Regard d'expert - SPACs, des instruments pour innover sur les marchés boursiers

Regard d'expert - SPACs, des instruments pour innover sur les marchés boursiers

Le phénomène des SPACs — très à la mode aux États-Unis — prend de l’ampleur en Europe depuis quelques années. Objets de désir et de fascination, ces véhicules originaux d’investissements boursiers suscitent de nombreuses interrogations : comment fonctionnent-ils, quels sont leurs intérêts pour les parties prenantes, pourquoi un tel engouement et quels sont les risques ? Éclairages avec Annie Maudouit-Ridde et Jérôme Herbet, avocats associés du cabinet Winston & Strawn.

Jérôme Herbet et Anne Maudouit-Ridde (Crédits : DR)

Parmi tous les véhicules d’investissement boursiers, qu’est-ce qu’un SPAC et quelles sont ses spécificités ?

Jérôme Herbet : Derrière cet acronyme, signifiant « special purpose acquisition company », se cache une société dont le but est de se financer sur les marchés afin de réaliser une ou plusieurs acquisitions de sociétés.

Annie Maudouit-Ridde : Il faut cependant bien le différencier d’un fonds d’investissement. La singularité de ce véhicule est en effet de ne pas avoir d’activité opérationnelle lors de sa création ; c’est une enveloppe vide. À la première étape de sa vie, il accède à la Bourse avec l’ambition seule de réaliser cette acquisition structurante qui va le transformer en une société opérationnelle. En France, on se souvient par exemple du 1er SPAC Mediawan dans le secteur de la production audiovisuelle ou plus récemment de 2MX Organic devenu Teract après son acquisition d’InVivo Retail qui souhaite devenir leader de la consommation responsable, ou encore le SPAC d’Accor dans le secteur hôtelier-restauration-événementiel.

Concrètement, comment ça marche ?

A.M.R. : Le projet est avant tout porté par les fondateurs, qu’on appelle également sponsors, ayant une très bonne expérience dans le domaine du M&A (NDLR : les fusions acquisitions) ou une expertise reconnue dans un secteur. Il peut tout autant s’agir d’anciens PDG ou banquiers d’affaires, que d’entrepreneurs à succès. Ils supportent les coûts de fonctionnement du véhicule et de l’introduction en bourse, environ 3 % du montant total des fonds qui seront levés, mais obtiennent néanmoins 20 % du capital du SPAC.

J.H. : Après sa création, les fondateurs vont lever des fonds auprès d’investisseurs dans le cadre d’une introduction en bourse (IPO), ce qui donnera lieu à l’établissement d’un prospectus visé par l’Autorité des Marchés Financiers. En France, les investisseurs sollicités sont des investisseurs qualifiés, qui sauront apprécier le risque et les spécificités du projet. Ces investisseurs souscrivent à des parts dont le prix est fixe, quelle que soit la place financière —10 dollars ou 10 euros — sans savoir quelle sera la cible d’acquisition du SPAC. Il s’agit en quelque sorte d’un pari basé sur l’expertise des fondateurs. Ces derniers disposent d’un délai de deux ans pour identifier une opportunité d’acquisition qui pourrait être approuvée par les actionnaires. Cette seconde phase est appelée « deSPAC » ou « deSPACing ».

Par rapport à une IPO classique (NDLR : Offre publique initiale, soit une introduction en bourse), pourquoi lancer un SPAC ?

J.H. : Le SPAC permet de réaliser une introduction en bourse plus rapide que pour une IPO classique : il faut compter deux à trois mois, là où une IPO en demande au moins six. Son principal intérêt réside aussi dans sa souplesse pour lever des fonds par la suite, comme le SPAC est déjà coté. Les fondateurs vont donc pouvoir bénéficier d’un effet de levier, d’une force de frappe beaucoup plus importante pour investir dans des entreprises cibles qui ne sont pas introduites en bourse. C’est un véritable vecteur de dynamisation du marché du M&A. Enfin, bien sûr, l’avantage financier est indéniable en cas de succès du projet… Le cours des actions, acquises lors de l’introduction en bourse, est censé augmenter au fur et à mesure du développement du projet.

Et pour une société cible, quel intérêt ?

A.M.R. : C’est une opportunité d’accéder rapidement au marché boursier et à des moyens de financement plus variés pour poursuivre leur croissance. Surtout, ces sociétés profitent de l’expertise des fondateurs dans leur domaine, qui vont les accompagner dans leur développement.

Du côté des investisseurs, les SPACs sont parfois présentées comme des chèques en blanc à visée purement spéculative. Est-ce le cas ? Cette démarche comporte-t-elle des risques ?

A.M.R. : Dans un SPAC, les investisseurs achètent en effet quasiment « les yeux fermés », mais il faut cependant préciser que les fonds levés auprès d’eux sont sécurisés en étant placés sur un compte séquestre. Si le SPAC ne se déboucle pas, si les fondateurs ne parviennent pas à racheter des cibles dans le secteur annoncé et à fusionner avec elles pour transformer le SPAC en une société opérationnelle cotée, ils doivent restituer les fonds aux investisseurs. Pour ces derniers, il n’y a donc aucune perte de capital, seuls les fondateurs prennent un risque.

J.H. : En effet, le risque pour les investisseurs est limité, et ceci d’autant plus qu’au moment du projet d’acquisition de la société cible, ils peuvent l’accepter ou le refuser en demandant le remboursement de leurs titres ou en adhérant au projet pour aller vers l’étape du deSPACing.

Après avoir grandi très vite aux États-Unis, le phénomène a également pris de l’ampleur en Europe. Où en est le marché des deux parts de l’Océan Atlantique ?

A.M.R. : Aux États-Unis, les SPACs existent depuis longtemps, mais ont connu une « explosion » au cours des trois dernières années. Beaucoup de SPACs américains sont donc aujourd’hui à la recherche de cibles. Certains réussiront à deSPACer et d’autres, non. Face à ce phénomène, la SEC — le régulateur américain — a décidé de proposer une évolution de sa règlementation. Le marché américain s’est ainsi fortement ralenti depuis plusieurs mois avec moins de dossiers déposés et d’autres qui sont suspendus. Cela peut être une opportunité pour le marché européen, où le rythme de création de SPAC est beaucoup plus raisonnable. En revanche, les SPACs sont exposés au contexte financier et géopolitique compliqué, comme tous les marchés financiers.

Faut-il y voir un effet de mode ?

J.H. : Cela dépendra des opérations de deSPACing à venir. Mais si on considère le marché américain où les SPACS existent depuis 30 ans, je ne pense pas qu’on puisse parler d’effet de mode. Je crois plutôt que les SPACs s’inscrivent dans notre paysage comme les autres véhicules d’investissement boursier. Ils y ont leur place.

A.M.R. : Ils sont en effet des acteurs du M&A, au même titre que les fonds ou que les acteurs corporate.

La France dispose-t-elle d’atouts en la matière ?

J.H. : Absolument. Elle dispose d’abord d’équipes rodées et d’un marché Euronext parfaitement équipé pour accueillir ce type d’opérations. Elle détient en outre un réservoir de cibles important : comme nous l’évoquions, des sociétés françaises intéressent, ou sont susceptibles d’intéresser, des SPACs européens et américains.

A.M.R. : Nous avons effectivement des atouts pour le lancement de SPACs avec des sponsors qui ont le profil et le track record ; et à l’autre bout de cette expérience, des cibles qui sont dans l’attente qu’on les aide à passer à l’étape supérieure avec une expertise et des moyens financiers.

Cette chronique a initialement été publiée dans le numéro 26 d’Émile, paru en octobre 2022.

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