Le Lion et le Renard : étudiants en scène, arts en dialogue

Le Lion et le Renard : étudiants en scène, arts en dialogue

En 1872, Émile Boutmy crée l’École libre des sciences politiques sur des valeurs de liberté d’expression, d’ouverture d’esprit et de débat. Avec ce nouveau spectacle, Le Lion et le Renard, qui implique 170 personnes, le collectif d’arts vivants des étudiants de Sciences Po se demande si cet esprit fondateur a résisté à l’épreuve du temps.

Par Lisa Dossou et Liséane Sabiani

Témoins du climat de tension qui a animé Sciences Po à la fin de l’année scolaire 2024 et de la manière dont les médias l’ont alimenté, les étudiants  ont voulu redéfinir l’école comme un lieu de liberté, de partage, d’échanges et de débats. Ils ont  commencé à écrire la pièce Le Lion et le renard l’été dernier, avant d’entamer leur deuxième année au collège universitaire.. « Il ne faut pas tomber dans l’idée qu’on ne débat plus à Sciences Po », préviennent les auteurs. Selon eux, la liberté d’expression est un principe fondateur de l’école, et il faut continuer de la faire vivre. « Soyons heureux de pouvoir se confronter, se remettre en question, s’opposer. C’est ça qui enrichit chacune de nos visions du monde. »

Un discours inspiré par la pensée fondatrice d’Émile Boutmy, qui a créé l’École libre des sciences politiques en 1872 pour rassembler les esprits français dans une période troublée. « On a voulu raconter les origines philosophiques de Sciences Po », présentent les étudiants. « On avait envie de faire un spectacle qui traverse plusieurs époques, l’Antiquité, le Moyen Âge, le XIXe, le XXe siècle. Donc on a trouvé des personnages qui portaient dans leur histoire, dans les livres qu’ils ont écrits, les valeurs de liberté d’expression et de débat d’idées. » De Socrate à Simone Veil en passant par Machiavel, à l’origine de la fable du lion et du renard qui donne son logo à l’institution et son nom au spectacle.

« C’est un groupe de potes qui se sont rencontrés et ont voulu faire un truc ensemble. La plupart des responsables de l’année dernière pour Cyrano sont là sur Le Lion et le Renard. C’est un peu une compagnie. »
— Mathieu Pettine

Dans les pas de Cyrano

À la racine du projet, la volonté de mêler les arts : le théâtre, la musique, le chant, mais aussi la couture – une partie des costumes ont été réalisés à la main. L’année dernière, la troupe des étudiants de Sciences Po s’est constituée et a revisité la célèbre pièce Cyrano de Bergerac avec, à la clé, un franc succès. Le documentaire On a monté Cyrano avec 90 étudiants, disponible sur YouTube, raconte les coulisses de cette première création. L’expérience a soudé la troupe. « C’est un groupe de potes qui se sont rencontrés et ont voulu faire un truc ensemble. La plupart des responsables de l’année dernière pour Cyrano sont là sur Le Lion et le renard. C’est un peu une compagnie. » Et la compagnie s’est agrandie : 170 étudiants sont impliqués pour mener à bien la pièce.

Un orchestre d’une quarantaine de musiciens et un choeur de 80 personnes ont appris des oeuvres comme Lacrimosa, de Mozart, ou Carmina Burana, de Carl Orff.

© Martin Omnes

Cette année, plus encore que Cyrano, Le Lion et le Renard mêle théâtre, danse, couture, musique et chant. Élise Crambes est cheffe d’orchestre et de chœur sur le projet. « La musique joue un rôle vraiment important parce qu’on a un orchestre d’une quarantaine de personnes, un chœur d’à peu près 80 personnes. » Sur deux heures de spectacle, environ 40 minutes seront dédiées à la musique. De quoi rendre honneur au travail accompli par les musiciens et choristes pour maîtriser des œuvres très techniques comme le Lacrimosa de Mozart ou Carmina Burana, de Carl Orff. Un véritable « projet dans le projet », comme le dit Rose, responsable de la logistique musique , puisque le « casting » des musiciens était ouvert à tous. Les plus aguerris forment les novices au fil des répétitions. Elle-même est chanteuse à l’Orchestre de Paris et suit une formation en chant lyrique.

Ce spectacle s’inscrit dans une ambition de démocratisation culturelle. Les étudiants qui portent le projet ont très vite exprimé leur volonté de ne laisser personne de côté. S’ils ont dû auditionner les comédiens (50 auditions, 25 sélections), les musiciens et les danseurs pour sélectionner l’effectif nécessaire, ils ont aussi recruté un maximum de volontaires, sans prendre en compte leur niveau. « On choisit des personnes qui ont une forte envie de se lancer. »

175 costumes pour habiller la troupe 

L’équipe a donc entrepris un grand travail de formation des participants, notamment des choristes. « C’est une entreprise qui demande beaucoup de courage et un travail assidu, témoigne Élise. Je prends l’orchestre et le chœur une heure et demie par semaine chacun. Il y a aussi les cours de chant individuels. On est une équipe de six ou sept profs de chant pour se répartir les choristes. » En parallèle, les dix danseuses répètent au moins deux heures par semaine avec Ange Manon Tang, créatrice des chorégraphies, tandis que les comédiens se retrouvent quatre heures par semaine avec les metteurs en scène Emie Danan, Ana Maria Codescu et Mathieu Pettine, sans compter les week-end de répétitions, une semaine sur deux. Iris Mogenier, Clarisse Molinié et Victoire Clément, responsables du pôle costumes ainsi qu’une quinzaine de costumiers et accessoiristes  doivent quant à eux préparer les 150 costumes qui composent le spectacle.

Engager 170 étudiants aux parcours et agendas variés à suivre une formation qui requiert du temps, de la rigueur et de la passion est une épreuve au quotidien pour les responsables de chaque pôle. « Maintenir la motivation chez tous, c’est le plus gros défi, reconnaît Mathieu, responsable du projet. Il ne faut pas oublier que tout le monde fait ça en parallèle d’une année d’études assez intense. Parfois, certaines personnes s’en vont parce que c’est difficile de sentir qu’on va vraiment faire le spectacle alors qu’on en est encore loin. »

Bientôt, tous les pôles (théâtre, orchestre, chœur, danse, costumes) seront réunis et la pièce prendra sa forme définitive. En attendant, chacun s’affaire à lui donner un sens et travaille sans relâche pour que la magie opère. « J’ai appris qu’on était l’asso qui réservait le plus de salles à Sciences Po. On a plus d’une centaine d’heures au semestre », annonce Mathieu pour illustrer l’ampleur du travail.

En tout, le budget avoisine les 30 000 euros. L’équipe a donc multiplié les demandes de bourses et compte sur les donations.

Parce que c’est un projet étudiant, la question du financement du spectacle s’est posée. Les principaux postes de dépenses concernent le matériel nécessaire à la confection des costumes et des décors, la communication et la location de salles de répétition et de spectacle. En tout, le budget avoisine les 30 000 euros. L’équipe a donc multiplié les demandes de bourses : Crous de Paris, ville de Paris, vie étudiante. « À Sciences Po, nous avons la chance d’avoir des personnes consacrées à la vie des associations qui viennent à notre rencontre pour discuter du projet, s’y intéressent et nous aident dans certaines démarches », souligne Mathieu. En parallèle, Elyes Le Menach, responsable des financements de la troupe a également initié une recherche de mécénat et compte sur les donations lors des représentations. « Si on réussit à couvrir les frais de cette pièce, l’idée est aussi de pouvoir financer les prochains projets. Parce que c’est une association qui a pour but de vivre. » Avant de passer le flambeau et de partir effectuer leur troisième année à l’étranger, les étudiants imaginent déjà le résultat. « On joue à 20h45, de nuit, dans l’amphithéâtre Gribeauval, qui est la cour de Saint-Thomas. Le public est assis dans les marches. Nous jouons sur une scène créée pour l’occasion mettre des lumières, sonoriser les comédiens et musiciens ettransformer le lieu en salle de spectacle. » Ça tombe bien, il paraît que Machiavel adorait le mot « spectaculaire ».



Eberhard Kienle : Après la chute d’Asad, quel avenir politique pour la Syrie ?

Eberhard Kienle : Après la chute d’Asad, quel avenir politique pour la Syrie ?

110 ans après le génocide arménien : la mémoire face au déni

110 ans après le génocide arménien : la mémoire face au déni