Le leadership a-t-il encore un sexe ?

Le leadership a-t-il encore un sexe ?

La place des femmes en entreprise a indéniablement évolué ces dernières années. Pourtant, le plafond de verre reste une réalité : en France, trois femmes seulement sont à la tête d’entreprises du CAC 40. Managent-elles « comme des hommes » ou ont-elles adopté un style différent ? Finalement, le leadership est-il toujours genré ? C’est la question débattue lors d’une passionnante table ronde organisée cet hiver par le Pôle Carrières de Sciences Po Alumni.

Compte-rendu par Christine Broudic

Les femmes managent-elles “comme des hommes” ? (Crédits : Shutterstock)

Les femmes managent-elles “comme des hommes” ? (Crédits : Shutterstock)

La fin du plafond de verre ?

Kamala Harris est devenue la première femme vice-présidente des États-Unis. Elle a ainsi rejoint le « cercle des premières femmes » : première femme Premier ministre, première femme à la tête du FMI, première femme à diriger une entreprise du CAC 40… comme si chacune de ces nominations, promotions, élections constituait un événement extraordinaire. D’où cette question : le leadership a-t-il encore un sexe ? S’interroger de la sorte, c’est reconnaître comme principe de départ que le leadership en a un – masculin, en l’occurrence – avant de questionner la place occupée par les femmes dans les lieux de décision, de stratégie, de pouvoir. C’est sur ce point qu’ont débattu quatre éminents spécialistes (deux femmes, deux hommes) à l’occasion d’une table ronde organisée par le groupe Femme et Société et le groupe Ressources Humaines de Sciences Po Alumni. 

« Malgré les avantages reconnus d’une gestion renforcée de la diversité et de la mixité dans les organisations, dans la vraie vie, il y aurait comme un décalage ou plutôt ces fameux plafonds de verre », a relevé Brigitte Rischard, responsable du pôle Carrières de Sciences Po Alumni, qui a introduit la conférence. Constat appuyé par la consultante Valérie Desclerc, animatrice des débats : aux femmes la bienveillance, la concertation, l’écoute ; aux hommes le pouvoir, la domination…

« Malgré les avantages reconnus d’une gestion renforcée de la diversité et de la mixité dans les organisations, dans la vraie vie, il y aurait comme un décalage ou plutôt ces fameux plafonds de verre »

Les femmes seraient-elles donc victimes de stéréotypes ? « Les stéréotypes, c’est basiquement l’ensemble des informations que notre cerveau a accumulé à propos des membres d’un groupe », a défini Patrick Scharnitzky, directeur associé du cabinet AlterNego et spécialiste des mécanismes psychosociaux. « Ces informations rentrent dans notre cerveau à notre insu. » Et ce, dès notre plus jeune âge…

De fait, il faut « sortir de la culpabilité d’avoir des stéréotypes. Car la question n’est pas de savoir si on en a, mais ce qu’on en fait ». Par exemple, dans l’entreprise, faire en sorte que ces stéréotypes viennent polluer le moins possible les interactions entre les femmes et les hommes. Il faut des années à la société pour déconstruire certains clichés. Ces stéréotypes ont-ils néanmoins du sens ? 

Savoir utiliser les pare-feux

« Le problème n’est pas de dire si les hommes et les femmes sont constitués différemment, ils le sont », a poursuivi Patrick Scharnitzky. Il s’agit donc de commencer par admettre les différences socioculturelles existant entre tous les groupes d’individus, comme entre les hommes et les femmes. Puis de mettre en place les pare-feux nécessaires pour éviter de réduire toutes les femmes aux mêmes dimensions de la personnalité ou aux mêmes compétences.  

Le meilleur moyen de lutter contre l’usage abusif des stéréotypes reste avant tout le savoir et l’acquisition des connaissances, qui vont permettre de mieux comprendre pourquoi l’autre ne fonctionne pas forcément comme soi.

Du coup, si on comprend mieux comment l’autre fonctionne, est-il vraiment nécessaire d’adopter les codes masculins pour imposer son leadership ? Pas nécessairement, a souligné Laetitia Adhémar, directrice du cabinet Turningpoint, qui croit plutôt au concept de « rôle modèle ». 

Cette volonté de copier ou de s’emparer de codes masculins est liée surtout à la prééminence de « rôles modèles » masculins. Seulement, rien n’est figé. Le « rôle modèle » féminin se développe, à l’image de ce qu’incarne Kamala Harris. « Il reste toutefois de vrais challenges. Par exemple, dans le secteur industriel ou de la construction, le défi reste de taille pour promouvoir des femmes. Mais, clairement, on note une volonté pour que les codes masculins ne soient plus la référence. » 

Alors, pour faire tomber les derniers bastions, Laetitia Adhémar mise sur la sororité, ces espaces de partage et d’entraide mutuelle, pour faire émerger des modèles féminins forts.

Plus largement, la question du leadership renvoie non seulement à la mixité, mais surtout à la diversité des organisations. « Pourquoi existe-t-il des stéréotypes sur le leadership en entreprise ? Parce qu’il y a absence de diversité », répond ainsi Pierre Liautaud, vice-président exécutif chez l’ascensoriste Kone. « Tout modèle de conformisme s’auto-alimente. Les hommes choisissent des hommes parce que c’est le modèle. Si on n’a pas un minimum de diversité dans un comité de direction, on reste dans l’entre-soi », poursuit-il.

« Tout modèle de conformisme s’auto-alimente. Les hommes choisissent des hommes parce que c’est le modèle. »

« La honte du XXIe siècle »

En plus du manque de diversité, le modèle économique dominant peut aussi expliquer ce leadership au masculin. À savoir le modèle techno-capitaliste, alliance de la technologie et de la financiarisation de l’entreprise, qui a imposé un leadership sexué. « Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est la remise en cause, notamment en Europe, de ce modèle, qui est loin d’avoir produit les résultats attendus », décrit Pierre Liautaud. À l’inverse, différentes études ont mis en avant les bénéfices économiques de la mixité et, plus largement, de la diversité dans les organisations. Il demeure néanmoins certaines « résistances ». La raison, pour Pascale Bracq, directrice du développement chez Allianz, en est que le leadership au féminin n’est pas encore considéré comme un enjeu stratégique, celui-ci se heurtant à la problématique du partage du pouvoir. António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, l’a lui-même constaté. En février 2020, il a appelé à en finir avec l’inégalité des sexes, « cette honte du XXIe siècle. Nous devons de toute urgence transformer et redistribuer le pouvoir si nous voulons protéger notre avenir et notre planète. C’est pourquoi tous les hommes devraient soutenir les droits des femmes et l’égalité des sexes ».
Alors, oui, le leadership a encore un sexe. Pour le moment. Peut-être plus pour très longtemps. À condition, tout simplement, de rester soi-même.


Les intervenants

  • Laetitia Adhémar : Directrice du cabinet Turningpoint, enseignante à Sciences Po (Affaires publiques) et cofondatrice de l’association Women in Transition.

  • Pascale Bracq : Directrice du développement chez Allianz, présidente du groupe Femme et Société de Sciences Po Alumni et membre d’honneur de l’association ONU Femmes France.

  • Pierre Liautaud : Vice-président exécutif (Sud Europe, Moyen-Orient et Afrique) chez Kone, groupe international spécialisé dans les ascenseurs, escaliers mécaniques et portes automatiques.

  • Patrick Scharnitzky : Directeur associé du cabinet AlterNego et consultant Diversité, stéréotypes et mécanismes psychosociaux. Docteur en psychologie sociale et précédemment maître de conférences des universités.

Le débat a été animé par Valérie Desclerc, coach et associée chez Dirigeants & Partenaires.


Le résumé de cette conférence a été initialement publié dans le numéro 21 d’Emile, paru en avril 2021.

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