L'infiltré - Comprenne qui voudra

L'infiltré - Comprenne qui voudra

Tous les prétendants vous le diront : pour réussir un bon débat à la télévision, il faut haïr son contradicteur.

De ce point de vue, le débat présidentiel de mercredi soir à tenu toutes ses promesses grâce ou, plus exactement, à cause de Marine Le Pen. Il fallait voir avec quelle violence elle s'empara de son concurrent dès les premières minutes.

Le regard bleu électrique d’Emmanuel Macron, plus perçant que jamais, montrait sa détermination à ne pas se laisser faire. Mais le sourire carnassier et le rire sardonique de Marine Le Pen disait sa volonté d'en découdre et glaçait le sang. On aurait dit qu’elle voulait le mordre.

Il y eut pourtant quelques (rares) moments de grâce, au sens où on l’entend en matière judiciaire.

Nul doute que certains, parmi les 15 millions de Français qui ont suivi le débat en intégralité, auront peut-être décroché au moment du long passage sur le remboursement des prothèses auditives considérant soit qu'ils n'étaient pas (encore) concernés, soit que la question n'était pas au niveau des enjeux du moment.

Ils se trompent : il n'y a pas de petits sujets, surtout quand ils concernent les plus âgés de nos concitoyens et donc les plus votants...

En 1988, Jacques Chirac avait très durement attaqué François Mitterrand sur la décision prise par le gouvernement Mauroy en 1982 d'augmenter la TVA sur les produits alimentaires pour chiens et chats, lui reprochant d'être l'ennemi de celles et ceux qui n'ont qu'un animal de compagnie pour rompre leur solitude.

Le président sortant lui avait répondu avec une précision inhabituelle sur un sujet d'une telle technicité fiscale et il avait conclu sa réplique en sous-entendant à son premier ministre qu'il n'avait pas, lui non plus, le monopole du cœur... des animaux.

Cette année-là, la haine entre les deux était palpable, l'ambiance à couper au couteau, selon Michelle Cotta qui tenait à l'époque le rôle d'arbitre. Elle sublima les deux candidats, faisant de ce débat un moment d’Histoire qui donne lieu aujourd’hui encore à des adaptations théâtrales comme le face-à-face entre Talleyrand et Fouquet à une autre époque.

Il faut dire que ces deux-là attendaient ce moment depuis si longtemps... Après deux années de cohabitation au cours desquelles ils avaient eu le temps de s’observer, de se jauger, de se mesurer, le temps était venu d’en découdre.

Cette année-là, François Mitterrand savait qu’il allait gagner. Son objectif était donc simple : maintenir à bonne distance ce premier ministre qu’il méprisait.

La table du débat avait donc été fabriquée aux mesures exactes de celle qui séparait les deux protagonistes chaque mercredi lors du conseil des ministres.

En 1981 déjà, le même Mitterrand avait posé ses exigences au moment de la confrontation avec Giscard. Il avait exigé d'entrer sur le plateau sans avoir à lui serrer la main. « On ne peut pas détester quelqu’un à qui l’on serre la main », avait-il dit à Moatti.

Dans un débat, tout compte et on peut tout se permettre, c’est la règle. Même l’amour peut être piétiné.

En 1974 déjà, VGE avait osé lancer à Mitterrand cette allusion perfide au détour d’un développement sur l’économie : « Clermont-Ferrand, une ville que vous connaissez bien je crois », la ville de naissance d'Anne Pingeot…

À l'époque, il restait des secrets et donc personne n'avait compris, à part les deux protagonistes. Mitterrand avait accusé le coup.

Mercredi soir, Marine Le Pen reproduisit le procédé en attaquant Emmanuel Macron sur la relation du professeur et de son élève (passage obligé de tout débat politique) mais en ajoutant immédiatement qu'elle se refusait de jouer à ce petit jeu avec lui. Autrement dit, elle ne voulait pas prendre la place de Brigitte.

Cette fois-ci, l’allusion était trop claire pour ne pas être entendue.

On repensa aussitôt aux vers d'Eluard cités par Georges Pompidou en 1969 lors d'une conférence de presse : "Comprenne qui voudra, moi mon remords ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés."

C'était au sujet de Gabrielle Russier, une professeure qui était tombée amoureuse de son élève et qui s'était donnée la mort en prison.

Je jurerais qu'Emmanuel Macron y pensa aussi et que c’est l’effet de ce souvenir qui troubla un instant son regard intense, le temps de reprendre sa respiration.

Décidément, rien ne nous serait épargné dans cette campagne où tous les coups avaient été permis, jusqu’à la fin.
 

 

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