Vaccin, la piqûre de défiance ?

Vaccin, la piqûre de défiance ?

Le 9 novembre dernier, le laboratoire américain Pfizer et son partenaire allemand BioNTech ont annoncé les résultats d’un essai clinique d’un vaccin contre la Covid-19 : celui-ci serait efficace à 90 %. En France, l’accueil de cette nouvelle a rapidement suscité méfiance et scepticisme. Comment expliquer cette défiance spécifique à notre pays ? Qui sont les anti-vaccins français, quelles sont les raisons structurelles et conjoncturelles de la défiance vaccinale ? Émile vous présente un extrait d’une étude de la Fondation Jean Jaurès consacrée à ce sujet qui devrait susciter de nombreuses polémiques dans les mois à venir.

Vaccin Covid-19 du laboratoire américain Pfizer et son partenaire allemand BioNTech. (Crédits : Shutterstock / Giovanni Cancemi)

Symptôme de cette défiance vaccinale, l’annonce d’un vaccin contre la Covid-19 a été largement concurrencée par la sortie d’un « documentaire » baptisé Hold-Up, rassemblant un ensemble hétéroclite de théories conspirationnistes au sujet de la Covid-19 et d’un potentiel vaccin, qui a été en l’espace de quelques jours partagé abondamment sur les réseaux sociaux.

Il est vrai qu’à l’heure actuelle l’opposition de la population à un potentiel futur vaccin pour lutter contre l’épidémie semble massive. En effet, lorsque l’on demande aux Français s’ils accepteraient de se faire vacciner contre la Covid-19, ils sont 24 % à répondre qu’ils n’accepteraient probablement pas et 19 % qu’ils n’accepteraient certainement pas. Pour le dire autrement, une petite moitié de la population française est contre ce vaccin.

« Une petite moitié de la population française est contre ce vaccin. »

Ces chiffres ne sont finalement pas étonnants tant depuis quelques années la France est devenue un des États d’Europe, voire du monde, les plus sceptiques à l’égard de la couverture vaccinale. Plus particulièrement, l’épisode de la grippe H1N1 aurait ainsi durablement mis à mal la relation entre les Français et les vaccins. Les nombreuses polémiques ayant eu lieu à ce moment-là sur l’opportunité de la vaccination et la révélation de possibles conflits d’intérêts ont enrayé durablement la confiance des Français dans les vaccins. Cela se vérifie encore largement lors de l’épidémie actuelle : comme le montre le graphique 1, la défiance dans un futur vaccin contre la Covid-19 est beaucoup plus importante en France qu’à l’étranger.

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Mais qui sont les anti-vaccins français ? Quelles sont les raisons structurelles et conjoncturelles de la défiance vaccinale et comment, in fine, lutter contre ce phénomène ?

Pour répondre à cette question, nous modélisons les attitudes à l’encontre d’un futur vaccin contre la Covid-19, grâce à des données récoltées dans l’enquête « Fractures françaises » coordonnée par la Fondation Jean-Jaurès. L’objectif est ici d’utiliser une méthode statistique qui permette de comprendre, toutes choses égales par ailleurs, les mécanismes profonds expliquant pourquoi certaines personnes sont davantage anti-vaccins et d’autres moins. Pour ce faire, nous effectuons une régression linéaire de l’adhésion au vaccin contre la Covid-19. Cette méthode permet d’avoir un raisonnement « toutes choses égales par ailleurs » : par exemple, si l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de diplôme et le vote à la présidentielle sont similaires, la confiance dans les scientifiques entraîne-t-elle davantage d’acceptation du vaccin contre la Covid-19 ? C’est à ce type de questions que nous sommes en mesure de répondre.

Nous mettons ainsi en lumière plusieurs facteurs influençant l’attitude face au vaccin : l’âge, le sexe, le comportement politique et, finalement, la confiance dans les institutions politiques et scientifiques de notre pays.

I. L’influence de l’âge

Le premier critère d’acceptation de la vaccination contre la Covid-19 est l’âge des Français. Toutes choses égales par ailleurs, plus les Français interrogés sont âgés, plus ils déclarent accepter de vouloir se faire vacciner contre la Covid-19. Ces chiffres n’ont finalement rien d’étonnant, les jeunes générations sont également celles qui déclarent avoir le moins peur des conséquences sanitaires de l’épidémie. Dès lors, pourquoi prendraient-elles un risque (supposé) en se faisant vacciner contre la Covid-19 alors qu’elles n’ont potentiellement rien à y gagner personnellement ? 

« Plus les Français interrogés sont âgés, plus ils déclarent accepter de vouloir se faire vacciner contre la Covid-19. »

Si le vaccin n’était pas rendu obligatoire, plusieurs arguments peuvent être utilisés afin de pousser à la vaccination des jeunes. Le premier argument est d’ordre individuel : les jeunes ne sont pas épargnés par les conséquences sanitaires de l’épidémie. La mortalité est, certes, beaucoup plus faible chez les jeunes générations mais des formes plus pernicieuses de la maladie entraînant des conséquences à long terme sur la santé individuelle se font remarquer chez un nombre considérable de jeunes touchés par la Covid-19.

Par ailleurs, il est largement acquis que plus la peur ressentie est importante, plus les citoyens vont avoir tendance à se conformer à la politique sanitaire, et cela vaut autant chez les jeunes que chez les citoyens plus âgés. Pour certains, la politique de la coercition et de la peur serait le seul moyen de pousser les jeunes générations à accepter les mesures sanitaires et en l’occurrence de se faire vacciner contre la Covid-19 afin de protéger les plus faibles d’entre nous. Néanmoins, cette affirmation est largement contestable pour deux raisons. 

D’une part, peut-on mener la politique sanitaire d’un pays démocratique uniquement sur la coercition et la peur ? Même dans les temps troublés que nous connaissons, cela est hautement contestable. D’autre part, il est largement erroné de penser que les jeunes Français sont plus égoïstes que leurs aînés et que leurs voisins européens.

Contrairement aux discours alarmistes qui déplorent la perte du lien social et le déclin de la cohésion nationale, les résultats de ces enquêtes montrent que les jeunes sont tout aussi altruistes que les générations antérieures. Cette évolution de l’altruisme s’explique, d’une part, par l’effet du processus de renouvellement générationnel qui induit une plus grande ouverture et une plus grande tolérance à l’égard d’autrui et, d’autre part, par la montée du précariat et par le contexte de crise persistant qui a rendu les jeunes plus attentifs aux conditions de vie des autres. En dépit de la vulgate dominante sur l’affaiblissement des réflexes de solidarité parmi la jeunesse, il est donc faux de dire que les jeunes générations sont moins altruistes que les précédentes. Mieux encore, le niveau d’altruisme des jeunes à l’égard des personnes âgées est environ au même niveau en France qu’en Allemagne et en Suède.

Ce n’est donc peut-être pas tant en cherchant à faire peur aux Français qu’en cherchant à les rassurer sur le bien-fondé de la politique sanitaire et sur la sécurité d’un futur vaccin que la marge de manœuvre se situe.

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Cela se remarque d’autant plus quand on demande aux Français d’expliquer les raisons de leur refus de la vaccination contre la Covid-19. Les raisons principalement avancées pour justifier leur refus sont soit le fait qu’il y aurait un doute concernant l’efficacité d’un vaccin pour lequel nous n’aurons pas suffisamment de recul (63 %) soit la peur des effets secondaires de la vaccination (46 %).

C’est donc bien une entreprise de pédagogie de la part des pouvoirs publics, tout comme des scientifiques et des laboratoires pharmaceutiques, qui semble indispensable afin de susciter davantage de confiance concernant l’efficacité et la sûreté du vaccin. 

« C’est une entreprise de pédagogie (...) qui semble indispensable afin de susciter davantage de confiance concernant l’efficacité et la sûreté du vaccin. »

II. Les femmes, plus inquiètes face aux risques d’un futur vaccin

Le sexe des individus joue un rôle important dans l’acceptation ou non d’un futur vaccin contre la Covid-19. Plus précisément, les femmes semblent nettement plus réticentes que les hommes à ce sujet : alors que le refus de la vaccination concerne « seulement » 35 % des hommes, ce chiffre monte à 50 % chez les femmes.

L’inquiétude face aux éventuelles conséquences nocives du vaccin est ce qui différencie le plus les deux catégories. Alors qu’hommes et femmes sont aussi sceptiques concernant l’efficacité du vaccin, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à craindre les effets indésirables que les hommes (52 % contre 35 %).   

« Les femmes sont beaucoup plus nombreuses à craindre les effets indésirables que les hommes (52 % contre 35 %). »

III. L’influence de la proximité partisane, le populisme et le refus de la vaccination

Outre le sexe et l’âge, d’autres facteurs jouent un rôle dans l’acceptation ou non d’un futur vaccin contre la Covid-19. Si la catégorie socioprofessionnelle et le niveau d’éducation n’ont aucun impact, on remarque cependant des différences en fonction du positionnement politique des Français. Alors que chez nos voisins européens certains partis comme le Mouvement 5 étoiles en Italie sont ouvertement anti-vaccins, ce n’est pas le cas en France. Pourtant, des différences majeures apparaissent au niveau de la proximité partisane des Français. À âge, niveau de diplôme et catégorie socioprofessionnelle similaires, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen, de François Asselineau et de Nicolas Dupont-Aignan sont beaucoup plus anti-vaccins que les autres électeurs.

« Les individus rejetant les institutions politiques classiques auraient également une forte probabilité d’être également défiants envers les institutions scientifiques. »

Les études menées par Gilles Ivaldi au moment de la présidentielle de 2017 montraient que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de Marine le Pen étaient ceux qui manifestaient le plus une attitude populiste, entendue comme une opposition entre un peuple considéré par essence comme vertueux et des élites jugées corrompues. Or, différentes études montrent qu’il existe bel et bien un lien entre la défiance envers les institutions politiques et les institutions scientifiques, celles qui vont en l’occurrence promouvoir la vaccination. S’intéressant plus spécifiquement au cas français, Luc Rouban, montre que le populisme scientifique, le populisme politique « classique » et la défiance envers les principales institutions politiques et médiatiques du pays sont différents versants d’un même phénomène : les individus rejetant les institutions politiques classiques auraient également une forte probabilité d’être également défiants envers les institutions scientifiques, en particulier chez les individus qui manifestent une sympathie pour les partis populistes de droite.

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