Enquête : Les Sciences Po et la démocratie

Enquête : Les Sciences Po et la démocratie

La défiance des Français vis-à-vis de leurs dirigeants et du système politique en place n’a cessé de croître ces dernières années. Les résultats du Baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), publiés en janvier 2019, alarment sur l’intensité de cette défiance. Les Sciences Po partagent-ils ce sentiment ? Émile a souhaité sonder l’opinion des élèves et anciens élèves de la rue Saint-Guillaume sur nos institutions. Découvrez les résultats de cette enquête.

Par Justine Le Rousseau, Lucile Pascanet et Maïna Marjany

 
Cette enquête a été illustrée par une série de dessins de presse de Xavier Gorce.

Cette enquête a été illustrée par une série de dessins de presse de Xavier Gorce.

 

Les Sciences Po, fortement démocrates

Premier constat, qui semble plutôt naturel, les Sciences Po ont une forte appétence pour la politique. 58 % des anciens et 62 % des étudiants affirment s’intéresser «  beaucoup » à la politique, quand seulement 15 % des Français en disent autant. «  Cet intérêt pour la politique reste la principale différence entre les Sciences Po et les Français  », estime Emmanuel Rivière, directeur général de l’institut de sondage Kantar Public. « Ainsi que la faible prégnance des sentiments négatifs vis-à-vis du système politique. » Effectivement, 32 % des Français ressentent du dégoût lorsqu’ils pensent à la politique, contre seulement 7 % des étudiants de Sciences Po et 5 % des Alumni. De la même façon, la méfiance est un sentiment beaucoup plus présent parmi la moyenne des Français (37 %) que parmi les étudiants (15 %) et les Alumni (14 %). 

Les Sciences Po ont également une aversion plus forte pour l’autocratie que la moyenne des Français. Ils sont davantage repoussés par l’idée que le pays soit dirigé par un homme fort : 90 % d’entre eux considèrent que cette façon de gouverner le pays est mauvaise, contre seulement 54 % des Français. « Les résultats de votre enquête montrent que les Sciences Po légitiment les institutions de la Ve République et qu’ils sont très peu dans le populisme, beaucoup plus marqué chez la moyenne des Français », explique le sociologue Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, rattaché au CEVIPOF. Cette confiance dans les institutions se reflète également dans la confiance accordée aux dirigeants du pays. Ainsi, à la question : « En général, faites-vous confiance au gouvernement pour prendre de bonnes décisions ? », 63 % des Français affirment ne faire confiance au gouvernement que « parfois » ou « jamais », contre seulement 40 % des étudiants et 36 % des Alumni.

La formation dispensée par Sciences Po, vecteur d’attachement à la démocratie

Comment expliquer ces différences ? La formation délivrée dans les amphithéâtres de la rue Saint-Guillaume n’y serait pas étrangère. Si les Sciences Po sont plus intéressés par la politique et plus confiants dans nos institutions, c’est en grande partie parce qu’ils disposent d’une connaissance solide du système politique et des mécanismes décisionnels. « Sciences Po forme des décideurs qui comprennent les enjeux et les implications des décisions », indique Emmanuel Rivière, ajoutant que « ce n’est pas étonnant que les personnes n’ayant pas reçu cette formation aient l’impression que les experts, ceux qui sont aux manettes, prennent des décisions qui ne sont pas fondées et qui leur font du mal. » Autrement dit, la compréhension des institutions crée la confiance. Pour Luc Rouban, la formation de Sciences Po incite à « voir les améliorations qui pourraient être faites, comme le référendum ou la proportionnelle », plutôt qu’à dénigrer les institutions, ce qui explique par ailleurs que les Sciences Po soient peu portés sur les critiques du système qui sont au cœur des populismes.

Autre caractéristique des Sciences Po : leur familiarité avec le profil des dirigeants. Les élèves et les anciens de la rue Saint-Guillaume leur ressemblent davantage, notamment dans la façon de poser les problèmes. « Ils parlent la même langue, ce qui rend plus acceptable l’idée que leur vote sert à quelque chose. Pour d’autres, le vote sert juste à désigner des gens qui ne vivent pas sur la même planète », explique Emmanuel Rivière. En effet, seuls 45 % des Français ont estimé que le vote était la première ou la deuxième manière la plus efficace d’influencer la prise de décision, contre 70 % des étudiants et 80 % des Alumni (voir graphique).

Toutefois, l’éducation sur les bancs de Sciences Po n’explique pas tout. Il faut également prendre en compte l’impact du profil sociologique des étudiants, mais surtout des Alumni, sur leurs réponses concernant le système politique français. Emmanuel Rivière souligne que « le rejet des décisions politiques s’observe de toute façon moins chez les Français faisant des études supérieures », même hors Sciences Po.

 
Cette enquête a été illustrée par une série de dessins de presse de Xavier Gorce.

Cette enquête a été illustrée par une série de dessins de presse de Xavier Gorce.

 

Les étudiants, plus critiques de notre système politique que leurs aînés

Les Sciences Po ont beau se démarquer de la moyenne des Français étudiée par le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, ils ne sont pourtant pas homogènes. Les sondages menés auprès des élèves et des Alumni montrent des tendances divergentes entre ces deux populations. Premier constat, les étudiants actuels sont moins satisfaits de notre système démocratique que leurs prédécesseurs : alors que seule la moitié des étudiants considère que la démocratie agit dans l’intérêt du plus grand nombre, 63 % des Alumni le pensent. « Les étudiants ont un potentiel contestataire beaucoup plus élevé que les anciens », constate Luc Rouban.

De la même manière, les étudiants sont moins convaincus que les anciens que la démocratie soit la meilleure des formes de gouvernement. Face à la proposition « la démocratie peut poser des problèmes, mais c’est quand même la meilleure forme de gouvernement », 75 % des Alumni sont tout à fait d’accord, contre 59 % des étudiants.

« Les étudiants restent dans le respect des institutions », tempère toutefois Luc Rouban. Il rejoint les observations d’Emmanuel Rivière, qui remarque que « les questions où étudiants et Alumni se retrouvent sont celles qui touchent aux valeurs et à l’attachement aux valeurs. Au contraire, ils sont moins d’accord sur les questions touchant au fonctionnement des mécanismes politiques ». Effectivement, si étudiants et Alumni expriment le même attachement à la démocratie, les étudiants sont plus prompts à souhaiter la voir se réformer. L’écart est marqué sur le fonctionnement des institutions : à titre d’exemple, seuls 29 % des Alumni considèrent que le système démocratique doit être réformé en profondeur, alors que 41 % des étudiants le pensent.

Les étudiants, très portés sur les formes de démocratie participative

Les étudiants désirent donc davantage réformer les institutions politiques que leurs aînés. Luc Rouban note que « les étudiants sont beaucoup plus demandeurs d’un nombre de mesures qui avaient été soulevées dans le “grand débat national” », notamment une participation accrue des citoyens aux processus politiques. Par exemple, les étudiants sont moins averses que les Alumni à l’idée que ce soient les citoyens et non un gouvernement qui décident de ce qui leur semble le meilleur pour le pays. En effet, 76 % des Alumni y sont défavorables, contre seulement 58 % des étudiants.

Autre élément de ce goût prononcé des étudiants pour les formes de démocratie directe : leur appétence pour le référendum ; 81 % des étudiants pensent que les citoyens devraient pouvoir imposer un référendum à partir d’une pétition ayant rassemblé un certain nombre de signatures, contre 67 % des Alumni. Selon Luc Rouban, cela marque «  la volonté des étudiants d’étendre le champ de la démocratie tout en respectant les institutions ».  

Parmi les propositions pour améliorer la démocratie française, il existe une autre différence entre les deux populations : le tirage au sort d’une partie des élus est plus populaire chez les étudiants (32 %) que chez les anciens (20 %). Selon Emmanuel Rivière, cela dénote une «  envie d’inventivité de la part des étudiants, qui accompagne la critique des institutions démocratiques ».

 
Cette enquête a été illustrée par une série de dessins de presse de Xavier Gorce.

Cette enquête a été illustrée par une série de dessins de presse de Xavier Gorce.

 

Une question d’expérience et de perspectives…

Les différences de réponses entre étudiants et Alumni s’expliquent aussi par la position qu’ils occupent dans les mécanismes décisionnels. Si les étudiants ont une bonne connaissance des institutions, ils ne disposent pas, contrairement à leurs prédécesseurs, d’un regard intérieur sur le système politique. Autrement dit, alors que les Alumni se situent du côté de ceux qui prennent les décisions, les élèves actuels n’en sont encore qu’au stade où ils ressentent les effets de ces décisions. « Étant partie prenante des décisions, les Alumni sont davantage convaincus que si les mécanismes politiques sont imparfaits, ce n’est pas parce que les décideurs ne s’intéressent pas au plus grand nombre, mais parce qu’il est difficile de satisfaire le plus grand nombre, explique Emmanuel Rivière. Comme ils ont un regard de l’intérieur, les anciens voient les choses qui marchent, ce que les étudiants voient moins ». Cette perspective interne aux mécanismes décisionnels, propre aux Alumni, est également responsable de leur faible engouement pour la participation citoyenne. En effet, selon Luc Rouban, « les Alumni voient les limites de la participation du fait qu’ils sont eux-mêmes dans les mécanismes de décision ».

… mais aussi de profils socio-professionnels

Une autre explication possible aux divergences entre Alumni et étudiants tient dans leurs différences de profils socio-professionnels. Effectivement, les étudiants de la rue Saint-Guillaume d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux d’hier et ce en raison de l’élargissement de l’horizon et donc des procédures de recrutement de l’école. Par exemple, la Convention éducation prioritaire (CEP), créée en 2001, vise à faciliter l’entrée d’élèves issus de lycées relevant de l’éducation prioritaire. Quant au nombre de boursiers du Crous à Sciences Po, il est passé de 12 % en 2008 à 26 % en 2018. Il y a là une «  diversification sociale du recrutement  », selon Luc Rouban, qui change le profil socio-professionnel moyen de l’étudiant à Sciences Po. Et donc, potentiellement, leur regard sur nos institutions et leurs (dys)fonctionnements.  


Méthodologie

Ce sondage a été réalisé, par mail, du 17 au 25 avril 2019. Un questionnaire comprenant 15 questions a été envoyé à l’ensemble des étudiants et anciens élèves de Sciences Po présents dans notre annuaire. 998 Alumni et 551 étudiants de Sciences Po. La majorité des questions proviennent du baromètre de la confiance politique, enquête menée chaque année par le CEVIPOF auprès d’un échantillon représentatif de la population française. En reprenant les mêmes questions, nous avons pu comparer les réponses des Sciences Po avec les réponses obtenues lors de la vague n°10 du baromètre, parue en janvier 2019.

L’enquête menée par le magazine Émile auprès des élèves et anciens élèves de Sciences Po n’a pas été menée par un institut de sondage, elle ne garantit donc pas la représentativité de l’ensemble de la communauté des Sciences Po, mais permet simplement d’en donner un aperçu.



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