Pour redécouvrir la Terre

Pour redécouvrir la Terre

Pour clore le magazine, Émile laisse carte blanche à un dirigeant ou une dirigeante de presse. Emmanuelle Andreani (promo 04), rédactrice en chef adjointe du magazine Society, se demande si les nouveaux objectifs spatiaux des États-Unis ne renient pas les idéaux d’origine d’exploration de l’espace.

Par Emmanuelle Andreani (promo 04)

Emmanuelle Andreani (promo 04), rédactrice en chef adjointe du magazine Society (Crédit : Wikipédia)

C’est peu de le dire, la politique du bruit et de la fureur imposée par Donald Trump depuis janvier devient chaque jour plus difficile à suivre. Une seule constante depuis son entrée fracassante en politique, il y a maintenant une dizaine d’années : il s’agirait de rendre à l’Amérique sa « grandeur » perdue. À ce titre, la conquête spatiale offre un terrain on ne peut plus symbolique – aucun président américain depuis Nixon n’en avait fait une telle priorité. En 2019, Trump 1 avait relancé le projet de retour sur la Lune via le programme Artemis. Cette fois, il est question d’aller encore plus loin, encore plus vite, et de « planter la bannière étoilée sur Mars » avant la fin de son mandat. Une vision inspirée par les projets martiens d’Elon Musk, son proche conseiller, qui a toujours vu la Lune comme une simple « distraction ». Ce spectaculaire revirement n’est pas allé sans soulever une multitude d’interrogations – quid, alors, de la Lune, où il était question d’installer une base afin de pouvoir, un jour, alimenter d’éventuelles missions sur la planète rouge ? Les États-Unis vont-ils se laisser dépasser par la Chine, qui prévoit d’y envoyer un de ses ressortissants avant 2030 ? Aller directement sur Mars, d’ici 2028, est-il seulement possible ? Et à quel coût ?

Il serait dommageable en effet que ce regain spectaculaire de patriotisme spatial se fasse au détriment d’autres programmes, dédiés non pas à la conquête de l’espace, mais à son exploration. En la matière, l’incroyable télescope James Webb, lancé le soir de Noël 2021 à l’issue de longues années de coopération internationale, est un succès incontestable qui a permis de multiplier les découvertes à un rythme effréné. Sa technologie permet de regarder plus loin que jamais dans l’univers, et donc, dans le temps, d’observer, entre autres, les premières galaxies et les étoiles se former, d’autres mourir, des trous noirs supermassifs se créer... Mais voilà que, peu avant l’investiture de Trump, le directeur du programme alertait déjà sur « les énormes coupes » (-20 % de budget) exigées à ses équipes. Et le nouveau contexte à Washington, entre le faramineux objectif Mars et les coupes budgétaires massives déjà à l’œuvre, n’augure rien de bon.

« Nous avons fait tout ce chemin pour explorer la Lune, et ce que nous avons fait de plus important, c’est découvrir la Terre. »
— Bill Anders

Or James Webb n’est pas qu’un formidable outil scientifique. Ses fascinantes images de galaxies multicolores et d’exoplanètes mystérieuses ont fait le tour du monde ; à travers elles, l’humanité regarde l’univers tel qu’il était au tout début, tel qu’elle ne l’avait jamais vu. Par leur indéniable poésie, elles en rappellent une autre, devenue aujourd’hui banale, mais qui, à l’époque, avait, elle aussi, bouleversé l’humanité. C’était le soir de Noël, de 1968 celui-là. Premier vol habité vers la Lune, sept ans après le premier vol habité dans l’espace de Youri Gagarine, la mission Apollo 8 de la NASA, composée de Frank Borman, James Lovell et William Anders, entrait dans l’orbite du satellite terrestre, pour en faire 10 fois le tour avant de rentrer sur Terre. Succès incontestable, en termes scientifiques comme géopolitiques, elle marqua aussi les esprits pour une autre raison : une photo prise à la volée par Bill Anders depuis le vaisseau spatial, baptisée « Lever de Terre ». On y voyait notre planète – d’un bleu étincelant au milieu de l’obscurité, derrière l’horizon gris et désolé de la Lune – seule, majestueuse, telle qu’on ne l’avait jamais vue. Des années plus tard, Bill Anders, décédé l’été dernier, aura cette phrase : « Nous avons fait tout ce chemin pour explorer la Lune, et ce que nous avons fait de plus important, c’est découvrir la Terre. » À méditer.


Cet article a initialement été publié dans le numéro 32 d’Émile, paru au printemps 2025.




Fiction : Lucia

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