D'un mot - Ménage

Dans son roman Deux petites bourgeoises, la journaliste et autrice Colombe Schneck (promo 91) met en scène la trajectoire de deux amies qui, malgré leurs masques d’indépendance, sont « essorées par leur genre » et englouties par un ménage aliénant. Elle nous livre ici une adaptation d’un extrait de son livre. 

Par Colombe Schneck

Colombe Schneck (Crédits : Francesca Montovani)


Ménage : Définition

1. Couple vivant en commun et constituant une communauté domestique : Un ménage sans enfants.

2. Ensemble de ce qui concerne les affaires domestiques, l'entretien de la famille, en particulier ensemble des travaux concernant la propreté d'un intérieur : S'occuper du ménage de toute la famille. Vaquer aux soins du ménage.

(Source Larousse)


Esther après son travail, courbée derrière la poussette, sacs de course accrochés, s’arrêtant pour embrasser son enfant, constamment aux aguets, achetant chez le meilleur boucher une viande tendre. Elle met la table, lance un rôti, change une couche, rien ne la dégoûte la merde de son enfant est un délice, offre un dernier baiser, un dernier câlin, paye la femme de ménage qui passe l’aspirateur, mais elle a nettoyé avant son passage la baignoire et les toilettes, le lave-vaisselle ronronne, elle est fatiguée, son mari rentre enfin, le rôti est froid, reproche, la bonne chemise n’est pas propre, reproche, la baguette n’est pas fraîche, reproche, après dîner, le beurre un arrière-goût, reproche, elle débarrasse, lui à un coup de fil important à donner, elle se couche, elle rejette la main de son époux qui caresse sa cuisse, tente de monter plus haut, le matin, elle a dû du mal à se réveiller, elle renverse le lait sur le carrelage, elle est seule, elle panique, est-ce qu’elle va y arriver, elle crie sur ses enfants, elle va être en retard à l’école, cela est impossible pour les autres de le croire, une bourgeoise dans un bel appartement meublé de commodes de chez Conran, lisses, solides, les tiroirs sont silencieux, ils se ferment d’un léger clic, sans effort, cela est invisible, elle même refuse de l’admettre. Elle est coupable, l’enfant est enrhumé car elle l’a mal couvert, l’enfant a des poux car elle n’a pas fait attention.

Parfois l’amour revient, son mari offre des tulipes multicolores, des bagues en or, ils partent à Venise, il a choisi pour sa gentille épouse une chambre avec un lit à baldaquin, ses seins ont rétréci d’une taille, jamais il ne la quittera, elle est sa famille, le socle, la mère des enfants, mais elle n’est pas drôle, elle est chiante et fatiguée, ce n’est pas grave de faire l’amour avec d’autres femmes, il rentre tard, il est discret, mais pas toujours, l’envie de se faire prendre, de tout casser, cette prison insupportable, le mariage bourgeois qui enferme les hommes et les femmes, les mêmes conversations qui se répètent, les mêmes vacances, les mêmes désirs matériels, un nouveau sac, plus cher que le précédent, un nouveau fauteuil, plus cher que le précédent, l’ennui, elle n’a pas toujours le temps de se laver les cheveux, à table son mari parle beaucoup, lui coupe la parole quand elle tente une remarque, c’est plus facile de se taire.

Deux petites bourgeoises, éditions Stock (2021), 140 pages, 17 euros.


Cette chronique a initialement été publiée dans le numéro 27 d’Émile, paru en février 2023.




Arthur Delaporte, la gauche normale

Arthur Delaporte, la gauche normale

Pour peser au Cambodge, la France privilégie  "une approche coopérative et inclusive"

Pour peser au Cambodge, la France privilégie "une approche coopérative et inclusive"