L’économie sociale et solidaire propose un "new deal"
L’économie sociale et solidaire (ESS) n’a pas été épargnée par la crise du Covid-19. Elle se trouve à la fois en première ligne contre l’épidémie tout en étant directement confrontée aux difficultés économiques. Que les structures soient associatives, mutualistes ou coopératives, ou qu’il s’agisse de fondations, les 200.000 entreprises qui composent le secteur sont pleinement touchées par l’épisode sanitaire que nous traversons. Pourtant, passé le temps de l’absorption du choc sanitaire, le secteur s’est vite redressé pour continuer à valoriser le rôle de l’ESS dans sa contribution à la lutte contre l’épidémie et sa place future dans les nouvelles solutions socio-économiques. Jérôme Saddier, Président de la Chambre de l’ESS, Vice-Président du Crédit Coopératif, analyse pour Émile le rôle des acteurs de l’ESS et lance un appel pour une autre économie plus résiliente et solidaire.
Les entreprises de l’ESS se sont retrouvées en première ligne dans cette crise. Cette pandémie de coronavirus révèle-t-elle l’importance de ce secteur, dont l’un des principaux objectifs est de pallier les besoins non couverts par l’État ?
Nombre de ses acteurs et de ses collaborateurs sont en première ligne : de par la diversité des entreprises et organisations qui s’en revendiquent, ils soignent (dans leurs établissements de soins), accompagnent (grâce aux réseaux de soins et d’accompagnement à domicile), nourrissent (au moyen des puissantes coopératives agricoles) et approvisionnent (par les réseaux de la grande distribution coopérative) la population, tandis que d’autres (banques coopératives, mutuelles) sont quotidiennement aux côtés des entreprises, associations, fondations et particuliers pour limiter les effets économiques et sociaux de cette crise multiforme.
La réalité qui s’impose à nos yeux dans cette crise, c’est non seulement que la « première ligne » des biens, services et travailleurs de première nécessité, ne sont pas ceux qui suscitent habituellement le plus d’attention, mais aussi que cette « première ligne » n’est pas l’apanage du seul État et de réponses de services publics. Les acteurs de l’ESS en éprouvent une intense fierté.
Comment le secteur s’est-il organisé pour poursuivre ses activités dans le domaine médico-social et de l’aide à domicile face au manque d’équipements ?
Difficilement. Face à l’impréparation de nos forces sanitaires de prise en charge et en dépit de leur professionnalisme, les acteurs du soin et de l’accompagnement du secteur privé non-lucratif n’ont pas été prioritaires dans l’affectation des moyens d’équipement d’urgence, alors même que leurs missions sont également d’intérêt général, et ils paient leur tribut à l’épidémie.
“« Les acteurs du soin et de l’accompagnement du secteur privé non-lucratif n’ont pas été prioritaires dans l’affectation des moyens d’équipement d’urgence, et ils paient leur tribut à l’épidémie. »”
Cela illustre aussi le fait que l’organisation française de notre système de soins manque de cohérence et de coordination entre tous les acteurs qui ne se résument pas aux hôpitaux publics, au-delà des moyens insuffisants et du manque de considération de ceux qui le font vivre quel que soit leur statut. La situation des EHPAD, souvent gérés par des associations ou fondations à but non-lucratif, est emblématique du sentiment d’abandon qui a pu prévaloir au début de la crise sanitaire. Les choses se rétablissent petit à petit, et il y a eu une formidable mobilisation, notamment dans le secteur des entreprises d’insertion, pour fabriquer des masques à destination des soignants.
Bien que fortement mobilisées, les entreprises de l’ESS ont également été fortement impactées par la pandémie. Il y a une semaine, des entrepreneurs de l’ESS ont publié une tribune pour un fonds de soutien d’urgence dédié d’un milliard d’euros, face à une baisse drastique de leurs revenus. Certaines structures seront-elles vouées à disparaître à la suite de cette crise ?
De très nombreuses organisations de l’ESS essentielles à la vie économique et sociale ont vu leur activité stoppée, avec des incertitudes fortes quant aux conditions de leur reprise et quant à leur situation financière. La perspective n’est pas exclue de faillites nombreuses, de suppressions d’emplois massives (notamment dans le secteur associatif), de perte d’activités qui font partie intégrante de notre contrat social, laissant augurer des bouleversements sociaux importants et sans doute difficiles à maîtriser. Il est possible qu’il faille reconstruire demain ce qui apparaît naturel aujourd’hui à beaucoup d’entre nous (associations de solidarité, activités culturelles et sportives…).
“« Il nous faut contribuer à préparer l’avenir, lequel ne saurait signifier un retour aux fondamentaux antérieurs qui ont pu causer ou amplifier les mécanismes de la crise. »”
Les dispositions gouvernementales prises pour faire face à l’urgence permettent pour partie de soutenir ces actions, mais il demeure des failles et une insuffisance de moyens. Notre problème principal demeure la difficulté récurrente à faire valoir les spécificités des entreprises et organisations de l’ESS, qui ont des modèles économiques et juridiques originaux n’entrant pas toujours dans les codes de l’administration, bien qu’elles fassent légitimement partie du paysage économique et social depuis plus d’un siècle dans ces formes. Le travail collectif engagé avec les pouvoirs publics nationaux et locaux permet de sécuriser des situations, mais il doit aussi contribuer à préparer l’avenir, lequel ne saurait signifier un retour aux fondamentaux antérieurs qui ont pu causer ou amplifier les mécanismes de la crise.
Cette crise replace sur le devant de la scène des métiers sous-estimés et interroge notre système économique. Vous venez de publier une tribune adressée à toutes les parties prenantes du secteur de l’ESS, dans laquelle vous appelez à « l’élaboration et au partage d’un nouveau projet politique qui serait celui de toute l’ESS ». Pensez-vous que cette crise puisse être le point de départ d’une nouvelle économie fondée sur l’ESS ?
Ce que cette crise dit de nous et de notre société ne peut que nous conduire à envisager la reconstruction de notre modèle économique sur d’autres fondements. Le « monde d’après » que nous envisageons sans angélisme ne saurait signifier un « retour à l’anormal ». Les acteurs de l’ESS sont bien décidés, dans la période qui s’ouvre, à promouvoir un autre ordre de priorités, fondé notamment sur les principes qui animent leur façon d’entreprendre, et destiné à faire prévaloir une économie plus résiliente, plus solidaire et plus souveraine.
“« Les acteurs de l’ESS sont bien décidés, dans la période qui s’ouvre, à promouvoir un autre ordre de priorités, destiné à faire prévaloir une économie plus résiliente, plus solidaire et plus souveraine. »”
Face aux nouvelles attentes qui s’expriment, aux nouvelles pratiques qui émergent dans les liens nouveaux de solidarité, l'ESS dispose d'un patrimoine de solutions qu’elle souhaite mettre à profit dans le contexte de sortie de crise. En cela, elle entend incarner l’économie de demain.
Parce qu’elle est, avec ses mutuelles, coopératives, associations, fondations et entrepreneurs sociaux, au cœur des solutions de repérage et de prise en charge des malades et des personnes fragiles, ou encore parce qu’elle se mobilise fortement au nom de sa responsabilité sociale dans l’émergence de solutions, l’avenir devra rendre justice au présent. L’ESS doit sortir renforcée de cette crise ; elle est d’ores et déjà pleinement actrice de la transformation de notre modèle de développement économique, qui peut prendre la forme d’un « new deal » de la transition.
Christophe Itier, Haut-Commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale, a réuni le 13 mars une cellule de crise ESS / Coronavirus, avec les têtes de réseau de l’ESS. D’autres réunions ont suivi, en présence notamment d’Elisabeth Borne. Le gouvernement semble-t-il enclin à mettre en avant la place de l’ESS dans le plan de relance économique post Covid-19 ?
Le gouvernement a une occasion inespérée de le faire puisqu’il s’agit de relancer sur d’autres bases si j’entends bien les principales têtes de l’exécutif. Il y aura un sujet de méthode (concevoir la sortie de crise en s’appuyant sur les acteurs citoyens, économiques et sociaux) et un sujet de fond (ne pas relancer l’activité économique sans s’interroger sur ses finalités, et ne pas attribuer d’aides publiques sans conditions). Le gouvernement travaille à un plan de relance et de sortie de crise pour l’été, les acteurs de l’ESS ont déjà rédigé collectivement leur contribution pour faire partie des solutions.