Entretien - « Premier Campus » : Sciences Po élargit son dispositif d’égalité des chances

Entretien - « Premier Campus » : Sciences Po élargit son dispositif d’égalité des chances

La procédure d’admission par Convention d’Éducation Prioritaire (CEP), qui permet à des lycéens issus de certains quartiers prioritaires d’intégrer Sciences Po, a fêté en 2016 ses 15 ans. L’occasion pour l’institution de lancer « Premier Campus », un nouveau projet de stages d’étude à destination de lycéens boursiers, se déroulant de la seconde à la terminale. Bénédicte Durand, doyenne du collège universitaire de Sciences Po, nous raconte la genèse de ce dispositif et les détails de sa mise en œuvre.

Propos recueillis par Maïna Marjany, Paul François et Laurence Bekk-Day

Bénédicte Durand, doyenne du collège universitaire de Sciences Po.

Bénédicte Durand, doyenne du collège universitaire de Sciences Po.

Nous avons récemment fêté les 15 ans de la procédure CEP. Qu’a apporté ce dispositif à Sciences Po en termes d’ouverture sociale ? 

Sur 15 ans, une dizaine de milliers d’étudiants ont préparé Sciences Po par la voie CEP. Un peu plus de 10 % de cette cohorte-là a été recrutée, soit à ce stade près de 1 600 étudiants. La naissance du dispositif a été compliquée, mais il s’est installé – il a créé des parcours d’ascension sociale, de l’ambition et de la motivation chez les lycées partenaires et, pour notre établissement, une porte d’ouverture sociale.

Dans notre projet d’établissement, il y a cette idée que former les élites de demain, dans tous les secteurs, c’est aussi s’attacher aux questions du bien commun et d’éthique, qui doivent animer nos futurs responsables. Ce sont autant de valeurs qui se travaillent aussi par l’expérience étudiante de la diversité et de la différence. La procédure internationale est une autre forme de mixité, en amenant à se côtoyer étudiants français et étrangers.

La procédure CEP a permis de faire entrer plus de boursiers à Sciences Po. Quel était le taux de boursiers dans l’école auparavant ? 

Nos taux de boursiers étaient de moins de 10 % chaque année. C’était un cadre très endogame, et c’est d’ailleurs cela qui a été le déclic pour l’ancien directeur, Richard Descoings. Désormais, 30 % de la totalité des étudiants sont boursiers ; ce chiffre monte à 66 % pour les étudiants issus de la voie CEP, dont il faut souligner qu’ils sortent tous diplômés. Sciences Po est une école pionnière dans ce domaine ; en France, les inégalités socio-scolaires, en amont du baccalauréat, ne s’améliorent pas. L’ouverture sociale repose encore largement sur chaque établissement individuellement, Sciences Po en premier lieu.

Il faut bien comprendre que l’investissement de Sciences Po ne s’arrête pas à la porte des admissions. C’est un parcours de la classe de première jusqu’à l’obtention du diplôme de master de Sciences Po. Il y a aussi un accompagnement fort du côté de l’Éducation nationale pour faire vivre des ateliers Sciences Po dans les lycées. Ensuite, notre institution prend cela en charge par un système d’accompagnement social et académique extrêmement ambitieux pour ces élèves, qui sont très motivés – c’est là leur première caractéristique. Ils ont construit leur projet scolaire et professionnel autour de cette filière d’excellence, faisant de leur scolarité à Sciences Po un enjeu essentiel pour leur parcours. Sciences Po, par la suite, parvient à les insérer sur le marché du travail de manière équivalente à celle de leurs autres camarades. Nous sommes ainsi très heureux de continuer à être à cette avant-garde grâce à la voie CEP.

Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de personnes issues de CSP+ qu’avant par cette voie. Comment l’expliquez-vous ?

Nous avons à Sciences Po un laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques, qui a diagnostiqué la montée des CSP+ dans la voie CEP depuis 2010. C’était un effet attendu. Dans la politique de recrutement de la voie CEP, le critère « boursier » prime sur le critère « catégorie socioprofessionnelle des parents ». Ainsi, un artisan-commerçant est un CSP+. Or, un chauffeur de taxi entre dans cette catégorie socioprofessionnelle, sans pour autant que ses revenus et l’environnement socio-familial de l’étudiant qui découlent de cette situation soient favorables à la réussite académique pure. Il faut donc prendre ce critère avec précaution.

Il y avait deux objectifs lors de la création de la voie CEP : ouvrir Sciences Po à la diversité et, ce faisant, construire de la valeur dans des lycées qui en perdent, qui se paupérisent, et que les familles ont tendance à fuir au profit d’établissement privés. À travers la procédure CEP, c’est un défi intéressant d’œuvrer à la mixité sociale autant à Sciences Po que dans ces lycées partenaires. Ainsi, la montée des classes moyennes, voire des classes supérieures, dans la voie CEP est la preuve que cette politique est un succès. L’équilibre est très délicat ; nous ne voulons pas avoir une politique de quotas, cela n’a jamais été l’esprit de la procédure CEP. Nous nous situons plutôt dans une logique de construction de parcours. Nous réfléchissons donc à la manière dont nous pouvons améliorer les choses.

Le projet « Premiers Campus » est-il lié à cette réflexion ?

L’une des pistes est de nous dire que nous pouvons participer à l’explicitation pour les lycéens des outils de la réussite dans l’enseignement supérieur. C’est là le but du projet « Premiers Campus ». Nous proposons aux lycéens de vivre une expérience préparatoire à leur vie d’étudiant. Nous les rassemblons sur l’un des campus de Sciences Po pendant des « sessions » (de la seconde à la terminale), des sortes de master class pour travailler à la question de la maîtrise des langages littéraire, français, étrangers, économique, numérique…

Pour réaliser cela, nous avons rassemblé une équipe de professeurs des lycées partenaires d’un côté, une équipe de Sciences Po de l’autre. Ils ont pour consigne de ne pas travailler sur des disciplines, mais sur des objets du monde et des concepts, afin de les étudier entre économistes, mathématiciens, professeurs de langue, de théâtre… Sur une période de trois ans, ils se découvrent eux-mêmes en même temps qu’ils découvrent le monde, tout en développant des compétences utiles à leur vie de lycéen mais aussi à la vie future d’étudiant, quel que soit leur cursus.

L’établissement est dans une optique désintéressée, puisque le projet « Premiers Campus » n’a pas nécessairement vocation à recruter de futurs Sciences Po. C’est une logique de mobilisation des compétences Sciences Po pour la réussite dans l’enseignement supérieur. Et pour ce projet précis, nous restreignons les conditions d’accès aux titulaires de la bourse d’enseignement scolaire, plus sélective que la bourse d’enseignement supérieur. Avec la complicité des équipes pédagogiques des lycées et des chefs d’établissement, nous faisons l’audacieux pari d’accompagner pendant trois ans des jeunes de lycées différents.

Comment est financé « Premiers Campus » ?

C’est un modèle qui fonctionne en trois tiers : un tiers d’investissements financiers et d’effectifs de la part de Sciences Po, un tiers de partenariats et un tiers de mécènes. Les partenaires sont plutôt publics (l’Éducation nationale, en premier lieu) ; l’Ile-de-France nous accompagne également sur ce projet qui concerne 50 lycées franciliens. Parmi les mécènes, certains nous accompagnent depuis 15 ans et sont très engagés sur les problématiques de diversité, notamment des entreprises qui cherchent à accroître la mixité sociale en leur sein. Nous verrons si l’accompagnement est à la hauteur de l’engouement que « Premiers Campus » suscite, mais l’accueil qui est fait à ce programme est déjà très prometteur.

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