Véronique Anatole-Touzet : "Il faut savoir gérer la tempête sans trembler"

Véronique Anatole-Touzet : "Il faut savoir gérer la tempête sans trembler"

[En partenariat avec le CHU de Rennes]

Avec franc-parler et bienveillance, Véronique Anatole-Touzet (promo 81), directrice générale du CHU de Rennes, raconte son métier dans un contexte particulièrement mouvementé pour les hôpitaux. 

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En tant que DG du CHU de Rennes, quel est votre souvenir le plus fort de ces 12 derniers mois ?

Difficile de n’en avoir qu'un. Je pense d’abord à nos premières cellules de crise mises en place dès fin février 2020. Il y avait là une ambiance très concentrée et professionnelle mais aussi très inquiète à mesure que le nombre de cas, de patients et de décès augmentait. Bien qu’on soit formé à l’exercice de plan blanc, de gestion de crise et de préparation à la prise en charge de blessés en nombre, nous n’avions jamais été confrontés à une telle situation. Surtout, nous ne connaissions pas le virus. Il fallait être très réactif, réorganiser le CHU, parfois en 24h, transformer des unités chirurgie en unités de médecine, des salles de surveillance post-interventionnelles dans les blocs opératoires en lits de réanimation… Cela a créé une solidarité renforcée entre les médecins, les soignants, l’équipe de direction et moi-même, qui perdure encore aujourd’hui.

Je n’oublierai pas non plus, ma visite, à la fin de la première vague, dans les services de réanimation et de médecine polyvalente où nous avions le plus de cas Covid. J’ai été frappée par l’investissement exceptionnel des soignants. Malgré leurs inquiétudes, tous sont restés mobilisés sans compter leurs heures et toujours en soutien des patients et de leur famille. Cela a été des moments forts d’émotion et de partage mais aussi de fierté collective.  

Cette crise sanitaire aura-t-elle un impact sur le long terme dans l’hôpital de demain ? 

Cette crise a accéléré des décisions de soutien à l’hôpital avec le Ségur de la santé, signé en juillet dernier, qui a permis de revaloriser les métiers avec des augmentations de rémunération pour les personnels soignants et l’ensemble des professionnels de santé hospitaliers. Un plan de relance massif de 19 milliards d'euros est prévu pour des investissements à la fois mobiliers et immobiliers. Il y a eu une prise de conscience sur le fait que l’hôpital est un élément majeur du socle républicain et qu’il avait trop souffert ces dernières années de restrictions budgétaires importantes. La crise a aussi révélé une reconnaissance forte de la population envers les professionnels de santé.

Les applaudissements, la prise de parole des soignants et des scientifiques dans les médias ont mis en exergue le rôle fondamental de la médecine française au service de la population mais aussi de l’État, puisque ce sont les scientifiques qui conseillent le gouvernement et les hôpitaux localement. Au niveau de la conception architecturale de nos bâtiments aussi, la crise aura des impacts en profondeur, notamment sur les choix de leur restructuration. Par exemple au CHU, nos blocs opératoires sont dispersés. Il s’est avéré indispensable qu’ils soient regroupés, comme nous l’avons prévu dans le projet du nouveau CHU. La crise a conforté nos décisions vers des unités modulaires qui peuvent se reconvertir rapidement. L’hôpital de demain ira donc vers des architectures et des organisations très souples et adaptables qui puissent aussi être en capacité de faire face à des pandémies. 

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LE CHU DE RENNES EN BREF :

  • 9447 professionnels de santé

  • 1899 lits et places

  • 61 services

Pourquoi avoir fait ce choix d’une carrière de directrice d’hôpital ? 

C’est d’abord le sens de ce métier. La très grande satisfaction de travailler à l’hôpital, qu’on soit infirmier, médecin ou directeur, c’est d’être au service des autres. Je suis très attachée au service public. L’hôpital public est un pilier du pacte républicain et, en tant que personne et citoyenne, c’est important pour moi. Le métier est aussi profondément humain, avec une utilité sociale considérable, mais aussi une large autonomie de décision et une grande exigence. Un directeur d’hôpital, c’est un peu comme un « chef d’entreprise publique », même si l’hôpital n’est pas une entreprise. On concilie la grande variété de son management à l’utilité sociale. Sans parler de la diversité des acteurs, qu’il s’agisse de nos professionnels comme de nos partenaires (scientifiques, universités, organismes de recherches, industriels, acteurs économiques, collectivités locales, etc.), qui rend ce métier particulièrement riche. 

Parmi les CHU/CHR, un tiers des chefs d’établissement sont des femmes. Une bonne nouvelle ? 

S’il y a beaucoup de femmes dans la profession, peu sont à des postes à responsabilités. Il reste encore un plafond de verre bien qu’il y ait, depuis une dizaine d’années, la volonté de promouvoir les femmes. Il y a eu des résultats heureusement. Lorsque j’ai pris mes fonctions de chef d’établissement, il y a 20 ans, nous étions deux femmes sur les 32 établissements CHU/CHR. Aujourd’hui, nous sommes un tiers.
Au niveau national, sur l’ensemble des directeurs d’hôpitaux, 20 % sont des femmes. Il y a encore des progrès à faire même si la parité ne doit pas être un objectif en soi. Ce qui compte avant tout ce sont les compétences et la capacité à diriger. 

Parlez-nous justement des compétences attendues pour exercer vos fonctions ?

Avant tout, il faut savoir écouter les professionnels et objectiver les différents éléments avant de prendre des décisions. Il faut de la diplomatie, de la détermination, de l’engagement, une disponibilité H24. Il faut aussi aimer prendre des décisions lourdes de conséquences, car elles concernent des patients, et ne pas trembler en périodes de crises. Le sang-froid est primordial. C’est un métier passionnant mais très exigeant. À tout point de vue, physique, psychologique, dans la complexité de l’exercice de décision qui englobe autant de contraintes réglementaires et budgétaires que de difficultés humaines. 

« L’hôpital de demain ira vers des architectures et des organisations très souples et adaptables, qui puissent être en capacité de faire face à des pandémies »

En quoi la formation de Sciences Po vous a-t-elle préparée au concours de l’EHESP

La formation permet une polyvalence qui ouvre de nombreuses portes comme ce fut le cas pour moi avec l'EHESP (École des Hautes Études en Santé Publique). Il y a d’ailleurs de nombreux diplômés de Sciences Po qui s’orientent vers ce concours. Ce que je ne peux qu’encourager, tant le métier est enrichissant. Non seulement il conduit à des satisfactions professionnelles et humaines très concrètes – mettre en œuvre des politiques de santé publique, développer des projets, reconstruire des hôpitaux comme je l’ai fait tout au long de ma carrière – mais il permet aussi une très forte diversité sur le plan managérial. Il faut des compétences en ressources humaines, en stratégie, finance, logistique, dans l’investissement, les partenariats scientifiques avec de grands organismes académiques, des industriels ou de grands acteurs économiques… 

Comment intégrez-vous les nouvelles générations dans les défis de la santé ? 

Je suis très admirative des jeunes qui ont un sens aigu de leur mission et en même temps plus d’exigences vis-à-vis du management. Ils demandent à être davantage écoutés, plus associés aux décisions et ont besoin d’une grande autonomie. Ils aspirent aussi à une meilleure qualité de vie au travail et à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. On a parfois des chocs de générations face à ces nouvelles aspirations mais les choses ont beaucoup évolué et c’est en ce sens qu’il est important de former les responsables, y compris médicaux, au management. À Rennes, nous avons beaucoup investi dans la transition numérique, dans la qualité de vie au travail et dans l’accompagnement des jeunes générations dans tous les métiers. C’est aussi une façon de les fidéliser, même si le CHU de Rennes et sa région sont très attractifs !  


Les 5 défis du CHU

  • Gestion de la crise : Covid et mise en place du Ségur de la santé.
  • #NouveauCHURennes : Lancement de la phase 1 du projet de reconstruction immobilière du CHU, avec l’ouverture du centre chirurgical interventionnel regroupant tous les blocs opératoires, le nouvel hôpital Femme Mère Enfant et l’Institut régional de cancérologie.
  • Certification par la Haute Autorité de Santé : Audit externe évaluant le niveau de qualité des soins du CHU et qui déterminera son classement.
  • Innovation et recherche : Poursuite des grands axes de recherches à savoir les technologies en santé, la santé publique, la cancérologie, le Big Data en sciences médicales – le CHU est à l’origine du premier entrepôt de données de santé européen –, l’intelligence artificielle, la génomique, l’exposome, etc.
  • Cybersécurité : Après l’obtention de la certification pour être hébergeur des données de santé, le CHU continue sa sensibilisation renforcée aux enjeux de la cybersécurité.

Publi-reportage initialement publié dans la rubrique “Trajectoires” du numéro 21 d’Émile, paru en avril 2021.


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