimiste (si ce n’est ce régime politique sclérosant) : je l’explique dans mon livre, qui paraît en février (La France des opportunités !). Vous me direz ce que vous en pensez !

J’ai déjà été trop long. J’aurais voulu parler du programme de Benoît Hamon, de l’Etat actionnaire (à la suite du rapport de la Cour des comptes et de celui de l’Institut Montaigne), d’Emmanuel Macron, du manque de vision politique à droite. Le temps me manque. J’attends votre réponse !

 

(1) Y aura des jardins, de l'amour et du pain / Des chansons, du vin, on manquera de rien
Y aura du soleil sur nos fronts / Et du bonheur plein nos maisons / C'est une nouvelle ère, révolutionnaire / On aura du temps pour rire et s'aimer / Plus aucun enfant n'ira travailler / Y aura des écoles pour tout le monde / Que des premières classes, plus de secondes / C'est la fin de l'histoire, le rouge après le noir / On aura nos dimanches / On ira voir la mer / Et nos frères de silence / Et la paix sur la terre

« Les Français votent FN parce que… »

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