Voyage au pays des smart cities

Voyage au pays des smart cities

Le concept de smart city correspond-il à une réalité sur le terrain ? C’est la question soulevée par deux étudiants du double master Sciences Po / HEC, Dimitri Kremp et Benoît Gufflet. Pour y répondre, ils ont mis sur pied une Learning Expedition intitulée « Across The Blocks ». Le concept : partir à la découverte de sept « villes intelligentes » se distinguant par leurs stratégies d’aménagement innovantes, les initiatives digitales qu’elles portent et leur capacité à mobiliser les citadins grâce à la donnée. À l’occasion de la publication de leur rapport final, Émile est allé à leur rencontre afin qu’ils nous racontent leur aventure.

Propos recueillis par Emma Barrier et Pierre Miller

Dimitri Kremp et Benoît Gufflet ont sillonné Stockholm, un modèle de ville durable, en septembre 2020. (Across the Blocks)

Dimitri Kremp et Benoît Gufflet ont sillonné Stockholm, un modèle de ville durable, en septembre 2020. (Across the Blocks)

Pouvez-vous nous présenter le projet « Across The blocks » ?

Benoît Gufflet : L’idée nous est venue pendant notre double master Sciences Po / HEC. Le diplôme était intitulé « Corporate and Public Management » et nous avons réalisé que le meilleur croisement entre les acteurs publics et privés, à l’échelle urbaine, c’était le concept de smart city. Étant donné le buzz qui existe autour de ce terme, nous avons voulu confronter notre définition à la réalité du terrain, dans des villes labellisées comme innovantes. 

Dimitri Kremp : Nous avons voulu observer, d’une part, l’impact réel de la technologie sur le fonctionnement d’une ville et d’autre part, la façon dont les citadins interagissent avec elle. 

Comment définiriez-vous la smart city en quelques mots ?

D. K. : Vaste question, car chacun a sa propre définition ! Il s’agit d’un terme marketing créé par les entreprises de la technologie pour vendre leurs solutions aux villes. Il est désormais utilisé par les villes elles-mêmes lorsqu’elles veulent se démarquer de leurs voisines. De notre côté, nous nous sommes appuyés sur les travaux d’Antoine Courmont, le directeur de la chaire Ville et numérique de Sciences Po. Sa définition repose sur l’utilisation de la donnée pour optimiser et transformer la ville. La composante que nous avons ajoutée est celle de l’amélioration de la vie du citadin. 

Comment avez-vous choisi les villes que vous avez étudiées ?

B. G. : Le choix de l’itinéraire a été une source de débat sans fin. Nous voulions sélectionner des villes offrant divers contextes économiques, sociaux voire climatiques pour être confrontés à des enjeux très différents. Nous avons d’abord listé 160 villes, qui ressortaient dans les classements effectués sur les smart cities puis, à force d’écrémer, nous en avons retenu neuf. La pandémie est ensuite venue perturber nos plans. Nous avons dû adapter notre itinéraire aux différentes fermetures de frontières et à force de persévérance, nous avons malgré tout pu explorer sept villes. 

D. K. : Nous sommes partis en janvier 2020 et avons eu le temps d’étudier trois villes sans encombre avant que l’épidémie n’enfle – Rio de Janeiro, Medellín en Colombie et Toronto. C’est à l’issue de notre séjour au Canada, à la mi-mars, que nous avons été confrontés au Covid-19 pour la première fois. Nous avons réussi à prendre l’avion pour Singapour, mais nous avons dû y commencer notre séjour par une quatorzaine. Six jours après notre sortie d’isolement, c’est finalement tout Singapour qui a été confiné et nous avons dû rentrer en France. Nous sommes ensuite restés cinq mois chez nous, période durant laquelle nous avons pris le temps d’identifier les points à creuser pour la suite de notre projet. En septembre, nous sommes parvenus à remobiliser les sponsors et nous sommes repartis, cette fois en Europe (en Suède, en Finlande et en Estonie) pour étudier Stockholm, Helsinki et Tallinn. Par rapport au plan initial, nous n’avons finalement pas pu aller à Jakarta et Tel-Aviv.  

Sur place, vos observations ont-elles confirmé l’idée que vous vous faisiez des smart cities ?

B. G. : Pas vraiment. Notre constat, c’est que les villes sont avant tout dans une phase d’apprentissage. Elles testent, tâtonnent, échouent et (parfois) réussissent. Pour donner un exemple, nous avions identifié quelques projets vitrines avant de partir. Rio avait été choisie comme première étape car, depuis la fin de l’année 2010, à la suite d’une série d’orages ayant provoqué des inondations et des glissements de terrain meurtriers, elle s’est dotée d’un grand centre d’opérations destiné à collecter l’ensemble des données urbaines. À l’origine, le partenariat s’était fait avec IBM et le but était d’optimiser les services urbains tout en réduisant les situations de risque. Dix ans plus tard, sur place, nous avons réalisé que la plateforme n’utilisait que 15 % des données qu’elle collectait. Nous nous attendions à découvrir une révolution dans la gestion des services urbains, mais en creusant un peu, nous nous sommes aperçu que ce projet ne servait tout simplement pas à grand-chose.

Par conséquent, nous avons décidé de mettre en avant l’idée de learning cities dans notre publication. Nous n’avons pas l’ambition de créer un nouveau concept, mais plutôt de présenter notre constat. C’est d’ailleurs à la suite de notre rencontre avec le directeur de la stratégie smart city de Stockholm que ce titre nous est venu. Lorsque nous lui avons demandé pourquoi Stockholm avait été élue smart city de l’année 2019, il a répondu en toute transparence : « Je ne sais pas ! Stockholm n’est pas une smart city, mais une ville en phase d’apprentissage. »

Comment les learning cities font-elles face aux controverses sur le stockage des données ?

D. K. : Nous ne nous sommes pas penchés sur ce sujet. Les projets que nous avons pu découvrir et qui utilisent de la donnée ont en réalité un impact très circonscrit et limité sur la ville. Nous sommes assez loin de ce que l’on décrit à Rio avec son centre des opérations stockant tous types de données. Ce sont plutôt des initiatives très ciblées qui permettent de monitorer par exemple les transports dans certaines parties de la ville seulement, ou bien la gestion des déchets dans certains quartiers. Nous ne vivons pas encore dans des smart cities dystopiques (et fantasmées) de type Black Mirror, où la ville serait métamorphosée grâce une utilisation généralisée de la donnée. Aujourd’hui, il s’agit simplement d’expérimenter de nouvelles solutions urbaines. 

B. G. : Toronto, par exemple, faisait partie de notre voyage, car nous voulions étudier le projet de Sidewalk Labs, une entreprise sœur de Google, attachée à la maison mère, Alphabet. Une grande controverse était en cours sur ce projet à propos de la souveraineté des données sur la ville, car Sidewalk Labs proposait de déployer des objets connectés sur le quartier Quayside afin de générer de la donnée. Et la question était de savoir à qui allaient appartenir toutes ces données : à la petite sœur de Google, à la ville de Toronto ou à d’autres acteurs partenaires ? Sidewalk Labs a proposé de créer un « data trust » indépendant pour réguler l’utilisation des données, mais cette idée a posé de nombreux problèmes, notamment sur la souveraineté de données publiques. 

La perception citoyenne de l’utilisation des données était au cœur du débat. Pour une fois, l’entreprise avait compris qu’il y avait besoin d’une régulation des acteurs privés et avait accepté d’ouvrir la boîte de Pandore en collaborant avec les citoyens. Mais cela s’est retourné contre Sidewalk Labs, qui a fait face à l’opposition des habitants, pas forcément conscients, ou peu informés, sur les différentes opportunités ou risques liés à ces objets connectés. Ce manque de compréhension dont Sidewalk Labs a payé le prix prouve qu’il y a un réel besoin d’éclairer les citoyens sur la data.

Quelles sont les principales préconisations présentées dans votre rapport final ?

B. G. : Nous avons identifié quatre grands challenges pour les learning cities. Le premier défi est de se doter d’une vision de long terme, et ce pour deux raisons. D’une part, la technologie est rapidement obsolète et il faut le prendre en compte lorsqu’on met en place un outil digital. D’autre part, la vision de long terme permet à chaque ville d’identifier un cap pour sa transformation urbaine en fonction de ses besoins, qu’ils soient géographiques, économiques, environnementaux, ou sociaux.

Le deuxième grand défi, c’est la nécessité de mettre en place des instances de collaboration. Car il faut repenser la manière dont la ville travaille avec les acteurs privés, les chercheurs ou les habitants. Introduire des solutions digitales nécessite de nouveaux types de partenariats incluant tous les acteurs. 

D. K. : Le troisième défi est celui de la sensibilisation des citadins aux enjeux de la technologie dans la ville. C’est le grand enseignement que l’on a tiré du concept de Sidewalk Labs. C’est formidable que les citadins se soient tant intéressés à un projet de smart city, mais il faut que leur vision soit nuancée et éclairée ; nous pensons que les villes peuvent jouer un rôle dans l’éveil des consciences de ses habitants.

Enfin, le dernier défi est d’utiliser l’art et la créativité pour sensibiliser les citoyens et rendre plus accessibles toutes ces transformations digitales, par essence invisibles. Par exemple, en Estonie, la ville de Tartu a mis en place un projet de rénovation énergétique de certains bâtiments. Pour rendre ces transformations visibles, la municipalité a fait appel à des artistes de street art pour repeindre les façades de cette douzaine de bâtiments. Du coup, en vous promenant dans Tartu, vous pouvez identifier en un coup d’œil les bâtiments qui ont été rénovés. Cela crée un climat vertueux, puisque tout le monde veut habiter dans un beau bâtiment. 

Pour télécharger le rapport final de Benoît Gufflet et Dimitri Kremp, « Learning cities – Un voyage étudiant à travers la smart city » (préfacé par le philosophe Gaspard Koenig et la sociologue Saskia Sassen pour la version anglaise), rendez-vous sur leur site, www.acrosstheblocks.com 

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