Patrick Partouche : "On continue à nous prendre pour des voyous"

Patrick Partouche : "On continue à nous prendre pour des voyous"

Dans le cadre de notre dossier sur les jeux d’argent et de hasard, nous sommes allés à la rencontre de Patrick Partouche, l’un des patrons les plus emblématiques du secteur des casinos. Gestion de la crise sanitaire par l’État, relations avec les élus, jeux en ligne… Le moins que l’on puisse dire, c’est que Patrick Partouche ne mâche pas ses mots. 

Propos recueillis par Bernard El Ghoul et Muriel Foenkinos

 
Patrick Partouche (Crédits : Groupe Partouche)

Patrick Partouche (Crédits : Groupe Partouche)

 

Cet entretien a été réalisé en mars 2021

Comment votre groupe vit-il la situation actuelle et comment vous adaptez-vous ?

J’attends le « go » pour relancer notre activité, qui se situe à la frontière de tous les métiers – ce qui se mange, ce qui se boit, ce qui se danse. On était en train de jouer, on ne nous a pas mis dehors, mais on a coupé l’électricité. Eh bien, on ne bouge pas ! Ils la remettront bien un jour. Et la partie reprendra son cours. On a aussi des hôtels à l’arrêt, qui fonctionnent surtout avec le tourisme d’affaires – notamment celui de Cannes. Le carnet de commandes, quand tout redeviendra à la normale, est rempli au minimum sur six mois. Pour les hôteliers, disons « pure players », ce n’est pas la même histoire. On a voulu ouvrir un drive (le Pasino, à La Grande Motte), avec machines à sous, black jack et roulette électronique, sans contact avec le personnel, mais on n’a pas eu le feu vert. J’ai des équipes très impliquées qui sont chez elles, comme des lions en cage. La situation est dramatique et j’ai envie de vous dire : « Tout ça pour ça ? »

« On a voulu ouvrir un drive (le Pasino, à La Grande Motte), avec machines à sous, black jack et roulette électronique, sans contact avec le personnel, mais on n’a pas eu le feu vert. »

Cela fait penser à la fin de La Peste, d’Albert Camus où, pour schématiser, celle-ci repart comme elle était arrivée… 

J’ai une autre analogie qui me vient : il m’est arrivé de faire du bateau dans des mers déchaînées, avec un bateau à moteur. La priorité, alors, c’est de ne jamais perdre le moteur. Et là, je fais ce parallèle : on est dans une économie de marché. Le moteur d’une économie de marché, c’est le business. On est en pleine tempête et on arrête le moteur… Il y en a qui vont vomir ! Et on n’est pas du tout sûrs d’y arriver. Quel que soit l’angle sous lequel j’appréhende ce qui se passe actuellement, ça ne va pas. On aurait dû penser à refonder le petit commerce, recréer des circuits courts – ça fait 20 ans qu’on gueule sur la grande distribution ! – et laisser circuler les gens avec des laisser-passer, s’il le faut, mais bon… Le « ausweis bitte ! » et le « schnell ! » le soir, ça donne des frissons… 


Vue aérienne du casino Partouche Pleinair de La Ciotat, ouvert en 2017

Vue aérienne du casino Partouche Pleinair de La Ciotat, ouvert en 2017

LE GROUPE PARTOUCHE EN 5 PÉRIODES CLÉS

  • 1973-1990 Création par Isidore Partouche. Premier casino, à Saint-Amand-les-Eaux. Acquisition d’établissements dans le nord de la France.
  • 1991-1995 Implantation progressive des machines à sous dans les établissements et ouvertures successives. Entrée en Bourse.
  • 1995-2005 Diversification dans l’hôtellerie et déploiement à l’étranger. Ouverture du Pasino d’Aix-en-Provence (2001) mixant jeux, spectacles, restauration et événementiel. Acquisition de 27 casinos entre 2002 et 2005.
  • 2006-2013 Création de Partouche Interactive. Le groupe devient un acteur majeur du poker (2009), mais devra y renoncer et se recentrer sur ses activités historiques.
  • Depuis 2015 Tournant critique, puis retour à une bonne dynamique… jusqu’à la crise du Covid. Ouverture, en novembre 2020, d’un e-casino en Suisse.

Venons-en à votre clientèle. Quel est le profil sociologique du joueur de casino contemporain ? 

Tout d’abord, l’été 2020 – lorsque nous avons pu rouvrir – a été florissant pour le groupe, on a connu des pics de fréquentation de 8 à 10 % et il y a eu un mouvement intéressant : les Français sont restés dans l’Hexagone et, voulant rompre avec leurs habitudes, ils sont venus chez nous, dans un rayon de 30 à 50 km de chez eux. On a donc accueilli une nouvelle clientèle. De manière plus générale, il n’y a pas, contrairement à ce qu’on pense, une majorité de CSP+ parmi nos clients, la moyenne d’âge doit se situer autour de 25-26 ans. À certaines heures, on retrouve surtout des CSP+, c’est vrai, tandis que le matin, c’est plutôt le troisième âge… On n’a pas de profil sociologique défini, comme les supermarchés, en fait. Tout le monde va faire ses courses. Sauf que chez nous, si on est mineur ou interdit de jeux, on ne peut pas.

Vous considérez-vous comme un acteur majeur du divertissement ? 

Il y a eu de grandes mutations dans le domaine du divertissement, celui qui commence après 21 heures. Longtemps, les boîtes de nuit, comme prolongement des bars, ont été le pivot du lien social nocturne. Les casinos sont venus se greffer. Puis il y a eu les machines à sous, le casino s’est converti en loisir « 24 heures sur 24 » parce que le principe de rentabilité des machines est lié à leur temps de fonctionnement, l’ouverture se fait dès 10 heures du matin. On a donc modifié la structure du divertissement en scindant la partie purement casino et la partie discothèque et spectacles, dans le but de faire venir du monde, pour que ça rejaillisse sur les machines à sous. Ce n’est plus notre stratégie. Aujourd’hui, les grands centres de divertissement, c’est 3 000 personnes pour une boîte de nuit, 12 000 à 15 000 pour une salle comme Bercy [AccorHotels Arena, NDLR]… On ne fait plus le poids, c’est pour ça que je prône un retour au cœur de notre métier : le jeu et son exploitation sous toutes ses formes. Ce qui me semble essentiel, c’est l’expérience client. Nous devons leur fournir la meilleure possible. Comme au casino en plein air de La Ciotat ou dans notre nouvel établissement d’Aix-en-Provence, où l’on a fait appel à une entreprise canadienne qui fait des illuminations vidéo, des murs tactiles, etc. L’essence de notre métier, c’est d’occuper les gens qui s’emmerdent. Or, en termes d’outils et de proposition, aujourd’hui, on est au maximum de ce qu’on peut faire. 

« L’essence de notre métier, c’est d’occuper les gens qui s’emmerdent. Or en termes d’outils et de proposition, aujourd’hui, on est au maximum de ce qu’on peut faire »

Quelle est la contribution du groupe Partouche – et d’autres aussi, probablement – au fonctionnement des collectivités locales ? 

Dans certaines villes, on représente 30 à 40 % du budget. On est le premier employeur. Je crois même qu’à Forges-les-Eaux, 60 % du budget de la ville sont constitués par la redevance du casino. 

Et cela signifie plus de deux milliards dans les caisses de l’État. Mais il n’y a pas un élu, sauf exception, pour prendre le dossier à bras-le-corps, considérant les casinos comme un outil du tourisme qui génère 15 000 emplois directs, des milliards dans les caisses et ne fait pas de bruit. Quand je discute avec un maire, j’ai l’impression que les 15 % qu’il nous prélève, c’est son oxygène. Mais dès que j’ai signé, si je pouvais fermer et continuer à casquer, ce serait la meilleure nouvelle de l’année. 

Je suis né là-dedans, ça fait 45 ans que je fais du casino, on est allés en Bourse, on a ouvert nos livres de comptes. J’ai fait un nombre incalculable de gardes à vue. Et malgré tout, on continue à nous prendre pour des voyous, des voleurs de poules… alors que les ministres, secrétaires d’État et autres directeurs de cabinet nous connaissent bien et que nous sommes présents dans plus de 200 communes ! En plus, là où on est implantés, nous sommes souvent le principal centre d’activités et de sorties. Venez au mois de novembre, en semaine, à 2 heures du matin, nous sommes les seuls ouverts ! Il n’y a pas un jour de fermeture et bien souvent, nous recevons du public de 10 heures du matin à 4-5 heures le lendemain. On est un outil de lien social. 

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« Dans certaines villes, on représente 30 à 40% du budget (…). Ce qui signifie plus de deux milliards dans les caisses de l’État»

Partie de black jack au Pasino d’Aix-en-Provence, un complexe qui mêle jeux, spectacles et restauration.

Parlez-nous de la digitalisation du secteur. Il me semble que vous en avez été l’un des pionniers…

Oui, et ça m’a coûté cher ! Je vous fais un bref rappel : je vais voir le ministère de l’Intérieur pour du jeu en ligne, en 1999, parce que moi, à ce moment-là, je joue sur un site de poker hébergé aux Bahamas. Et je leur dis : « S’ils font du poker, demain, ils vont faire du casino. On ne pourra pas lutter. Donc j’aimerais bâtir avec vous une offre française. » Pendant quatre ans, j’ai écumé les cabinets, on m’a fait faire des rapports et tout a été enterré. J’ai pris un coup de sang et en un an, j’avais trois licences de jeu en ligne opérationnelles. Et là, ils n’ont pas supporté, alors que des milliers d’opérateurs faisaient du jeu en ligne illégalement ! J’ai pris deux ans de prison, ça a été cassé en appel… Ça forge un caractère. Aujourd’hui, j’ai un site de casino en ligne (Pasino.ch) en Suisse, qui tourne bien. On devrait pouvoir sans trop de problèmes faire migrer l’offre en France quand ce sera légal. Parce qu’aujourd’hui, on a du pari sportif en ligne, on a les jeux de la FDJ en ligne, mais on ne peut pas voir les machines à sous et les tables, parce que ça vient frapper de plein fouet les intérêts de la Française des Jeux… qui passe son temps à faire des jeux comme nos machines à sous. 

Pour conclure, on ne peut que saluer votre franc-parler…

À la différence de beaucoup d’autres opérateurs de jeux, moi, personne ne peut me mettre dehors. Voilà pourquoi si j’ai envie de dire « merde », je dis « merde » ! Mais tout le monde n’a pas cette liberté… Ma philosophie, c’est que je serai le dernier à couler. Je suis le flipper dans le bar. On ferme, on m’éteint. On ouvre, on me rallume. Je suis d’une extrême résilience et d’une extrême réactivité. 

Cet entretien a été initialement publié dans le numéro 21 d’Emile, paru en avril 2021.



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