Cinéma et Apocalypse : quand la fin fait fureur

Cinéma et Apocalypse : quand la fin fait fureur

Spectacle grandiose garanti, l’apocalypse s’est imposée comme un genre à part entière de l’histoire du cinéma. De La Cité foudroyée en 1924 à Hunger Games en 2012, les films et séries apocalyptiques témoignent des peurs et des idéologies qui marquent leur temps.

Par Anne Héligon

Le Jour d’après, de Roland Emmerich (2004) préfigure-t-il les catastrophes climatiques de demain ?

Le Jour d’après, de Roland Emmerich (2004) préfigure-t-il les catastrophes climatiques de demain ?

Une armée de sauterelles qui envahissent la planète, un déluge qui inonde des territoires entiers ou une pluie de météorites : l’arrivée du cinéma offre une représentation nouvelle aux récits de la fin du monde, qui se soucie d’abord de réalisme. Mettre en images animées cette peur ancestrale est à la fois ludique et cathartique : dans son muet de 1924, La Cité foudroyée, Luitz-Morat mêle de véritables vues d’incendies à des gros plans de maquettes pour figurer la destruction de Paris. Dans l’entre-deux-guerres, ces films, qui ne constituent pas encore un genre, laissent transparaître l’angoisse liée à la crise économique et la crainte d’un nouveau conflit mondial. Avec La Fin du monde (1931), Abel Gance voit l’occasion de fonder une nouvelle république. Moins optimiste, le Déluge de Felix Feist (1933) réduit le monde à néant et les hommes à de lamentables égoïstes. Mais c’est après 1945 que naissent véritablement le genre apocalyptique et son corrélat post-apocalyptique. Avec Hiroshima et Nagasaki, le cauchemar est devenu réalité. La science, jadis synonyme de progrès social, peut désormais engendrer la fin du monde.

L’homme est un monstre pour l’homme

En écho au profond traumatisme subi sur ses terres, le cinéma japonais des années 1950 représente la monstruosité subie… sous la forme d’un monstre. Godzilla (Ishiro Honda, 1954), créature préhistorique réveillée par les retombées d’une bombe nucléaire, connaît un immense succès au Japon. Le film est alors partiellement censuré aux États-Unis qui ont bien compris le message accusateur. Message que Godzilla reviendra délivrer dans de nombreux films japonais de cette décennie avant de se fondre dans la culture mondiale. Ainsi, en 1998, lorsque l’Américain Roland Emmerich s’en empare, dans un remake coproduit avec le Japon, ce sont les essais nucléaires français qui réveillent le monstre !

Godzilla, du Japonais Ishiro Honda (1954), a révolutionné le film de monstres et donné lieu à de nombreux remakes.

Godzilla, du Japonais Ishiro Honda (1954), a révolutionné le film de monstres et donné lieu à de nombreux remakes.

En marge de ces grands succès populaires, le cinéma japonais n’a jamais cessé de dire l’irréparable. Le monde rural de Pluie noire (Shohei Imamura, 1989) est touché dans sa chair pour plusieurs générations ; le traumatisme psychologique est encore présent dans les Rêves (1991) cauchemardesques d’Akira Kurosawa. La remarquable adaptation du manga Akira (Katsuhiro Otomo, 1988) montre l’effondrement d’une civilisation meurtrie, mais porte aussi un fort message de survie, quasi philosophique.

Côté américain, la rédemption n’a pas eu lieu, même si Five (Arch Oboler, 1951) ou On the Beach (Stanley Kramer, 1959) font exploser la bombe sur le sol américain ou australien. Plus notable est la conclusion de cette époque post-nucléaire, avancée par Stanley Kubrick dans Docteur Folamour (1964) : il faut se résoudre à vivre avec cette menace, dans l’absurdité de cette guerre froide.

Un soleil pas si vert

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Avec le premier choc pétrolier et les famines en Afrique émerge la peur de l’épuisement des ressources naturelles. Dans No Blade For Grass (Cornel Wilde, 1970), dans Silent Running (Douglas Trumbull, 1975) comme dans le plus célèbre Soleil vert (Richard Fleischer, 1974), la végétation a disparu et l’humanité meurt de faim. Mais la prise de conscience environnementale n’est pas à l’ordre du jour : situées dans un futur très lointain, les causes de la famine restent à distance. Fataliste, l’époque montre le chaos, la répression et la violence d’une société post-apocalyptique incapable de se réinventer pour subvenir à ses besoins vitaux, condamnée à l’autodestruction. Empruntant ses codes au western, le futur sans pétrole de Mad Max (George Miller, 1979) est tout aussi violent et sans alternative. Mais dans tous les cas, l’homme n’est pas tenu pour responsable du désastre. Et malheureusement, les décennies suivantes ne s’engageront pas davantage sur ce terrain : le changement climatique conduisant à la montée des eaux de Waterworld (Kevin Reynolds, 1995) ou aux cataclysmes du Jour d’après (Roland Emmerich, 2004) n’est pas clairement imputé à l’activité humaine.

Mel Gibson, antihéros de Mad Max, la dystopie de George Miller devenue blockbuster en 1979.

Mel Gibson, antihéros de Mad Max, la dystopie de George Miller devenue blockbuster en 1979.

Du virus au zombie, la peur de l’autre

Avec le sida ou la première épidémie d’Ebola, les années 1990 vivent dans la hantise du virus. Le cinéma met alors en scène d’effrayantes épidémies, capables d’éradiquer l’espèce humaine en un rien de temps. Le monde de 2035, imaginé par Terry Gilliam dans L’Armée des 12 singes (1995) dénonce les dérives d’une science toute-puissante, capable de créer le virus tant redouté mais inefficace à endiguer le fléau. D’Alerte ! (Wolfgang Petersen, 1995) à Contagion (Steven Soderbergh, 2011), le cinéma américain répand son lot de maladies aussi contagieuses que létales. C’est dans cette veine que réapparaît, au début des années 2000, ce bon vieux zombie, « l’infecté » par excellence.

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Le regain du « film de zombies » n’est pas un hasard : le mort-vivant cristallise toutes les peurs contemporaines, non seulement les épidémies mais le terrorisme, les vagues migratoires, l’effondrement d’une société qui ne peut plus compter sur la science ni sur la politique comme remparts. Ces nouvelles hordes de zombies qui déferlent au cinéma, de 28 jours plus tard (Danny Boyle, 2002) à World War Z (Marc Forster, 2013) comme à la télévision (The Walking Dead, Frank Darabont puis Angela Kang, depuis 2012) portent un message plus politique qu’à première vue. Pour les États-Unis post-11 septembre, le zombie incarne le terroriste sans âme, qui cherche à détruire le monde ou à le rallier à sa cause mortifère. Par conséquent, en face, les héros résistants, nécessairement gentils, ont toute légitimité à prendre les armes. Dans un monde où l’effondrement de la société est devenu une option sérieuse, la fiction américaine des années 2000 envisage une réponse pour le moins conservatrice.

De l’utopie à la dystopie

Fuyant les fameux « infectés », le héros de Je suis une légende (Francis Lawrence, 2007) finit par partir en quête d’une colonie de survivants, un supposé Éden. Le mythe du paradis perdu est ainsi régulièrement réactivé dans les superproductions hollywoodiennes. D’Independence Day (1996) à 2012 (2009), Roland Emmerich creuse ce sillon, mettant en scène à grand renfort d’effets spéciaux des catastrophes aux allures de punition divine, inéluctables et imprévisibles, presque souhaitables pour le bien de l’humanité. Le système n’est jamais remis en question, il ne s’agit pas de faire table rase du passé, de bâtir du neuf, mais bien au contraire de revenir à un modèle puritain, porté par un héros sauveur, messie de sa communauté réduite à ses meilleurs éléments. Une utopie qui ressemble fort à celle portée par les pionniers de l’histoire américaine.

The Handmaid’s Tale

The Handmaid’s Tale

À l’opposé, de récentes fictions dénoncent les dangers d’un retour en arrière : l’utopie vire au cauchemar et devient dystopie. La série The Handmaid’s Tale (Bruce Miller, depuis 2017) en est un bon exemple : dans un futur proche, une société totalitaire vit coupée du reste du monde, au nom de sa survie elle broie l’individu, en particulier les femmes, reléguées au rang de subalternes ou de reproductrices forcées à perpétuer l’espèce.

Au cinéma, les récents succès de Hunger Games (Gary Ross, 2012) et Divergente (Neil Burger, 2014) sont également révélateurs du malaise contemporain. Ces deux trilogies, d’abord best-sellers de la littérature jeunesse, décrivent un futur où il ne fait pas bon vivre, une société répressive, inégalitaire et oligarchique. Métaphores d’un monde en quête d’identité, les deux héroïnes luttent avec ingéniosité et ténacité pour leur survie. Même si ces films ne marqueront pas nécessairement l’histoire du cinéma, ils apportent au moins un message d’espoir à la jeune génération : un futur où la résistance et le changement sont possibles.  



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