Xavier Jaravel : "Il y a en France de nombreux Einstein et Marie Curie perdus !"

Xavier Jaravel : "Il y a en France de nombreux Einstein et Marie Curie perdus !"

Diplômé de Sciences Po (promo 11), docteur en économie de l’Université Harvard, Xavier Jaravel a été nommé « Meilleur jeune économiste de France » en 2021 par Le Monde et le Cercle des économistes. Professeur à la London School of Economics (LSE), membre du Conseil d’analyse économique (CAE), ses recherches portent sur l’inflation, l’innovation et la productivité, ainsi que sur le commerce. Deux membres du Cercle franco-britannique de Sciences Po Alumni se sont entretenus avec lui, tant pour aborder sa formation que sa vision de l’économie. 

Propos recueillis par Olivier Marty et Caroline Philippe

Xavier Jaravel (D.R.)

Vous avez indiqué, dans un entretien au Monde consécutif à votre obtention du Prix du « Meilleur jeune économiste de France » en 2021, que l’économie que vous avez abordée à Sciences Po, en Bachelor, était un « outil formidable pour s’attaquer aux grands sujets de société ». Plus largement, quels souvenirs gardez-vous de Sciences Po et de l’utilité de sa formation, dont on imagine qu’elle a été une bonne base avant votre PhD à Harvard ?

Sciences Po a été une excellente formation. Les cours d’économie de Sciences Po ne font pas vraiment usage des mathématiques (ce qui est très différent des cours de PhD), mais ils permettent d’aborder tous les grands enjeux et concepts.

Surtout, la formation de Sciences Po permet de saisir les politiques publiques dans leur aspect pluridisciplinaire, ce qui est utile pour ensuite faire des liens entre les résultats de la recherche en économie et les décisions de politique publique. Je me rappelle notamment d’une remarque d’Etienne Wasmer, qui enseignait le cours d’économie en première année et avait lancé « l’économie n'a pas de parti », paraphrasant Pasteur et sa formule « la science n’a pas de patrie ». De fait, les outils de l’analyse économique permettent d’aborder de manière aussi objective que possible plusieurs grands enjeux de société. Cette phrase d’Etienne Wasmer me semble très juste et m’a donné envie de faire de la recherche en économie.

« Le sexe, le milieu social et le territoire d’origine sont des facteurs très déterminants dans le choix de faire carrière dans la science ou dans l’innovation, à aptitudes scolaires égales (…) Mais on sait aussi que ces biais d’autocensure peuvent être contrés efficacement grâce à la politique d’orientation. »

Vous êtes l’auteur d’un livre remarqué, publié au Seuil en 2023, intitulé Marie Curie habite dans le Morbihan, dans lequel vous pointez que l’innovation est en quelque sorte « confisquée par une élite » et que des profils à aptitudes égales n’ont pas les mêmes chances d’innover selon leur milieu et leur lieu de scolarité. Comment peut-on renverser cette tendance, derrière laquelle on devine que l’innovation peut aussi favoriser les inégalités ?

Il faut miser sur l’éducation et les politiques d’orientation. Le titre fait écho à l’un des principaux constats du livre : il y a en France de nombreux Einstein et Marie Curie perdus, c’est-à-dire un immense gâchis de talents.

Le livre montre que le sexe, le milieu social et le territoire d’origine sont des facteurs très déterminants dans le choix de faire carrière dans la science ou dans l’innovation, à aptitudes scolaires égales. Le Morbihan est le département de France métropolitaine avec le plus faible taux d’enfants se tournant vers ces carrières, faute d’écosystème local pour les inspirer. Mais on sait aussi que ces biais d’autocensure peuvent être contrés efficacement grâce à la politique d’orientation, qui devrait devenir un pilier de la politique d’innovation.

Par exemple, un programme de la Fondation L’Oréal permet à des femmes scientifiques de présenter leurs carrières et leurs études aux lycéens et lycéennes. Ce programme a fait l’objet d’une étude qui permet de mesurer son effet causal sur les choix d’orientation. Et les effets sont spectaculaires : si on se focalise sur les meilleurs élèves en mathématiques, par exemple, le programme permet d’accroitre la part des lycéennes qui vont en classe préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs de 25% à 40% (soit quasiment le même taux que les garçons !).

L’OCDE a publié en fin d’année dernière les résultats de son fameux classement « PISA » (Programme for International Student Assessment, qui mesure les aptitudes des élèves de 15 ans dans les domaines de l’écrit, des mathématiques, et de la science, NDLR), qui révèle la chute de l’ensemble des pays et de la France. Comment lisez-vous ces résultats et quelles sont, selon vous, les mesures à mettre en œuvre pour les corriger dans notre pays ?

Ces résultats sont décevants. Nous restons loin des meilleurs pays et même si nous avons gardé les écoles ouvertes durant la pandémie, plus que d’autres pays, cela n’a pas suffi pour rattraper notre retard.

Mon livre décrit les conséquences économiques du décrochage éducatif français, qui s’amplifie depuis une trentaine d’années. Il faut impérativement faire remonter le niveau scolaire ; le niveau moyen mais aussi le niveau des meilleurs élèves, qui est aussi en baisse depuis 30 ans.

Il faut aussi réduire les inégalités éducatives, sachant que nous sommes l’un des pays les plus inégalitaires au monde en termes d’éducation. Pour atteindre ces deux objectifs (hausse du niveau et réduction des inégalités), il faut se fixer des objectifs ambitieux et jouer sur tous les tableaux. On ne peut pas résoudre le problème avec une ou deux mesures iconiques ; il faut mobiliser tous les leviers et notamment l’attractivité du métier d’enseignant, le contenu des programmes et les pratiques pédagogiques.

« Mon livre décrit les conséquences économiques du décrochage éducatif français, qui s’amplifie depuis une trentaine d’années (…) On ne peut pas résoudre le problème avec une ou deux mesures iconiques. »

Vous êtes, depuis le début 2023, le président du Comité d’évaluation de France Relance, le plan de relance de 100 milliards d’euros lancé en 2020 à la suite de l’épidémie de Covid-19 visant à soutenir la conjoncture et la compétitivité de long-terme des entreprises françaises. Ce comité vient de rendre son rapport final : pouvez-vous nous faire part des points les plus positifs et des points de vigilance importants que vous identifiez ?

Xavier Jaravel tient le trophée du « Meilleur jeune économiste de France » qu’il a reçu en mai 2021. ( D.R.)

Le plan France Relance a engagé 100 milliards d’euros depuis la pandémie de Covid-19 dans l’espoir à la fois de relancer l’économie, avec plusieurs mesures de soutien à l’emploi, et de favoriser des changements structurels, notamment en matière de décarbonation de l’économie. Les analyses du comité d’évaluation sont plutôt positives : nous avons pu par exemple mesurer les effets du plan de relance sur l’emploi et sur la décarbonation de l’économie.

Prenons l’aide exceptionnelle à l’apprentissage, qui représente un montant total d’environ 9 milliards d’euros : cette mesure était perçue comme inefficace par de nombreux observateurs car elle a notamment bénéficié aux diplômés de l’enseignement supérieur, dont on peut penser qu’ils auraient été embauchés même sans subvention.

Une analyse de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) a montré que cet effet d’aubaine a été minime. Les effets sur l’emploi ont été majeurs, avec un coût budgétaire de seulement 21 000 euros par emploi créé. Il y a aussi des points de vigilance, par exemple s’agissant du soutien à l’investissement dans l’industrie. Le dispositif était censé soutenir des technologies de pointe – l’industrie 4.0 –, mais en pratique les fonds sont allés vers des technologies moins avancées, du fait de l’impératif de décaisser rapidement les crédits lors du plan de relance.



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