Gabrielle Légeret à l'assaut des savoir-faire français

Gabrielle Légeret à l'assaut des savoir-faire français

Gabrielle Légeret (promo 2020) a fondé De l’or dans les mains, une association pour valoriser et soutenir la transmission des savoir-faire. En septembre dernier, elle a lancé un « Tour de France des manufactures artisanales ». Avec son podcast, elle donne la parole à ces entrepreneurs de manufactures, afin de les mettre en lumière mais aussi pour alerter sur les conséquences de la dévalorisation des métiers manuels et du rythme effréné des délocalisations.

Gabrielle Légeret et Julie Fabre chez Marius-Fabre, manufacture de savons à Salon-de-Provence (Crédits : Malo Gueny)

Quel est votre parcours ? Comment cela vous-a-t-il mené à créer De l’or dans les mains ?

J’ai grandi à la campagne, dans un petit village en Indre-et-Loire jusqu’à mes 18 ans, avant de venir faire mes études à Paris, notamment à Sciences Po. Là où j’ai passé mon enfance et mon adolescence, les artisans et producteurs font vivre le territoire. S’ils partent, c’est tout un pan de la vie économique rurale qui s’éteint. En dix ans, de nombreuses entreprises artisanales et ateliers ont fermé, faute de repreneur. Parce qu’on a moins encouragé les jeunes à poursuivre vers les filières manuelles, et parce qu’on a beaucoup délocalisé. Les conséquences sur le développement du territoire sont considérables. J’ai créé l’association De l’or dans les mains pour faire entendre la voix de nos artisans et des entrepreneurs des savoir-faire, pour alerter sur les fragilités de nos entreprises artisanales, et pour sensibiliser la nouvelle génération à ces métiers.

« J’ai créé l’association De l’or dans les mains pour faire entendre la voix de nos artisans et des entrepreneurs des savoir-faire. »

Quel est le concept de cette association ?

De l’or dans les mains a pour mission de changer le narratif sur les métiers manuels. Nos actions s’articulent autour de trois objectifs :

  • promouvoir les savoir-faire avec notre podcast qui, chaque semaine, donne la parole à un artisan, un producteur ou un entrepreneur des savoir-faire pour qu’il se raconte, raconte ses gestes, son histoire et incarne un discours dépoussiéré sur ces métiers manuels ;

  • sensibiliser les écoliers, collégiens et lycéens aux gestes et métiers des filières artisanales en intervenant dans les établissements scolaires avec des artisans ;

  • soutenir la transmission des savoir-faire en mettant en relation un artisan sur le départ avec un jeune, un demandeur d’emploi ou une personne en reconversion.

Quels types de profils mettez-vous en avant ? Comment les choisissez-vous ?

J’ai commencé par aller à la rencontre d’artisans de ma commune. Très vite, de bouche-à-oreille, on vous recommande d’aller voir un vigneron qui travaille ses vignes avec des chevaux à quelques kilomètres, puis un artisan-fleuriste qui fleurit le château de Chenonceau, puis un poissonnier qui ne trouve pas de repreneur. De fil en aiguille, nous avons ainsi constitué une fresque des savoir-faire régionaux. Aujourd’hui, il n’y a pas un jour où nous ne recevons pas dans notre boite mail le message d’un artisan, d’un producteur ou d’un entrepreneur qui aimerait être accompagné pour que son entreprise puisse se pérenniser.

Que pensez-vous de la place qui est attribuée aujourd’hui aux savoir-faire ruraux en France ?

Je n’invente rien en disant que pendant trop longtemps, on a dévalorisé ces filières manuelles et réduits les savoir-faire à peau de chagrin. On a opposé de façon arbitraire les métiers du faire, et les métiers intellectuels, comme si ceux qui faisaient des choses de leurs mains n’avaient pas besoin de leur tête ! Cette dévalorisation elle tient du fait que l’on a voulu emmener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, mais aussi à la désindustrialisation du pays : ce sont des filières artisanales et leurs savoir-faire que l’on a vu disparaître du fait de la délocalisation.

Aujourd’hui, il y a une prise de conscience. La notion de « réindustrialisation » est sur toutes les bouches, et les Français achètent de façon plus locale et durable. Mais cela ne résout par le problème de la transmission : on voit beaucoup d’entreprises qui relocalisent leur production en France mais qui ne trouvent pas de main d’œuvre. C’est un véritable enjeu. Aujourd’hui, si rien n’est fait pour préserver ces savoir-faire et donner envie aux jeunes d’aller vers ces formations, nous ne pourrons pas perpétuer nos filières artisanales.

« Aujourd’hui, il y a une prise de conscience. La notion de “réindustrialisation” est sur toutes les bouches, et les Français achètent de façon plus locale et durable. »

Pourquoi avoir choisi de lancer un « Tour de France des manufactures artisanales » ? Quel est son objectif ?

Les mains de Thierry, tourneur à la manufacture de Digoin (Crédits : Malo Guény)

La France détient un patrimoine extraordinaire : celui des manufactures artisanales. Souvent bicentenaires, leur implantation est étroitement liée aux ressources du territoire qu’elles utilisent : la Maison Fabre à Millau créé des gants à partir de peaux d’agneaux d’Aveyron, la Manufacture de Digoin fabrique ses poteries à partir de gré issu de la vallée de la céramique, Jeujura fabrique des jouets en bois à partir des hêtres des forêts jurassiennes, etc.

Elles ont chacune développé toute une chaîne de métiers de proximité lié à leur savoir-faire qu’elles perpétuent, au sein de vieux bâtiments patrimoniaux qui ont eux aussi une histoire. Elles sont donc un puissant levier de développement économique, social et culturel rural, mais elles sont confrontées à l’enjeu de la transmission. Beaucoup de leurs salariés s’approchent de leur retraite et il n’y a personne pour prendre la relève. Ce tour de France est une façon de leur rendre hommage, de sensibiliser à la transmission, de susciter des vocations chez la jeune génération et d’éclairer les enjeux liés à la préservation des savoir-faire.

Carte du tour de France des manufactures artisanales (Crédits : Studio Bingo)

Quelle forme prend ce Tour de France ? Êtes-vous seule dans ce projet ?

Ce tour de France est réalisé en partenariat avec Terre & fils, un fonds de dotation créé par Jean-Sébastien Decaux pour soutenir des initiatives qui valorisent les savoir-faire locaux. Avec leur équipe et celle de De l’or dans les mains, nous avons ciblé 10 manufactures artisanales que nous souhaitons mettre en valeur dans notre podcast : manufactures de verre, de velours, de céramique, de jeux en bois, de couteau, de savons, de gants, d’espadrilles et de toiles.

Depuis septembre, avec Malo Guény qui est réalisatrice et vice-présidente de l’association, nous sillonnons la France pour faire entendre leurs voix à travers des conversations intimes, en immersion dans leurs ateliers, pour que ceux qui font vivre ces savoir-faire racontent leur histoire, leurs gestes, leurs matières mais aussi leurs défis. C’est un précieux état des lieux.

Gabrielle Légeret et Malo Guény sur leur Tour de France (Crédits : Vincent Gueny)

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de manufactures que vous avez ou allez visiter ? Qu’y avez-vous appris ?

Ces manufactures sont vraiment de magnifiques exemples de résilience, loin de l’image d’Épinal d’un savoir-faire traditionnel figé. À l’heure où je vous réponds, nous revenons de Millau, où nous avons visité la Maison Fabre, ganterie créée en 1924. C’était la cinquième étape de notre tour de France après les manufactures de Digoin, Jeujura, Opinel et Marius-Fabre.

« Ces manufactures sont vraiment de magnifiques exemples de résilience, loin de l’image d’Épinal d’un savoir-faire traditionnel figé. »

Toutes, innovent sans relâche. Jusqu’en 1960, Millau comptait 80 ganteries qui généraient près de 6000 emplois. Olivier Fabre, quatrième génération de gantiers de la Maison Fabre a repris la manufacture à un moment où elle périclitait. C’est un fait : on ne porte plus des gants comme on en portait au XIXème siècle et de nombreuses ganteries ont disparues. Face à ce déclin, comment fait-on ? Pour préserver la ganterie familiale, Olivier collabore avec le monde du cinéma pour qui il fait de nombreux gants – ce sont des gants Fabre que Nicole Kidman porte dans Grace Kelly. Il vient également de livrer une commande à l’État pour équiper en gants la garde républicaine. Ces nouveaux marchés sont un moyen pour une entreprise comme celle-ci de se maintenir et de se renouveler, mais ce n’est pas tout.

Maison Fabre travaille également à faire reconnaître au patrimoine de l’UNESCO la filière de la ganterie en pays de Millau et développe avec la mission locale une formation au savoir-faire de la ganterie. Autant d’exemples qui nous montrent que les manufactures sont capables de se réinventer sans cesse pour se perpétuer.

La maison Fabre, manufacture de gants à Millau (Crédits : Malo Gueny)

D’un point de vue des politiques publiques, est-il nécessaire d’accompagner ou de soutenir davantage les savoir-faire locaux pour assurer leur pérennité et leur développement ? Quelles seraient les actions prioritaires à mettre en place ?

Les lignes commencent à bouger. Le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », décerné par l’État est une véritable marque de reconnaissance des entreprises artisanales qui détiennent un savoir-faire d’exception. Le programme « Territoires d’industrie » piloté par Bercy et le ministère de la Cohésion des territoires permet de soutenir nos entreprises sur les territoires à forts enjeux industriels. On prend peu à peu conscience de ce joyau que sont nos savoir-faire. Mais ce sont des années d’oubli qu’il faut rattraper. De nombreuses techniques ancestrales et leurs entreprises ont eu le temps de se fragiliser, si ce n’est de disparaître.

« Aujourd’hui, l’enjeu est double : il faut changer la narration sur les métiers manuels pour encourager les jeunes à poursuivre vers ces filières, et donner aux entreprises artisanales les moyens d’innover en matière technologique. »

Aujourd’hui, l’enjeu est double : il faut changer la narration sur les métiers manuels pour encourager les jeunes à poursuivre vers ces filières, et donner aux entreprises artisanales les moyens d’innover en matière technologique. L’État doit évidemment s’emparer de cet enjeu. En intégrant la notion de ces savoir-faire dans les programmes scolaires, en cessant cette injonction visant à pousser 80 % d’une classe d’âge jusqu’au baccalauréat, en systématisant des interventions d’artisans dans les écoles, en augmentant le nombre d’heures « pratiques » dans les lycées professionnels, mais aussi en créant des ponts entre les grandes écoles et les formations aux métiers manuels pour que nos artisans soient également d’excellents entrepreneurs et ingénieurs, comme c’est le cas en Suisse et en Allemagne.

Quels sont vos projets pour la suite ?

En matière de valorisation, nous sommes convaincus que le podcast est un puissant levier pour transformer notre regard sur les savoir-faire. Nous travaillons avec plusieurs institutions pour pérenniser ce format et faire en sorte qu’il puisse bénéficier à de nombreuses entreprises artisanales, notamment celles labélisées « Entreprises du patrimoine vivant ».

« Nous sommes convaincus que le podcast est un puissant levier pour transformer notre regard sur les savoir-faire. »

Nous lançons également en janvier une saison de podcast qui mobilise politiques et entrepreneurs engagés sur cette question de sauvegarde des savoir-faire. Au-delà du podcast, nous intervenons dans les écoles et collèges avec des artisans pour sensibiliser les jeunes à ces métiers, avec un objectif de 500 enfants et adolescents touchés d’ici 2022.

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