Julie Narbey : « Malgré la fermeture, le Centre Pompidou continue de rayonner »

Julie Narbey : « Malgré la fermeture, le Centre Pompidou continue de rayonner »

Le bâtiment principal du Centre Pompidou fermera pour cinq ans de travaux à partir de l’été. D’ici là, un programme foisonnant perdure, que détaille Julie Narbey (promo 01), directrice des lieux.

Propos recueillis par Bernard El Ghoul (promo 99) et Thomas Arrivé

Quelle est la nature des travaux qui attendent le Centre Pompidou pour cinq ans ?

Il s’agit tout d’abord d’une rénovation d’ordre technique, qui va concerner la sécurité incendie, la climatisation, l’électricité, les façades et une opération de désamiantage. La dimension écoresponsable de ces travaux est au cœur de nos préoccupations, avec notamment un changement des façades qui réduira de moitié notre consommation énergétique. Nous en profitons ensuite pour repenser le projet culturel. Une agora dédiée à la création contemporaine sous la piazza, connectée aux salles de spectacle et de cinéma, va profiter de l’espace laissé libre par un ancien parking. La bibliothèque (BPI) sera quant à elle intégralement rénovée. Nous allons également revoir la scénographie des collections permanentes pour optimiser leur fréquentation et déployer un pôle jeune génération au niveau du forum. Les boutiques et le restaurant seront mieux connectés à la ville. Et enfin, pour la première fois, nous ouvrirons au public notre toit-terrasse au septième étage.

Comment allez-vous faire vivre les collections pendant ce temps ?

Cette fermeture ne signifie pas l’arrêt des activités du centre, loin de là. À Paris, nous développerons notre dialogue avec les autres musées. En particulier, nous coproduirons quatre expositions par an au Grand Palais. En Île-de-France, nous aurons fini la construction, dès la fin de l’année prochaine, du Centre Pompidou Francilien à Massy, un espace de 30 000 m2 pour la conservation des œuvres, dont 3 000 m2 ouverts au public.

Notre modèle économique porté par le développement international et un maintien de la subvention de fonctionnement nous permet de nous maintenir à flot pendant les cinq ans de travaux.
— Julie Barbey

En France, nous continuons nos collaborations, en premier lieu avec le Centre Pompidou-Metz, bien sûr, mais aussi avec nos partenaires comme le Tripostal de Lille, avec Monaco, et prochainement Lyon et Bordeaux. Enfin, à l’international, nous avons depuis 10 ans un Centre Pompidou à Málaga, en Espagne, un autre depuis cinq ans à Shanghai, puis bientôt à Bruxelles et Séoul, sans parler de projets au Brésil et en Arabie saoudite. Le Centre Pompidou sera bien vivant.

Comment prévoyez-vous de compenser les pertes d’exploitation liées à la fermeture pendant cinq ans ?

Notre présence internationale, que je viens de décrire, rapportait trois millions d’euros à mon arrivée en 2017 ; elle atteindra 25 millions l’an prochain. Chaque année, quelque 6 000 prêts et dépôts sont consentis en France et dans le monde entier. Notre modèle économique porté par le développement international et un maintien de la subvention de fonctionnement, malgré la baisse des recettes d’exploitation liée à la fermeture, nous permet de nous maintenir à flot pendant les cinq ans de travaux.

Les musées sont devenus des lieux politiques où s’expriment les grands enjeux sociétaux, mais aussi des instruments de soft power partout dans le monde. Est-ce le cas pour le Centre Pompidou ?

C’est devenu le cas de presque toutes les institutions culturelles. Pour le Centre Pompidou, c’était vrai dès sa création, en 1977. Sa vocation est d’être un lieu de débat entre artistes de différentes générations, ainsi qu’entre les artistes et la société. Il est au cœur des enjeux contemporains, et véhicule par là même des contenus et des messages qui sont le reflet de notre époque. Et en effet, notre activité internationale revêt une dimension diplomatique. Pour implanter la marque à l’étranger, nous travaillons étroitement avec le ministère des Affaires étrangères. Nous avons choisi d’établir des partenariats de cinq ans, maximum 10, de façon à rester agiles. Et chaque renouvellement de partenariat témoigne d’une envie sincère de continuer à travailler ensemble.

Comment appréhendez-vous l’émergence de musées privés qui disposent de moyens considérables, à l’image de la Fondation Louis Vuitton et de la Pinault Collection ? S’agit-il d’une forme de concurrence nationale ?

À Paris, l’offre culturelle est devenue considérable. L’art contemporain s’expose dans des musées, des fondations privées, dans les grands magasins, dans la rue, et les galeries se sont multipliées. C’est certainement une bonne chose pour les artistes. Pour nous, c’est devenu une réelle forme de concurrence. Lorsque le Centre Pompidou a été créé, il y a 45 ans, c’était le seul musée où l’on pouvait voir de l’art contemporain !

La dimension éducative est une composante intégrante des partenariats noués à l’international.
— Julie Narbey

À l’heure où nous allons lancer une grande campagne de levée de fonds, cette concurrence nous pousse à penser le projet du Centre Pompidou 2030 avec beaucoup d’ambition. Que doit être une institution culturelle publique dans ce nouveau paysage en 2030 ? C’est un sujet passionnant et le centre a de nombreux atouts pour se transformer tout en restant fidèle à son ADN.

De nouveaux espaces vont être consacrés au jeune public. Est-ce un défi pour le musée d’attirer celui-ci et qu’en est-il de la vocation éducative du centre ?

Là encore, c’est le premier musée à avoir eu dès sa création un espace dédié aux enfants. La tradition se perpétue. Une programmation leur est dédiée à la Galerie des enfants, dans les différents ateliers jeune public. Nous venons de développer en outre, à Clermont-Ferrand, un espace consacré aux 0-6 ans. Il y en aura bientôt un autre à Montpellier. Nous avons été pionniers également sur le public adolescent. Le Studio 13/16 leur est consacré. Si les ados sont sur les plateformes et les réseaux, l’enjeu est de réussir à les attirer au Centre Pompidou ! Le MUMO, le musée mobile, va à la rencontre des publics dans les zones rurales ou les banlieues. Et la dimension éducative est une composante intégrante des partenariats noués à l’international, au même titre que la programmation et la conservation.

Comment le Centre Pompidou réussit-il à conserver l’exigence scientifique et la demande du public de faire d’une visite une expérience globale, voire un divertissement ?

Le public a effectivement des attentes qu’il faut savoir écouter sous peine de se retrouver avec un musée vide ou seulement réservé à une élite, ce qui n’est pas notre volonté. Nous nous interrogeons sur ces sujets, avec les conservateurs. Le numérique est au cœur de cette préoccupation, avec par exemple la visite en réalité virtuelle de l’atelier de Brancusi, que nous sommes en train de construire. Au-delà, nous réfléchissons à utiliser l’intelligence artificielle pour répondre à certaines questions des visiteurs. Ce ne sont que quelques exemples.

Julie Narbey, directrice du Centre Pompidou (c) Didier Plowy

À titre personnel, vous avez travaillé auparavant au Palais de Tokyo. Pourriez-vous diriger un musée qui expose des peintures figuratives anciennes ou pensez-vous que, définitivement, l’art contemporain est un métier à part ?

Mon métier est d’être une manager. Mon quotidien est de rendre possible les projets, de veiller à l’équilibre du modèle économique, de chercher de l’argent, d’accompagner les transformations RH, de mener le dialogue social dans une institution qui est une entreprise publique, mais je pourrais certainement faire le même métier dans le privé. Quel plaisir cependant d’exercer ses fonctions dans un si bel environnement que le Centre Pompidou ! J’ai une passion pour la création contemporaine : les arts plastiques, mais aussi le cinéma, le théâtre, toutes les formes d’expression.

Le Centre Pompidou présente en ce moment les œuvres de Suzanne Valadon. Que diriez-vous à nos lecteurs pour leur donner envie de venir voir l’exposition ?

C’est une femme exceptionnelle, inclassable, devenue peintre après avoir été modèle. La grande exposition que le Centre Pompidou lui consacre rend justice à un talent qui, comme chez beaucoup d’artistes féminines, n’a pas eu forcément la place qui lui revenait. Elle a été l’une des premières à représenter des nus masculins réalistes. L’exposition compte plus de 200 peintures et dessins. Et puisque le bâtiment ferme juste après, c’est une occasion pour le public de venir une dernière fois nous rendre visite, avant la réouverture dans cinq ans.


Un centre d’art foisonnant

Inauguré en janvier 1977, le Centre Pompidou dispose d’une collection d’art moderne et contemporain de plus de 140 000 œuvres, la plus riche d’Europe, la deuxième au monde : Brancusi, Chagall, Robert et Sonia Delaunay, Dubuffet, Frida Kahlo, Kandinsky, Matisse, Miró, Niki de Saint-Phalle et tant d’autres. Le musée ne se limite pas à la peinture : photographie, sculpture, design, architecture, films expérimentaux et vidéos sont aussi de la partie. Une politique d’acquisitions, soutenue notamment par de généreuses donations, se poursuit en même temps qu’une ouverture sur le monde. Le Centre Pompidou accueille trois millions de visiteurs par an. Il comporte un cinéma ainsi que deux salles présentant du spectacle vivant. Danse, concerts, performances, théâtre donnent à voir la création contemporaine dans toute sa diversité. Un forum, enfin, est dédié aux conférences et débats.

Eberhard Kienle : Après la chute d’Asad, quel avenir politique pour la Syrie ?

Eberhard Kienle : Après la chute d’Asad, quel avenir politique pour la Syrie ?