Yves Cormier, responsable des relations investisseurs chez SCOR : "Je suis au cœur du réacteur"

Yves Cormier, responsable des relations investisseurs chez SCOR : "Je suis au cœur du réacteur"

Passé par l'école d'affaires publiques de Sciences Po, Yves Cormier travaille actuellement dans le grand groupe français de réassurance SCOR où il assure continuer à apprendre tous les jours, 15 ans après son début de carrière. Pour Émile, il revient sur son parcours étudiant et les spécificités de son métier.

Par Olivier Marty (promo 2006)

Yves Cormier, responsable des relations investisseurs chez SCOR (Crédits : DR).

Votre profil académique est riche en formations diverses de qualité : vous avez initié vos études avec un « master » d’ingénierie à Cambridge avant d’entamer votre vie professionnelle en 2006 dans la banque, chez JPMorgan et de poursuivre votre formation à Sciences Po et avec un MBA à l’INSEAD. Pourquoi ces différentes formations et comment vous ont-elles servi dans votre parcours professionnel ?

Après un bac S au Lycée français de Londres et fort d’un certain intérêt pour les mathématiques, je me suis naturellement engagé dans des études d’ingénieur, à Cambridge. J’ai passé quatre ans sur le campus de l’Université et j’y ai rencontré des étudiants venus du monde entier pour suivre des cursus très divers (Médecine, Lettres classiques, Droit…), la plupart très éloignés de ma filière. Cette expérience a considérablement élargi mes horizons et mes centres d’intérêt.

J’ai ensuite eu la chance d’effectuer un stage chez JPMorgan, j’y ai découvert un métier exigeant et passionnant, mais, à 21 ans, je n’étais pas prêt à franchir le pas pour me lancer dans la vie active. J’ai donc décidé de poursuivre mes études et je me suis tourné vers le Master Affaires publiques de Sciences Po, espérant y côtoyer des étudiants brillants, découvrir des sujets que je ne connaissais pas (économie, droit public, politique) et développer des qualités d’analyse et synthèse, de réflexion et de communication écrite et orale. Je ne me suis pas trompé : mes études à Sciences Po se sont avérées passionnantes ! D’autant que j’ai eu la chance de pouvoir suivre quelques cours du Master Finance, ce qui était une bonne préparation à ma future activité. Plus tard, après quelques années très intenses en M&A, j’ai ressenti le besoin de prendre du recul et d’étoffer ma palette de connaissances sur les enjeux et le fonctionnement des entreprises en suivant le programme MBA de l’INSEAD.

Finalement la curiosité intellectuelle, l’ouverture au monde et l’exigence ont été les moteurs de mon cursus d’études supérieures, tandis qu’en parallèle, je développais mon expertise auprès de clients assureurs confrontés aux mêmes problématiques, que je travaille avec eux côté banque, chez JPMorgan, BNP Paribas ou Rothschild, ou pour eux, chez AXA ou chez SCOR. Les exigences liées à mes fonctions actuelles chez SCOR font la synthèse des compétences que j’ai pu développer au fil de mes études : rigueur et acuité dans l’analyse des états financiers (et ceux d’un assureur ne sont pas simples à comprendre); clarté, réactivité et force de conviction dans la mise en forme de la communication auprès des investisseurs et du grand public. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », cela paraît évident, mais, en fait, c’est beaucoup de travail !

Vous disposez aujourd’hui de plus de quinze ans d’expérience professionnelle dans le monde de la finance d’entreprise entre Londres, Hong-Kong et Paris. Avec le recul, y-a-t-il des différences notables entre ces environnements professionnels financiers entre Londres et Paris ? Des spécificités professionnelles lorsque l’on travaille dans une entreprise financière « française » à Londres ?

Nous vivons dans un monde internationalisé et l’approche « théorique » des métiers du « corporate Finance » est la même à Paris, Londres ou Hong Kong. Les mauvaises langues diront que les Français ont une meilleure compréhension technique et que les Anglais font de plus jolies présentations ! Peut-être, mais ce n’est pas mon expérience en fusions-acquisitions. Les différences se jouent ailleurs.

Tout d’abord, les responsabilités ne sont pas les mêmes que vous soyez « junior » ou « senior ». En début de carrière et partout dans le monde, les métiers du « corporate Finance » demandent surtout une forte rigueur, un certain sens arithmétique, une bonne capacité d’adaptation et une disponibilité extrême. Les grosses banques américaines organisent d’ailleurs, à Londres ou à New York, des cycles de formation « globaux », ouverts aux futurs analystes toutes zones géographiques confondues.

A un niveau plus senior, l’angle commercial du métier devient plus important, et le banquier est amené à construire une relation plus personnelle avec ses clients. Souvent, il est de bon ton d’emmener ses clients assister à un match de football ou une pièce de théâtre, à condition de ne pas commettre d’impairs dans le choix des propositions ! Autant dire qu’il faut bien maîtriser les codes culturels locaux, ce qui peut désavantager ceux qui « jouent à l’extérieur ».

Ensuite, les différences tiennent à la distinction banque d’affaires / entreprises du secteur financier : les banques d’affaires sont équipées pour conseiller des grandes entreprises sur des problématiques financières qui sont souvent les mêmes, les règles sont claires, le cadre est structuré et vous avez à disposition des équipes ayant une taille et des capacités correspondant au besoin de vos projets. En revanche, à la direction générale des entreprises (type AXA ou SCOR), il est impératif d’être plus flexible et de ne pas avoir peur de « mettre les mains dans le cambouis » ; en contrepartie le niveau de profondeur que vous pouvez avoir sur les dossiers est sans commune mesure et rend le métier passionnant !

Quant aux succursales anglaises des entreprises françaises à Londres, elles jouissent d’une position très intéressante. Suffisamment grandes pour offrir un environnement de travail comparable à celui des grands « hubs » européens des banques américaines, elles restent cependant culturellement françaises. Les jeunes Français dotés d’un profil international devraient donc s’y sentir particulièrement à l’aise.

Vous avez toujours travaillé dans le secteur de l’assurance, de l’intérieur ou dans des métiers connexes. En quoi les métiers financiers sont-ils différents au sein d’une compagnie d’assurance ou de réassurance ? Pourquoi avoir choisi cette voie ?

Je suis "tombé" dans cette voie un peu par hasard lors de mon stage chez JPMorgan et le hasard a très bien fait les choses. Tout d’abord la matière est passionnante. Les problématiques financières qui touchent une compagnie d’assurance se mêlent à des problématiques actuarielles plus techniques et s’inscrivent dans un référentiel comptable complexe et évolutif. Cela rend les choses un peu plus compliquées mais cela signifie également que l’apprentissage théorique ne s’arrête jamais. Après 15 ans de métier, je continue d’en apprendre tous les jours !

Par ailleurs, les assureurs et les réassureurs sont des institutions financières : leurs revenus ne correspondent pas à une vente de produit mais a un échange entre un flux financier « certain » (la prime d’assurance) et un flux financier incertain (le paiement d’un sinistre éventuel) ainsi qu’à l’investissement des liquidités disponibles sur leur bilan dans des instruments financiers : les métiers de la finance y sont donc fondamentaux. La direction financière d’une compagnie d’assurance exerce une influence très forte sur les décisions stratégiques que prend l’entreprise puisque toute l’activité est elle-même financière. Je suis au cœur du réacteur.

Pour finir, et paradoxalement, ce sont la singularité et la complexité de l‘industrie qui ont facilité mon démarrage dans la finance. Quand je suis arrivé en stage chez JPMorgan en 2004 (avant Sciences Po), je n’avais aucune notion de comptabilité ou de finance et je me suis retrouvé avec des stagiaires beaucoup plus qualifiés et diplômés que moi sur ces sujets. J’ai atterri dans une équipe qui couvrait les institutions financières (banques et assureurs), ce qui m’a beaucoup aidé, tant les états financiers et les méthodes de valorisation sont particuliers dans ces institutions par rapport aux autres entreprises et ne sont enseignés nulle part ! Résultat, j’avais tout à apprendre, mais les autres aussi, nous nous retrouvions au même niveau !

Quels sont à votre avis les avantages comparatifs des profils Sciences Po dans le secteur de la finance ? Pensez-vous qu’il soit nécessaire, pour faire une belle carrière dans ce secteur, de compléter sa formation par des cursus en écoles de commerce ?

Je vais répondre pour les métiers liés à la finance dite « d’entreprise » qui sont ceux que je connais et qui sont enseignés à Sciences Po. Ma réponse ne s’applique donc pas aux métiers liés à la finance dite « de marché », parfois plus techniques, qui requièrent des formations spécifiques.

Lorsque l’on pense aux métiers de la finance, on pense évidemment d’abord chiffres : goût pour les chiffres et maîtrise de leur maniement. Cela peut faire peur à des Sciences Po dont ce n’est pas a priori la spécialité ni la passion. Mais, le métier est loin de se réduire aux chiffres et requiert un éventail de qualités et de compétences - maitrise de l’anglais, esprit de synthèse, rigueur et conviction dans la communication écrite et orale, forte capacité de concentration et de travail – qui sont particulièrement développées à Sciences Po. Je dirais donc que pour envisager une carrière dans la finance, il n’est pas indispensable d’avoir fait une prépa scientifique ou commerciale. Ni même de faire un cursus additionnel en finance, surtout si l’on a suivi les cours du Master Finance de Sciences Po. Nombre de mes camarades de promotion ont réussi à décrocher des postes dans de grandes banques à Londres telles que JPMorgan, Merrill Lynch, Lazard ou Goldman Sachs, sans être passés par HEC après Sciences Po.

Toutefois, il subsiste une réelle différence entre l’approche française et l’approche anglaise. Je dirais qu’en France, aujourd’hui encore et y compris dans les succursales parisiennes des banques américaines, priorité reste donnée aux diplômés du « top 5 » des grandes écoles scientifiques et commerciales, au détriment des candidats arrivant de Sciences Po. Cela est d’autant plus vrai que le recrutement a gardé un esprit corporatiste, les « juniors » chargés d’effectuer le tri des CVs ayant naturellement tendance à « défendre » leur école, et donc à perpétuer le système. Heureusement, les choses bougent et la réputation du diplôme de Sciences Po s’apprécie avec le temps.

Qu'en est-il chez les Anglo-saxons ?

L’approche est très différente chez les « Anglo-saxons » : les recruteurs font appel à des profils beaucoup plus divers, et surtout, une fois que votre carrière est lancée, les institutions anglo-saxonnes ne s’intéressent plus à vos diplômes, c’est donc vous qui avez les cartes en mains pour progresser. J’ai de nombreux exemples de camarades de Sciences Po qui, une fois embauchés, ont effectué quinze ans plus tard des parcours remarquables en fusions-acquisitions, dans le monde du « private equity » ou dans celui du « venture capital ». Je recommande donc vivement d’envisager un début de carrière à Londres. Les jeunes analystes y sont recrutés depuis tous les pays d’Europe ce qui rend l’expérience du « hub » financier londonien très enrichissante.

Pour finir, comment le Brexit a-t-il impacté le secteur de l’assurance et de la réassurance ?

L’impact est assez limité. Les assureurs (et les réassureurs) comme les banques bénéficiaient du système de « passeport » qui leur permettait de souscrire des contrats dans tous les pays d’Europe depuis Londres en utilisant leur licence britannique. Le Brexit met fin au « passeport » et ne permet donc plus aux assureurs d’utiliser leur entité britannique comme « hub ».

Néanmoins, ce système n’était pas vraiment utilisé pour les risques particuliers (les assureurs ont généralement une licence dans tous les pays où ils opèrent) et il concernait surtout les grands risques et la réassurance. Les assureurs concernés ont trouvé des solutions : le marché des Lloyds (sorte de bourse des grands risques implantée à Londres) a ouvert un « hub » à Bruxelles et la plupart des réassureurs avaient déjà une licence pour opérer en Europe, l’impact est donc limité.



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