Philippe Augier, maire de Deauville : "Les casinos et les hippodromes sont des pôles économiques majeurs"

Philippe Augier, maire de Deauville : "Les casinos et les hippodromes sont des pôles économiques majeurs"

La fermeture administrative des casinos et des hippodromes pendant de longs mois a doublement impacté les communes qui jusque-là bénéficiaient largement des mannes de l’activité du jeu. C’est le cas notamment de Deauville, ville emblématique s’il en est, frappée de plein fouet par la crise sanitaire. Quel est le poids de ces activités dans les budgets des villes qui accueillent ces structures ? Comment faire face à l’arrêt brutal des activités ? Quel rôle cette filière joue-t-elle dans le maillage du territoire national ? Pour mieux comprendre les équilibres qui sont en jeu, nous sommes allés à la rencontre du maire de Deauville, Philippe Augier, fin connaisseur du monde du jeu et de la filière hippique en particulier.

Propos recueillis par Bernard El Ghoul et Sandra Elouarghi

Philippe Augier (Crédits : Sandrine Boyer-Engel)

Philippe Augier (Crédits : Sandrine Boyer-Engel)

En tant que maire de Deauville, pouvez-vous nous dire quelle place le secteur du jeu occupe dans votre ville ? Réussissez-vous à en évaluer les externalités positives ?

Tout d’abord, je vous rappelle que le jeu est interdit en France. Les casinos ne sont autorisés que par dérogation parfaitement encadrée par la loi. Cette autorisation remonte à l’essor des activités touristiques – les bains de mer au départ, puis la montagne et les cures thermales – dans de petites villes qui n’avaient pas les moyens de se doter des infrastructures nécessaires pour accompagner ce mouvement. D’où l’idée d’y implanter des casinos soumis à un prélèvement communal pour financer les investissements. Or, progressivement, tout le monde a oublié ce paradigme initial : on a fini par autoriser les casinos dans les grandes villes alors même que, pour ces dernières, l’apport financier est epsilonesque. 

En revanche, pour les communes comme Deauville, le prélèvement communal sur le casino est un pan essentiel des recettes : 16 % à 18 % de notre budget de fonctionnement aujourd’hui – jusqu’à 25 % à une époque. C’est colossal. Il faut ajouter à la redevance financière les engagements en matière de culture et d’accompagnement de la vie associative, sportive ou culturelle qui font intégralement partie des négociations avec le casino. 

La présence de ces activités sur une commune représente donc un atout considérable pour le développement de celle-ci ?

C’est évident, l’attractivité du casino permet à la commune de développer la sienne. Lorsque mes prédécesseurs ont décidé de construire le palais des congrès de Deauville – un équipement qui, compte tenu de sa taille, dépassait considérablement les capacités de financement de la ville – il a été convenu avec le groupe Barrière (propriétaire du casino) que ce dernier acceptait 5 % de prélèvements supplémentaires sur le produit net des jeux ; au total, le groupe a financé quasiment 40 % du site. Cela tombait bien : Charles Pasqua signait au même moment l’autorisation des machines à sous (en 1988). Sans ces dernières, il n’y aurait jamais eu de palais des congrès à Deauville ! 

Casino Barrière de Deauville (crédits : Patrice Le Bris)

Casino Barrière de Deauville (crédits : Patrice Le Bris)

Vous semblez être contre l’installation de casinos à proximité des grandes villes. Pour quelles raisons ?

N’oublions pas qu’il y avait initialement deux grands interdits pour les installations de casinos : Paris et les grandes villes. Or on a commencé par en installer un à Enghien-les-Bains – à 30 minutes de la capitale –, qui est devenu le premier casino de France six mois après son ouverture, puis dans les grandes villes en 2000 car, me semble-t-il, Jacques Chaban-Delmas voulait un casino à Bordeaux. Cela nous a fait terriblement mal : pour les casinotiers, il est évidemment plus intéressant de s’installer à Toulouse ou à Lyon qui disposent de larges bassins de population que dans une petite ville. 

J’insiste sur le fait que, si je n’avais pas le casino, je n’arriverais pas à financer tous les équipements qui renforcent l’attractivité de la ville. Tout le territoire environnant est irrigué, surtout quand on est à deux heures de Paris. D’où la multiplication des casinos qui jalonnent la côte et qui, tous, vivent très bien : Trouville-sur-Mer, Deauville, Villers-sur-Mer, Cabourg, Ouistreham. 

« Si je n’avais pas les casinos, je n’arriverais pas à financer tous les équipements qui renforcent l’attractivité de la ville »

Qu’en est-il des hippodromes ? Contribuent-ils également au financement des communes sur lesquelles ils sont implantés ? 

Initialement, les hippodromes ne finançaient pas les communes. Le prélèvement sur les jeux est relativement récent, il date peut-être de 12-15 ans. Une enveloppe annuelle de 10 millions d’euros est ponctionnée sur le PMU, puis répartie entre les communes qui ont des hippodromes, avec un plafond de 700 000 euros par collectivité. Dans la mesure où nous disposons de deux hippodromes – Deauville et Clairefontaine –, nous partageons cette somme, relativement marginale au regard de nos investissements sur ces sites. Il faut bien comprendre que les communes s’engagent fortement auprès de leur casino ou de leur hippodrome, car ils portent des filières économiques derrière eux : le tourisme pour les casinos qui contribuent à faire vivre les hôtels, les restaurants, les communes, etc. et toute la filière équine pour les courses hippiques, qui représente 80 à 85 000 emplois. Comparée aux casinos et aux courses, la FDJ n’est qu’une machine à pognon, rien d’autre : elle ne fait vivre personne. Je pense que parfois, l’État l’oublie un peu. 

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur la fiscalité des jeux ?

Cela fait très longtemps que je demande une véritable politique des jeux dans notre pays, consciencieusement évitée par Bercy, car cela montrerait du doigt la FDJ face aux casinos et aux hippodromes qui sont des moteurs en matière économique et d’emploi. Pourquoi ne pas aligner la fiscalité du PMU sur celle des casinos, par exemple ? La FDJ et les casinos sont imposés sur le Produit brut des jeux [PBJ, la différence entre les mises des joueurs et les gains versés par le casino sur leurs différents jeux, NDLR] alors que le PMU l’est sur les enjeux [le montant brut des sommes engagées par les parieurs, NDLR]. Vous voyez la différence entre un prélèvement de 5,3 % sur les bénéfices d’un côté et sur le chiffres d’affaires total de l’autre ? C’est colossal. 

À travers le mouvement des « gilets jaunes », les difficultés, voire le malaise de la France dite des territoires ont été mis en lumière. Quelle place les casinos et les hippodromes occupent-ils, selon vous, en termes d’aménagement, d’animation et de développement des territoires ?

Il y a 250 hippodromes en France, autant que dans toute l’Europe réunie, et plus de 200 casinos : ils jouent un rôle déterminant dans l’animation des territoires. Ce sont des lieux de rencontre, de partage, de fête et de passion, celle du cheval, des courses et du jeu.

Course de chevaux à l’hippodrome de Deauville (crédits : Sandrine Boyer-Engel)

Course de chevaux à l’hippodrome de Deauville (crédits : Sandrine Boyer-Engel)

Par ailleurs, ce sont des pôles économiques majeurs. Le casino de Deauville, qui à lui seul doit employer entre 200 et 300 personnes, draine toute une série d’autres activités : restaurants, cinéma, théâtre. Le groupe Barrière à Deauville, ce sont 800 employés, trois hôtels, le casino bien sûr et une douzaine de restaurants. C’est évidemment le plus gros employeur de la ville ; l’hippodrome est probablement le second, même s’il emploie moins de monde – environ 35 personnes à l’année, plus des dizaines de vacataires quand il y a des courses – et ne fonctionne que 40 jours par an. Sa présence a néanmoins permis l’installation d’un centre d’entraînement avec 400 chevaux et donc la création de nouveaux emplois.

Ajoutez à cela le fait que l’hippodrome est bien souvent le poumon vert de la ville. C’est le cas à Deauville, mais pas seulement. Cette dimension est trop sous-exploitée et beaucoup d’autres manifestations pourraient se tenir sur les hippodromes entre les courses : des activités de plein air, qu’elles soient sportives, culturelles ou autres. À Longchamp, par exemple, depuis deux ans, les « jeudis soir » accueillent 8 000 personnes qui viennent faire la fête et transforment l’hippodrome en un lieu de rencontre et de partage.

Sur le plan sociologique, avez-vous observé une évolution des publics des casinos et des courses ? Un rajeunissement ?  

Tout d’abord, les casinos et les hippodromes sont des lieux de passion, même si celles-ci sont différentes. À Deauville, les joueurs de casino traditionnels venaient en smoking et jouaient au baccara. Puis sont arrivées les machines à sous ; et face au potentiel que cela représentait, les jeunes et les baskets ont été autorisés ! L’évolution sociologique est souhaitable : le jeu et le plaisir qui va avec ne peuvent être réservés à ceux qui en ont les moyens. 

Idem pour les hippodromes. Au début des années 1970, c’était un repaire d’« aristos » qui regardaient les autres de haut. Aujourd’hui, vous y trouvez aussi bien des P.-D.G. qui adorent les courses et qui sont propriétaires de chevaux que des smicards ou des chômeurs qui sont passionnés. Sociologiquement, les courses sont multi-public, leur évolution illustre la transformation d’un monde qui est passé d’une clientèle unique à un ensemble de clientèles. 

Par ailleurs, l’intergénérationnel joue un rôle déterminant. Bien souvent, sont devenus joueurs ou propriétaires de chevaux de course ceux qu’on emmenait plus jeunes sur les hippodromes, ou à qui on faisait partager le goût du jeu. La transmission vers les générations suivantes – les non-joueurs – est donc essentielle. 

Comment analysez-vous la digitalisation du secteur des jeux ? Pouvez-vous en mesurer l’impact pour Deauville ? 

La digitalisation est utile aux joueurs qui ne souhaitent pas aller dans les lieux de jeux ou qui n’en ont pas la possibilité, ceux qui par exemple sont loin des casinos et qui néanmoins souhaitent jouer au poker. Selon moi, la digitalisation va développer le jeu en élargissant sa clientèle. Néanmoins, elle ne répondra pas aux besoins de rencontre et de partage que l’on retrouve au casino ou aux courses. C’est donc un outil supplémentaire et indispensable sur le plan économique. Sur le plan sociologique, jusqu’à maintenant, il est plutôt démontré qu’elle pousse à l’individualisation plutôt qu’au collectif.

« À Deauville, on se croirait dans un film de science-fiction où les humains auraient disparu. »

Pour terminer, nous aimerions revenir sur la crise sanitaire qui touche notre pays et le monde entier depuis bientôt un an. Quelles en sont les conséquences pour Deauville ? 

C’est une catastrophe ! Le prélèvement communal sur le casino est passé d’environ cinq millions et demi à trois millions et demi d’euros. Mais il faut noter que pour les collectivités publiques, le gouvernement a très largement compensé la baisse des recettes non fiscales – c’est-à-dire le casino, la taxe de séjour, le stationnement, etc. – sur la base de la moyenne des trois années précédentes. Il faut reconnaître que c’est un effort considérable : nous n’aurions pas pu tenir si cela n’avait été le cas. 

Notez bien que le casino vit relativement peu de la population locale et que nous avons par conséquent besoin de l’afflux des touristes. Or, sans restaurants, pas de touristes. Même s’ils n’ont pas subi de fermeture administrative, les hôtels n’ouvrent pas, car ils n’ont pas de clients. C’est une décision du gouvernement que je ne comprends pas. Les protocoles sanitaires auraient permis la réouverture des casinos avec des mesures extrêmement rigoureuses et parfaitement bien respectées. Cela n’a pas été suffisant et je le regrette. 

Aujourd’hui, à Deauville, on se croirait dans un film de science-fiction où les humains auraient disparu, sauf les week-ends quand les résidents secondaires et ceux qui veulent quitter Paris arrivent. Ils représentent l’avenir de territoires comme le nôtre et c’est la raison pour laquelle, en tant que président de la communauté de communes, j’ai souhaité dès mon arrivée installer un réseau de fibre optique allant chez chaque habitant. Prenez le cas des résidents secondaires qui viennent quasiment tous les week-ends, en particulier ceux qui n’ont pas d’enfants et arrivent le jeudi soir pour repartir le lundi, la digitalisation est un enjeu fondamental car, associée à la volonté de sortir de la pression urbaine, elle va nous amener une nouvelle population permanente très importante et nous allons nous retrouver dans une situation d’accueil inédite. C’est vrai pour Deauville, mais également pour toute une série de villes alentour. 

Cette interview a été initialement publiée dans le numéro 21 d’Emile, paru en avril 2021.



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