Covid-19 : confinement et couvre-feu en Israël à l'approche des fêtes religieuses

Covid-19 : confinement et couvre-feu en Israël à l'approche des fêtes religieuses

À la veille de la Pâque juive et à deux semaines du début du ramadan musulman, le gouvernement israélien a durci le confinement pour limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19. Couvre-feu, fermeture des frontières, réquisition d’hôtels à des fin médicales, surveillance accrue de la population… Quelles sont les mesures appliquées dans le pays ? Quel est l’impact de cette crise sanitaire sur la vie politique israélienne ? Yoel Sher (promo 66), diplomate et ancien ambassadeur d’Israël, a répondu aux questions d’Emile.   

L’esplanade du Kotel à Jérusalem est l’un des lieux les plus animés de la ville et rassemble chaque jour nombre de fidèles et de touristes. Ces dernières semaines, la place est restée vide (Crédits : Ri_Ya/Pixabay)

L’esplanade du Kotel à Jérusalem est l’un des lieux les plus animés de la ville et rassemble chaque jour nombre de fidèles et de touristes. Ces dernières semaines, la place est restée vide (Crédits : Ri_Ya/Pixabay)

Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement israélien pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ?

Depuis 2007, Israël a élaboré des modèles de prévention et de lutte antipandémique, centrés sur la grippe aviaire, à la suite d’avertissements de l’OMS. Le 20 février, ont atterri 11 Israéliens qui avaient été sur le Diamond Princess au Japon. Ils ont été immédiatement transférés vers un îlot d’isolation spécialement aménagé à l’hôpital Sheba, le plus grand centre médical du pays, pour 14 jours. Trois jours, puis huit jours plus tard, deux d’entre eux se sont révélés porteurs du virus. Tous ont été libérés le 3 mars. 

Le premier malade non israélien est apparu le 27 février : un voyageur arrivé quatre jours plus tôt d’Italie. Le lendemain, Israël a interdit l’entrée de touristes italiens sur son sol. 5 630 personnes ont été assignées à domicile pour deux semaines. D’autres pays européens s’ajoutent ensuite à la liste des pays contagieux. Le 5 mars, on apprend qu’un groupe de pèlerins grecs, venus de Bethléem et reparti depuis une semaine, avait contaminé plusieurs personnes dont le chauffeur de leur car, qui a été hospitalisé pendant plusieurs semaines dans un état critique. Bethléem est alors déclarée zone interdite dans les deux sens. 

La semaine du 8 mars a vu une augmentation significative du nombre de malades, avec la fête de Pourim, l’équivalent du Mardi Gras. Le premier décès est survenu le 20 mars, suivi de deux autres le 24. Des mesures de quarantaine sont appliquées afin de tenter d’éviter une croissance exponentielle du nombre de malades atteints du virus, mais près d’un quart des décès provient de maisons de retraites pour personnes âgées. Les efforts visent par la suite à tenter d’infléchir la courbe ascendante de la maladie.

Des mesures particulièrement sévères ont été annoncées à partir du 8 avril, veille de la fête de la Pâque juive. Un couvre-feu a été décrété jusqu’au lendemain, afin d’éviter des déplacements familiaux traditionnels. L’état d’urgence est destiné à empêcher les voyages interurbains pendant toute la semaine que dure la fête de Pâques. Des dispositions semblables devront être envisagées en prévision des Pâques chrétiennes dimanche et lundi prochain, ainsi que pour le Ramadan musulman qui débute dans une quinzaine de jours et dure un mois.

Quelle est la situation actuelle ?

Pour une population d’un peu plus de 9 millions, les derniers chiffres, en date du 8 avril, font état de :

  • 9,404 malades atteints du virus, dont 147 graves et 122 ventilés, 740 sont hospitalisés, 859 sont dans des hôtels reconvertis et 5,985 sont soignés chez eux ;

  • 65 décès ;

  • 801 guérisons.

Les jardins d’enfants, les écoles, les lycées et les universités sont fermés, des cours en ligne permettent aux élèves et aux étudiants de suivre au moins partiellement leur curriculum. Les épreuves du bac ont été réduites et reportées de mai à fin juin.

Les restaurants sont fermés, certains effectuent des livraisons. Tous les magasins sont fermés, à l’exception des supermarchés et des pharmacies. Dans les queues d’attente les acheteurs sont tenus à une distance de deux mètres les uns des autres, et le nombre d’admis à l’intérieur ne doit pas dépasser la dizaine.

Le port d’un masque est obligatoire dans tout lieu public et dans la rue. Les chaînes de supermarchés honorent des commandes passées en ligne, mais n’accordent des dates de livraison qu’à partir d’une semaine ou plus. Les journaux paraissent en format réduit, les abonnés sont servis à domicile.

Les transports en commun fonctionnent en fréquence et trajets partiels. Le nombre de passagers dans un autobus est limité à dix, et à un seul dans un taxi, sauf s’il s’agit d’une personne nécessitant un accompagnant.

Afin de protéger les conducteurs de bus, il est désormais interdit d’utiliser les sièges situés à côté d’eux, Israël, 24 mars 2020 (Crédits : Mbkv717/ WikipediaCommons)

Afin de protéger les conducteurs de bus, il est désormais interdit d’utiliser les sièges situés à côté d’eux, Israël, 24 mars 2020 (Crédits : Mbkv717/ WikipediaCommons)

Les services de base fonctionnent normalement – électricité, eau, gaz, enlèvement des ordures. Les ministères et autres services publics travaillent avec un tiers des effectifs, éventuellement avec un système de roulement, (les jours de congé annuels prélevés doivent pour l’instant compenser le maintien des salaires). Les entreprises considérées comme essentielles travaillent à plein temps, à condition que les ouvriers et employés se tiennent à une distance de deux mètres et ne soient pas plus de dix dans un périmètre donné.

On commence à parler de retour progressif à la normale dans une dizaine de jours, si d’ici là le nombre quotidien de nouveaux malades atteints du virus – aujourd’hui de l’ordre de 300 à 400 – descend au-dessous de la centaine.

D'une manière générale, est-ce que la population applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?

La population forcée au repos est tenue de ne pas sortir de chez elle, sauf pour faire des courses essentielles (vivres et médicaments), promener son chien ou vider sa poubelle, dans un rayon n’excédant pas 100 mètres. Il est demandé aux enfants et petits-enfants de s’abstenir de rendre visite aux parents et grands-parents âgés, ceux-ci étant considérés comme une population particulièrement menacée.

« Ces restrictions sont dans l’ensemble respectées avec compréhension, sauf au début dans des quartiers ultra-religieux (...) Le taux de contagion ayant dangereusement monté dans ces quartiers, il a fallu avoir recours à la police. »

Ces restrictions sont dans l’ensemble respectées avec compréhension, sauf au début dans des quartiers ultra-religieux dont les habitants soit n’étaient pas suffisamment informés, soit s’en remettaient à la protection divine. Le taux de contagion ayant dangereusement monté dans ces quartiers, il a fallu avoir recours à la police pour diluer l’affluence dans l’espace public.

Ces derniers jours, des unités de l’armée ont été mobilisées pour apporter de l’aide aux civils, telle que la distribution à domicile de vivres à la veille de la fête de Pâque.

Au quotidien, qu'est-ce que cela change pour vous ?

Mon épouse et moi sommes confinés à domicile depuis le 15 mars. Nous communiquons par téléphone et WhatsApp avec nos enfants et petits-enfants et avec nos amis. Nous recevons chaque jour des vidéos montrant les progrès de nos cinq arrière-petits-enfants. Retraités depuis une vingtaine d’années, nous sommes privés de notre marche quotidienne, de nos séances de natation et des visites familiales.

Ce soir, 8 avril, où nous aurions dû avoir une vingtaine de descendants et consorts autour de notre table pour le traditionnel repas du Séder de Pâque, nous serons chacun chez soi mais tous ensemble grâce à l’application Zoom, que nous avons déjà rodée. Et paradoxalement, nous célébrerons le miracle de la sortie d’Égypte de nos ancêtres et leur libération d’esclavage il y a 32 siècles.

Plusieurs de nos enfants et petits-enfants, membres de professions libérales ou salariés d’entreprises mises en veille, risquent de connaître une situation difficile si la crise se prolonge.

Un membre du Magen David Adom (le service d’urgence officiel d’Israël) à Tel Aviv, 17 mars 2020 (Crédits : Talmoryair/ WikipediaCommons)

Un membre du Magen David Adom (le service d’urgence officiel d’Israël) à Tel Aviv, 17 mars 2020 (Crédits : Talmoryair/ WikipediaCommons)

Quelle est la situation médicale en Israël ?

Le nombre de lits d’hôpitaux – 2,2 pour 1 000 habitants – avec 94% d’occupation, est insuffisant même en temps ‘‘normal’’.  On sursoit dans la mesure du possible à des traitements non urgents et on augmente le nombre de lits en reconvertissant en sites médicaux des hôtels, qui sont de toute façon vides de touristes.

Afin de parer à toute éventualité, des entreprises high-tech s’appliquent à mettre au point des appareils de ventilation pouvant être produits en grand nombre et à un coût relativement bas.

Des millions de masques ont été commandés et sont attendus ces jours-ci, leur port devant être rendu obligatoire à partir de la semaine prochaine. Des équipes ont été formées pour faire des tests, dont le nombre quotidien de 10 000 vise à être doublé.

Pour lutter contre l'expansion du virus, le gouvernement israélien semble faire appel au service secret intérieur. Outre la fermeture des frontières et les campagnes massives de dépistage, l’utilisation des technologies s’est répandue. Elles permettent notamment de répertorier la liste des itinéraires empruntés par les malades. Comment sont accueillies ces mesures spécifiques par la population ?

Le recours à des technologies de dépistage normalement incompatibles avec les droits des citoyens s’est avérée d’une efficacité remarquable dans l’état d’urgence actuel pour remonter aux sources de la contagion.

« Le recours à des technologies de dépistage normalement incompatibles avec les droits des citoyens s’est avérée d’une efficacité remarquable dans l’état d’urgence actuel pour remonter aux sources de la contagion. »

L’utilisation de ces moyens est limitée dans le temps et rigoureusement contrôlée par le parlement. Critiquée par certains articles et médias sociaux, cette décision du gouvernement est généralement admise comme un cas incontournable de force majeure.

Le Premier ministre Benyamin Netanyahou - qui a lui-même été placé en quarantaine par mesure de précaution - a déclaré que la formation d'un gouvernement d'union était nécessaire afin de surmonter cette crise et de remettre l'économie sur pied. Pensez-vous que son appel sera entendu par l'opposition qui semble y voir une tentative d'instrumentalisation ?

L’appel de Benyamin Netanyahou a été entendu par l’opposition, qui s’est scindée et dont une partie, fraction du parti Bleu-Blanc, est entrée en pourparlers avec le Likoud pour la formation d’un gouvernement d’urgence d’union nationale. Cette démarche a été conduite par Benny Gantz, alors qu’il était encore chargé par le Président de l’État, Reuven Rivlin, de la mission de constituer le nouveau gouvernement, à l’issue des élections législatives du 2 mars, les troisièmes en un an.

Les négociations, qui semblaient sur le point d’aboutir, sont cependant au point mort et Gantz devra sans doute demander un nouveau délai légal de 14 jours supplémentaires pour mener à bien son mandat. S’il échoue jusqu’au 27 avril, ce sera au tour de Netanyahou de tenter de former un gouvernement, et cette fois, l’opposition s’étant émiettée, il aura de meilleures chances d’y parvenir. Le moins qu’on puisse dire est que les derniers rebondissements ont démontré le peu de consistance des déclarations électorales, le Covid-19 servant d’alibi d’occasion.




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