Céline Bentz : « Le plus grand obstacle, c’est de concilier un métier et le mandat électif »
À un an des élections municipales, rencontre avec Céline Bentz (promo 18), élue à Sarrebourg (Moselle) et conseillère chargée des élus locaux et de la coordination de France Ruralités.
Propos recueillis par Alessandra Martinez et Liséane Sabiani
Vous avez un parcours riche, entre littérature, politique et engagement public. Qu’est-ce qui vous a motivée à vous investir dans ces domaines ?
J’ai toujours été attirée par la politique. Je rêvais de suivre les pas de mon grand-père, adjoint au maire. Ma famille a d’ailleurs retrouvé une vidéo de moi à 4 ans dans laquelle j’explique que c’est mon objectif de faire comme lui quand je serai grande. Je me suis impliquée tôt dans la vie scolaire, en me présentant à l’élection des délégués de classe dès la sixième. J’ai ensuite intégré Sciences Po, en bi-cursus Lettres et Affaires publiques. Je m’y suis très vite engagée : j’ai été élue étudiante à l’UNI pendant mes cinq années d’études. J’ai vraiment aimé participer à la vie de l’institution.
Après mon diplôme, en 2018, je me suis présentée aux municipales en 2020 sur la liste du maire sortant, à Sarrebourg, en Moselle, avant d’intégrer le cabinet du président de la région Grand Est, Jean Rottner, jusqu’à sa démission. J’ai depuis évolué en cabinets ministériels, notamment celui du Premier ministre Michel Barnier, où j’étais conseillère parlementaire.
“L’un des plus grands défis, c’est de rencontrer tout le monde. Cet enjeu est important : une poignée de voix peut suffire pour être élu maire dans une petite commune, ce qui pose la question de la représentativité.”
En parallèle, j’ai toujours aimé la littérature. Ce sont deux mondes. En 2021, mon premier roman, Oublier les fleurs sauvages (Préludes), traite de la guerre civile au Liban et s’inspire de l’histoire de ma mère. Le prochain, chez l’éditeur en ce moment, traitera de la question des Alsaciens incorporés de force dans la Wehrmacht. Nous travaillons également, avec une dizaine de contributeurs, à la réalisation d’un recueil caritatif pour le Liban à paraître en septembre, dont les bénéfices seront reversés à l’UNICEF Liban.
En tant qu’élue à Sarrebourg, quelles sont vos missions ? Et, plus généralement, quels sont les défis quotidiens dans la fonction d’élu ?
À Sarrebourg, j’ai une délégation à l’emploi et suis élue dans la communauté de communes de Sarrebourg-Moselle Sud. Le taux de chômage y est très faible, notre enjeu se situe donc plutôt du côté des entreprises : il y a des difficultés de recrutement, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et des services à la personne. Nous cherchons à améliorer l’attractivité et à adapter l’offre de formation aux besoins du marché: institut de formation en soins infirmiers, lycée avec filière hôtelière, développement de formations au BTP avec la maison de l’emploi... Je participe également à des initiatives culturelles extra-délégation: nous organisons des conférences avec la bibliothèque de Sarrebourg, ou avec l’association Les Concerts de poche, qui propose des concerts et des ateliers musicaux aux publics éloignés de la culture.
Au-delà de ça, l’un des plus grands défis, c’est de rencontrer tout le monde, y compris les « invisibles », qui ne s’engagent pas dans la vie locale. Aller à leur rencontre, parfois en sonnant directement à leur porte, est essentiel pour être représentatif. Cet enjeu est important : une poignée de voix peut suffire pour être élu maire dans une petite commune, ce qui pose la question de la représentativité.
Le statut de l’élu local est souvent sujet à débat, notamment en termes de reconnaissance et de moyens. Quelles évolutions seraient nécessaires pour mieux accompagner les élus dans leurs missions?
Le plus grand obstacle que je ressens en tant qu’élue, c’est la difficulté à concilier la vie professionnelle et le mandat électif. Bien que des employeurs compréhensifs comme les miens existent, l’équilibre reste complexe. Nous faisons également face au manque de formations pratiques pour les élus, notamment en matière d’urbanisme. Les questions de financement sont aussi cruciales. Beaucoup d’élus se questionnent sur leur capacité à lever l’impôt. La suppression de la taxe d’habitation a réduit les ressources des communes et beaucoup d’élus se sentent dépossédés. Mais au-delà des conditions favorables que l’on peut ou non avoir, il reste selon moi la question de ce que l’on peut faire ou non. Quand on est enseveli sous les piles de normes et la lenteur des procédures, c’est compliqué.
Depuis les dernières élections municipales, en 2020, plus de 1400 maires ont démissionné de leurs fonctions. Vous constatez une crise de vocation?
Oui, surtout en milieu rural. Certains élus, découragés par la charge de travail, la réduction de leur marge de manœuvre et la baisse des ressources, choisissent de démissionner. Cela met en lumière le besoin de repenser les collectivités, de créer des communes nouvelles. Cela permettrait de revoir le nombre de conseillers municipaux et de maires. On ne peut pas vouloir fonctionner à nombre de communes constant tout en manquant d’élus. Une solution qui pourrait être mise en place serait de simplifier les démarches pour se présenter. Aujourd’hui, un citoyen sans expérience politique peine à comprendre comment s’engager. Des formations pour monter une liste et faire campagne seraient utiles.
“Nous avons pris conscience que les élus représentent une cible et peuvent être des catalyseurs de colère.”
Renforcer la parité est un autre levier pour garantir la vitalité démocratique. En mars, le Sénat a d’ailleurs adopté une proposition de loi qui va dans ce sens dans les communes de moins de 1 000 habitants [le texte poursuit sa navette parlementaire, NDLR]. Il y a aussi un ressenti difficile à mesurer : des élus expliquent être l’objet d’un nombre croissant de violences et de menaces. Les maires portent certes davantage plainte, ce qui est positif. Suite à l’agression du maire de Saint-Brevins-les-Pins, nous avons pris conscience que les élus représentent une cible et peuvent être des catalyseurs de colère. Pour y remédier, un plan a été déployé par le gouvernement à la fois pour prévenir les agressions et pour sanctionner davantage leurs auteurs. S’en prendre à un élu, c’est porter atteinte à la République toute entière.
Malgré ces constats, faut-il se décourager ? Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui hésiterait à s’engager?
Je lui conseillerais de ne pas hésiter ! Je ne pense pas qu’un être humain puisse ne pas éprouver de satisfaction au fait de se sentir utile. Après, l’engagement ne se résume pas à la politique partisane, on peut défendre des valeurs en dehors de ces appareils-là. Il peut prendre de nombreuses formes, notamment à travers les associations. Quelles qu’elles soient, c’est une immense source de bonheur !