Mai 68 - "L'ambassadeur n'aimait pas les drapeaux rouges"

Mai 68 - "L'ambassadeur n'aimait pas les drapeaux rouges"

Dans le cadre de notre dossier sur mai 68, Émile s'est plongé dans les archives de l'Association. Les anciens voyaient-ils tous d'un bon œil le vent révolutionnaire qui soufflait alors au sein de l'Institution ?

Le 28 juin 1968, l'ambassadeur de France, Robert de Dampierre, juge les manifestations indécentes et adresse à Jacques Berthoud, président de l'Association des anciens élèves de la rue Saint-Guillaume, sa démission de membre de l'Association. Émile vous fait redécouvrir cet échange de correspondance.


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4 juillet 1968

Monsieur l’Ambassadeur,

Je réponds aujourd’hui à votre lettre du 28 Juin, qui ne m’a été transmise qu’hier par le Secrétariat de l’Association.

Votre décision de démissionner de l’Association des Anciens Élèves de la rue Saint-Guillaume me cause une grande peine, car elle me paraît, je vous le dis très franchement, se fonder sur une motivation injuste.

Puis-je me permettre d’abord de vous rappeler que nous sommes une Association d’anciens élèves de la rue Saint-Guillaume, sans que les étudiants de l’Institut d’Etudes Politiques ressortissent à notre activité.

[…]                

Cela dit, l’Association ne pouvait évidemment pas se désintéresser de ce qui se passait dans notre vieille Maison, à laquelle nous restons tous profondément attachés.

Comme Président de l’Association et comme ami personnel de M. CHAPSAL, je n’ai pas manqué de rester constamment en rapport avec celui-ci, lui apportant le soutien complet de notre Conseil pour l’action pleine de sang-froid et de maîtrise qu’il a menée pendant six semaines, dans des circonstances exceptionnellement difficiles.

Sans doute, à la suite notamment de heurts entre les révolutionnaires extrémistes et un commando du groupe Occident, l’occupation du hall et des amphithéâtres de la rue Saint-Guillaume s’est-elle inspirée des tristes exemples de la Sorbonne et de l’Odéon. Sans doute aussi des banderoles provocatrices et des drapeaux révolutionnaires ont-ils flotté sur la façade de l’Institut.

Il n’en est pas moins vrai que, après avoir réussi à faire élire dans des conditions parfaitement régulières une « commission paritaire » d’enseignants et d’élèves, le Directeur de l’Institut a obtenu que son autorité soit sauvegardée, notamment en ce qui concerne la question matérielle des examens qui seront passés cet été dans des conditions normales et sans intervention d’éléments extérieurs au corps enseignant.

Un programme de réforme lui sera soumis, mais en dernière analyse la décision appartiendra à la Direction, dans le cadre de l’Université.

Je pense en définitive que, malgré des incidents et des manifestations profondément choquantes et pénibles, l’essentiel a été maintenu au travers de ces journées quasi révolutionnaires.

En vous désolidarisant de notre Association et en infligeant ainsi indirectement un blâme à la Direction de l’Institut d’Études Politiques, vous prendriez, Monsieur l’Ambassadeur, une position qui punirait à tort beaucoup d’efforts, beaucoup de sang-froid et pour finir une victoire incontestable sur l’extrémisme.

Je vous demande donc de bien bouloir reconsidérer votre position en acceptant de retirer votre démission.

Je vous prie d’agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’expression de ma plus haute considération.

 

Jacques BERTHOUD
Président


Cet article a été initialement publié dans le n° 150 de Rue Saint-Guillaume, l’ancienne revue de Sciences Po Alumni.

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