Football : la culture club

Football : la culture club

Pour beaucoup d’Européens, la nostalgie de l’enfance comprend la fidélité à un club de football. Le journaliste sportif Thibaud Leplat insiste sur l’importance de la transmission dans les familles de supporters.

Par Thomas Arrivé

Football : la « culture club »

Pour beaucoup d’Européens, la nostalgie de l’enfance comprend la fidélité à un club de football. Le journaliste sportif Thibaud Leplat insiste sur l’importance de la transmission dans les familles de supporters.

Les raisons qui poussent la plupart des amateurs de football à soutenir tel ou tel club s’enracinent dans la famille, l’enfance, la tradition. « C’est du domaine de la foi », explique Thibaud Leplat, journaliste sportif. « Un club ne se choisit pas : il se transmet. Alors qu’on observe un déclin du catholicisme et du communisme, alors que les grands récits transcendants nationaux ont disparu, c’est une des rares croyances à survivre. Nick Hornby a écrit un roman sur Arsenal, traduit en français sous le titre Carton jaune, qui décrit la vie d’un supporter, inspirée en partie de la sienne. Un club, c’est toujours un récit, un langage, une mémoire. L’AS Saint-Étienne a été l’un des premiers à se doter d’un musée, dans lequel on peut voir les poteaux carrés qui lui ont valu sa défaite en coupe d’Europe. Dans le football, je ne dirais pas que la nostalgie est la règle, mais il y a toujours une affaire de transmission. Un vieil adage prétend qu’on peut changer de parti, de conjoint, de pays, mais pas de club. »

Supporter une équipe relève de « l’être-au-monde »

La géographie est le critère de base : on est supporter en fonction de la ville où l’on habite ou bien de celle où l’on a grandi. Mais que se passe-t-il quand elle comprend plusieurs clubs ? « La question se pose avec Madrid, Séville, Rome, Londres, entre autres, énumère Thibaud Leplat. La transmission fonctionne par famille, d’une génération à la suivante. Mais on peut changer de club justement pour se démarquer de ses parents. Supporter une équipe relève toujours de l’être-au-monde. La dimension sociale a pu jouer aussi. Longtemps, la tradition faisait du Real Madrid un club aristo, tandis que l’Atlético était le club ouvrier. Cette tradition est largement brouillée aujourd’hui : le roi soutient l’Atlético et j’ai vu des immigrés sénégalais ou pakistanais soutenir le Real justement parce qu’ils se projetaient à travers lui dans un idéal de réussite sociale. On doit faire une lecture fine de ces appartenances. »

Malgré la force de la transmission, tout n’est pas immuable dans le football. En avril dernier, Les Dossiers de l’After Foot titraient « Le foot, c’était mieux avant » Avant quoi, au juste ? « Nous nous sommes intéressés à l’arrêt Bosman, explique Thibaud Leplat. Cette décision de justice, rendue le 15 décembre 1995, a mis fin au quota de joueurs étrangers dans les clubs européens. Cette possibilité a tout changé : avec la libéralisation du marché des transferts, l’écart s’est creusé entre les grands clubs, qui pouvaient désormais recruter les meilleurs talents, et les petits, qui ont eu du mal à survivre. »

Quel est le bilan, 30 ans après ? Du côté des aspects positifs, Thibaud Leplat est obligé de reconnaître la hausse du niveau de jeu, la meilleure qualité technique sur le terrain, ainsi que les meilleures conditions d’accueil dans les stades. Point négatif, en revanche : l’attachement aux clubs a diminué, le public est devenu plus volatile, à l’image des carrières des footballeurs. « Pour le public, désormais, la popularité des joueurs compte autant, si ce n’est plus, que la fidélité aux clubs. On s’est moqués des Asiatiques qui se prenaient de passion pour David Beckham, dans les années 2000, après les tournées des clubs européens sur leur continent. Mais à partir des années 2010, c’est devenu la règle. Le Real Madrid a 176 millions de followers sur Instagram ; Kylian Mbappé, à lui tout seul, en a 124 millions. Le rapport de force s’équilibre. En partant des réseaux sociaux ou des jeux vidéo, les jeunes générations s’identifient autrement aux équipes. Être supporter est peut-être moins qu’avant une question de tradition, une culture entretenue à chaque génération. »

Cet article a initialement été publié dans le numéro 33 d’Émile, paru à l’été 2025.


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